Intervention de Colette Mélot

Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement — Réunion du 21 septembre 2021 à 16h05
Examen du rapport de la mission

Photo de Colette MélotColette Mélot, rapporteure :

Permettez-moi tout d'abord de vous redire le plaisir que j'ai eu à travailler avec vous, sous la présidence de notre collègue Sabine Van Heghe, qui a parfaitement su conduire nos échanges, dans une ambiance studieuse et confiante, qui est bien effectivement la marque de fabrique du Sénat.

Je souhaite, en préambule, rappeler la qualité de notre travail, avec une vingtaine d'auditions et deux déplacements sur le terrain, qui nous auront permis d'avoir un panorama aussi vaste que complet de la situation.

Dans le prolongement de nos échanges informels de la fin du mois de juillet, je vous en rappellerai rapidement les grandes lignes.

Il est incontestable que nous sommes confrontés à un fléau, qui, surtout dans sa dimension « cyber », porte atteinte aux fondements du vivre ensemble. Nous devons donc décréter la mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter, afin de suivre efficacement les victimes et d'avoir un réel suivi des harceleurs. Des outils existent déjà et des progrès ont été réalisés depuis dix ans. Mais ils ne suffisent plus.

Il est nécessaire de bien libérer la parole, à tous les stades et à tous les niveaux, tout en veillant à bien intégrer les parents « dans la boucle ». Il faut que les élèves d'aujourd'hui, qui seront les citoyens de demain, soient intimement persuadés qu'ils seront écoutés par des adultes de confiance et sachent clairement que les actes de harcèlement qu'ils subissent, auxquels ils participent ou auxquels ils assistent sont intolérables.

Nous devons d'autant plus y veiller que le débat s'est très largement renouvelé avec le cyberharcèlement, comme Mme la présidente vient de le rappeler. Ce cyberharcèlement se concentre sur le secondaire, vise surtout les jeunes filles, en particulier lorsqu'il comporte une dimension sexiste et sexuelle avérée. Sa violence est considérable, car il crée un continuum entre l'école et la sphère privée.

Une mobilisation générale contre le cyberharcèlement est nécessaire et passe, pour l'essentiel, par une activation de la sensibilisation au niveau européen. En effet, seuls, nous sommes vite désarmés face à des réseaux qui ont leur siège hors de nos frontières, voire sur d'autres continents.

Voilà rapidement résumée la tonalité d'ensemble du projet de rapport, tel que vous avez pu le lire depuis vendredi dernier.

S'agissant des recommandations elles-mêmes, elles s'articulent autour de trois axes - prévenir, détecter, traiter - et sont au nombre de 35, de portée et d'application différentes, car, vous l'avez bien compris, la lutte contre ce fléau est l'affaire de tous et un combat de chaque instant.

Une première série de recommandations concerne les moyens actuels de lutte. Ils existent, ils sont nombreux - peut-être trop -, mais pas assez connus et mal appliqués.

Ainsi, en tant que législateurs, nous avons, depuis une décennie, pleinement reconnu le harcèlement comme un fléau, déjà pénalement répréhensible et assorti de circonstances aggravantes quand il vise des mineurs ou s'effectue sur les réseaux sociaux. Par conséquent, plus que de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire, ce qui reviendrait à alourdir davantage encore notre législation, il faut améliorer le pilotage d'ensemble de cette politique publique.

Il faut lutter contre les difficultés du « dernier kilomètre », c'est-à-dire contre tout ce qui entrave la libération de la parole, développe un sentiment de honte ou de culpabilité chez l'élève, surtout quand il est adolescent, et le conduit à l'autocensure. Il faut ainsi beaucoup mieux faire connaître et rationaliser le fonctionnement du 30 18, pour le cyberharcèlement, ou du 30 20, pour le harcèlement scolaire, et faire de la journée de sensibilisation du début du mois de novembre prochain un temps fort.

