Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 22 septembre 2021 à 9h30
Audition de Mme Le Professeur dominique le guludec présidente de la haute autorité de santé

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, présidente :

Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme le Pr Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Créée par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, la Haute Autorité de santé (HAS), autorité publique indépendante à caractère scientifique, exerce trois missions principales : évaluer les médicaments, dispositifs médicaux et actes professionnels en vue de leur remboursement, recommander les bonnes pratiques professionnelles et élaborer de bonnes pratiques vaccinales et de santé publique, et contrôler la qualité dans les hôpitaux, les cliniques, en médecine de ville et dans les structures sociales et médico-sociales.

J'ai souhaité que notre commission puisse faire un tour d'horizon de l'actualité de la Haute Autorité de santé en cette rentrée. Nous aurons bien sûr à évoquer la vaccination dans un contexte de pandémie toujours en cours, ou le sujet complexe de la pertinence, qui recouvre bien sûr la capacité de la HAS d'élaborer des recommandations, mais aussi celle de les diffuser chez les professionnels de santé et d'assurer que le patient soit bien pris en charge au meilleur standard disponible. Nous avons de nouveau constaté au cours de la crise que ce sujet de la pertinence était loin d'être une évidence.

Vous consacrez enfin votre colloque annuel à la question de l'expertise scientifique face aux crises et j'aimerais que vous puissiez nous dire en quelques mots dans quels termes vous envisagez aujourd'hui cette question.

Pr Dominique Le Guludec. - La HAS, comme d'autres institutions, a été très sollicitée ces dix-huit derniers mois. Je vous présenterai notre action pendant la crise, ainsi que les évolutions, liées à cette dernière, pour la HAS, dans son travail ou son organisation.

Vous avez rappelé nos missions. Nous avons essayé d'assurer la prise en charge de la covid, tout en nous efforçant de poursuivre le reste de nos missions. Nous avons ainsi publié 500 avis sur les médicaments, 250 sur les dispositifs médicaux. Nous avons poursuivi notre travail d'élaboration de recommandations professionnelles ou de santé publique : sur le repérage des violences faites aux femmes au sein du couple, sur l'accompagnement des personnes atteintes de maladies neurodégénératives, sur le repérage du risque de suicide chez les enfants et les adolescents, etc. Nous avons accrédité 1800 médecins, certifié 2300 établissements, revu le système de certification des établissements pour diffuser la culture de la qualité et de la sécurité dans les équipes. La certification concernait initialement surtout les structures et les processus. Il était temps de passer à une autre étape. Nous recevons actuellement les premiers retours d'expériences des nouvelles certifications, et ils sont très bons.

La HAS a été très touchée par la crise sanitaire. Il faut être honnête, nous n'étions pas totalement préparés à une crise aussi brutale et soudaine. Nous avons d'abord voulu exercer au mieux notre rôle d'expertise scientifique indépendante, en apportant au Gouvernement des analyses et des données fiables pour qu'il puisse prendre les meilleures décisions. Nous avons aussi aidé les professionnels de santé en leur adressant des recommandations, des informations et des réponses à leurs questions. Nous avons aussi cherché à informer les patients sur la maladie, dans une période où la pandémie donnait lieu à l'expression de positions diverses et contradictoires, pas toujours fondées sur la science...

Nous avons mis en place une gestion de crise dédiée et agile pour rendre nos avis plus rapidement. Nous recherchons traditionnellement le consensus lorsque nous rendons un avis, mais cela prend du temps. Il a donc fallu s'adapter, dans un contexte d'incertitude scientifique extrême, avec des données très mouvantes : nous avons dû définir des processus rapides pour gagner en agilité, tout en conservant notre exigence de qualité - base scientifique, indépendance des experts, processus de validation, etc. Nous avons donc mis en oeuvre des méthodologies ad hoc, constitué des groupes d'experts, de professionnels et d'usagers qui ont été très sollicités : nous avons rendu plus de 150 avis sur la covid, 90 avis sur les produits de santé et les actes professionnels, 45 réponses rapides à destination des professionnels de santé, etc. Nos avis sont coconstruits dans le pluralisme : il a donc fallu que les personnes consultées répondent très vite. Nous leur envoyions les propositions d'avis le vendredi et ils devaient répondre le lundi. La charge de travail était lourde, mais tout le monde a joué le jeu.

Nous avons fixé trois principes : protéger, traiter et prévenir. Protéger, d'abord. Nous avons évalué tous les tests de dépistage. Dès le 6 mars, nous rendions des avis sur les tests, les critères de fiabilité. Fin mars, nous avons publié nos premières réponses rapides à destination des professionnels, sur la prise en charge des patients covid en ambulatoire comme sur la prise en charge des patients non-covid - celle des femmes enceintes en période de confinement par exemple.