Il faut mieux coordonner le pôle de l'éducation nationale avec les autres grands partenaires publics, que sont la Gendarmerie, la Police et la Justice, sans oublier le monde associatif, dont la place, notamment dans l'écoute et la sensibilisation, est centrale. Dans ce cadre, la question est naturellement celle de l'ampleur des moyens financiers ou humains actuels, mais aussi celle de leur meilleure organisation et de leur plus grande rationalisation, notamment pour lutter contre le turn-over, qui démotive les équipes.

Une seconde série de recommandations vise à assurer une implication massive de toute la société autour d'une priorité à accorder à la prévention, qui doit être érigée en grande cause nationale.

Je pense que chaque enfant doit connaître ses droits et devoirs. Pour cela, il faut utiliser et mutualiser les heures de vie scolaire. Il faut surtout que soit largement diffusé, dès le début de l'année, un flyer d'information rappelant le droit existant, les numéros d'appel, ainsi que les sanctions encourues. Son contenu doit être voté en conseil d'administration et annexé au projet d'établissement.

Un volet spécifique doit aussi être consacré, dès le primaire, à la formation à l'utilisation responsable des outils numériques, pour y affirmer la nécessité du savoir-être.

Nous devons ensuite être capables de détecter rapidement les situations de harcèlement. Tous les membres adultes de la communauté éducative doivent y veiller, de sorte que les enfants n'aient pas d'appréhension à aller les voir et à dialoguer avec eux. Au total, dès qu'un fait de harcèlement commence, il faut le traiter systématiquement et rapidement. Pour reprendre les propos tenus par Jean-Pierre Bellon lors de son audition, « la meilleure des préventions, c'est le traitement ». Pour cela, les partenariats avec la Police et la Justice doivent être systématisés, et tout fait avéré doit remonter au niveau de l'académie. Les suites retenues doivent être présentées devant le conseil d'administration de l'établissement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Pour sa part, la Justice doit développer les stages d'éducation à la citoyenneté et les travaux d'intérêt général pour éviter l'éventuel basculement des harceleurs dans la délinquance.

Nous devons bien veiller à dissocier sanction judiciaire et sanction scolaire. Sans attendre la réponse de la Justice, il me semble important que chaque cas de harcèlement soit pleinement traité. En effet, il constitue le plus souvent une infraction au règlement intérieur de l'établissement. C'est essentiel pour la victime, car, si le temps judiciaire est souvent très long, celle-ci est en attente d'une réponse rapide de la part des adultes de l'établissement pour avoir le sentiment que sa parole et sa situation sont prises en compte. Mais c'est important aussi pour le harceleur et les témoins, pour qu'ils se rendent compte que ces faits, ces moqueries « pour rire » constituent des faits de harcèlement graves, qui ne peuvent demeurer impunis.

Cet effort doit naturellement être partagé par les réseaux sociaux. Ce sont bien évidemment des outils exceptionnels de communication, que nous utilisons d'ailleurs toutes et tous largement pour faciliter et médiatiser l'exercice de notre mandat. Il n'empêche que nous ne pouvons les laisser sans obligation de rendre compte, surtout lorsque plusieurs d'entre eux, et non des moindres, cherchent à se réfugier derrière le respect formel d'obligations vagues et définies par eux-mêmes, sans grande concertation.

Comme vous le savez, le niveau utile et effectif de réglementation est au minimum européen, voire international. Il est donc primordial de s'inscrire dans la perspective de la très prochaine présidence française du Conseil de l'Union européenne. Il faut, à cette occasion, exiger des réseaux sociaux qu'ils soient non seulement plus réactifs lorsqu'un contenu de harcèlement leur est signalé, mais aussi proactifs. Ils doivent se saisir de cette question et participer pleinement à la prévention du cyberharcèlement. Pour vérifier son effectivité, des stress tests, à l'image de ce qui est déjà pratiqué sur les banques, doivent être mis en place pour vérifier que les objectifs assignés aux réseaux sociaux sont bien atteints.

Mes chers collègues, voilà les principaux constats auxquels je suis parvenue et qui figurent dans mon projet de rapport, dans le titre IV. Sur ces bases, je vous propose donc comme sous-titre à mon rapport : « Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : vers une mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter ».

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