Traiter, ensuite. Nous avons évalué tous les traitements proposés et assuré une veille de toutes les publications. Je reviendrai sur les médicaments en accès précoce tout à l'heure.

Prévenir, enfin : vous connaissez notre position sur la stratégie vaccinale et nous poursuivons nos réflexions sur ce sujet.

Nous avons rendu 150 avis, la plupart sur saisine du ministère, en conservant notre méthodologie, ce qui ne nous a pas empêchés d'aller vite, afin que nos avis soient le plus étayés possible.

Nous avons eu recours au télétravail. Même si nous n'avons pas un service de communication très développé, nous avons organisé de nombreuses conférences de presse pour expliquer nos positions, ce qui était important à une époque où les opinions de toutes sortes, pas toujours scientifiques, se multipliaient.

Il nous a fallu trouver les voies pour travailler avec les autres institutions, le ministère, les comités ad hoc créés par le Gouvernement ; toutefois, la multiplication des instances, le chevauchement parfois des compétences, les saisines multiples font que le dispositif de coordination pourrait être amélioré à cet égard en cas de nouvelle crise.

La crise nous a conduits à poursuivre nos adaptations organisationnelles. Nous avons ainsi continué notre travail sur l'accès aux innovations engagé en janvier 2020. Cet été nous avons mis en place une réforme de l'accès précoce aux médicaments innovants pour les patients atteints de maladies graves dans une impasse thérapeutique, afin qu'ils bénéficient de produits prometteurs qui n'ont pas encore reçu l'autorisation de mise sur le marché. Cette réforme a été préparée pendant plus d'un an, en lien avec les usagers, les industriels ou les professionnels : le but est de simplifier le dispositif très complexe, d'accélérer les procédures, de renforcer le suivi de ces produits grâce à la collecte et à l'analyse des données en vie réelle. La France avait été précurseur sur ce sujet avec les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), ce mécanisme va plus loin. Nous avons travaillé en lien avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l'ANSM, qui sera compétente pour les autorisations précoces à titre compassionnel et pour l'évaluation du rapport bénéfice-risque. La HAS prendra une décision, non un avis : c'est une petite révolution pour notre institution.

Nous avons aussi travaillé sur le numérique en santé. Il fallait commencer par classer les outils numériques en santé pour pouvoir les évaluer, déterminer leur usage, leur utilité. La crise a accéléré les évolutions. La e-santé s'est développée. Le recours aux data s'est accru. Autant de changements qui nous concernent directement à la HAS.

Un autre chantier est celui de la mesure de la qualité, de la sécurité et de la pertinence des soins. Nous avons poursuivi nos travaux sur les indicateurs de la qualité des soins, qui sont élaborés avec les usagers et les professionnels : nous utilisons les indicateurs figurant dans les dossiers, mais, comme les professionnels n'ont plus le temps de récupérer ces indicateurs, nous utilisons les bases médico-administratives. La France a du retard dans la médicalisation de ces bases : on y trouve la consommation de soins, mais non des données médicales, ce qui limite l'intérêt de ces bases pour apprécier la pertinence des soins. On réfléchit à la manière de les améliorer, pour qu'elles contiennent des renseignements médicaux permettant d'apprécier la qualité de la prise en charge.

Nous réfléchissons avec la CNAM pour définir des parcours pertinents de soins selon les pathologies. Nous élaborons des indicateurs pour évaluer la qualité de ces parcours. Il s'agira ensuite de les décliner dans les territoires pour que les professionnels s'en emparent.

J'en viens au social et au médico-social : nous avons émis des recommandations très importantes, proposant par exemple la création d'un référentiel national sur les enfants en danger ; nous sommes en train de revoir le processus d'évaluation externe des établissements médico-sociaux.

La HAS est aussi active au niveau international, notamment européen : la Commission européenne est en train de rédiger un règlement d'évaluation commun des produits de santé, notamment en matière d'innovation.

Si vous le souhaitez, nous évoquerons la certification périodique des médecins, et la santé publique en France : une mission a été confiée à M. Franck Chauvin.

En conclusion, la HAS et la communauté de santé ont su se mobiliser avec agilité pendant la crise de la covid, dans un contexte tendu, en dépit du télétravail qui ne facilite pas toujours les échanges.

Merci d'avoir expliqué votre rôle pendant la crise, dans une période où la multiplication des avis contradictoires ne contribuait pas à installer la confiance parmi nos concitoyens.

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