Intervention de Anne Chain-Larché

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 septembre 2021 à 9h30
Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Anne Chain-LarchéAnne Chain-Larché, rapporteure :

Mes chers collègues, je suis heureuse de pouvoir aborder avec vous l'examen de ce texte en commission. C'est l'aboutissement d'un travail approfondi et au long cours, engagé dès l'adoption de la proposition de loi à l'Assemblée nationale. J'ai conduit depuis le mois de février plus d'une cinquantaine d'auditions et effectué ces dernières semaines de nombreux déplacements sur le terrain auprès des professionnels, des administrations déconcentrées, des élus locaux et des associations de protection animale.

Ce texte, vous avez pu le constater, est attendu par nos concitoyens. « On reconnaît le degré de civilisation d'un peuple à la manière dont il traite ses animaux », déclarait Gandhi. Ces hommes et ces femmes, qu'ils soient bénévoles au sein des nombreuses associations actives dans nos territoires, professionnels auprès des animaux, ou qu'ils fassent tout bonnement partie des 50 % de Français qui possèdent un animal, nous appellent à faire évoluer les pratiques.

Notre société tolère de moins en moins la souffrance animale, à juste titre. Pas une semaine ne s'écoule sans que l'opinion publique se scandalise d'un nouvel acte de cruauté : un jour, une chienne abandonnée lâchement sur le bord d'une route parce que, vendue non sevrée, elle ne se comportait pas assez bien aux yeux de son maître ; un autre, des poneys qui tournent en rond interminablement les uns à la suite des autres, réduits à l'état de simples automates ; un autre encore, des fauves dans un enclos mal entretenu en raison des difficultés financières de leur gérant... La souffrance animale nous est évidemment d'autant plus insupportable quand elle est gratuite et inutile.

La proposition qui nous est transmise traduit un désir indéniable d'évolutions législatives : nos codes n'auraient pas encore suffisamment tiré les leçons de la reconnaissance, tardive, de la sensibilité animale, et les dernières lois en la matière remontent à plusieurs années. Le texte est le fruit de diverses initiatives parlementaires, de plusieurs propositions de loi, de questions au Gouvernement. C'est ce qui explique ses allures de projet de loi et la forte mobilisation des ministères, au nombre de trois sur ce texte : agriculture, justice et environnement.

On peut s'interroger sur certaines des priorités retenues par le texte et sur la portée de ses mesures. D'une part, son périmètre est volontairement assez réduit, pour permettre un travail approfondi dans le temps imparti. Il ne traite pas, et je respecterai ce périmètre, de chasse, de corrida ou encore d'élevage professionnel. D'autre part, certains de ses articles réglementent des secteurs d'activité qui relèvent presque du cas particulier : ainsi, on traite ici de 21 dauphins, de 4 orques, de 5 montreurs d'ours, d'une vingtaine de manèges à poney ou encore d'un seul établissement d'élevage de visons.

Pourtant la commission des affaires économiques s'est saisie de cette proposition de loi avec la conviction qu'il s'agit d'un texte important, car il touche à la vie pratique de nos concitoyens, à la condition d'êtres sensibles qui sont essentiels à la vie sur terre, mais aussi aux compétences et aux métiers de nombreux hommes et femmes, professionnels auprès des animaux. Ce patrimoine collectif est, à mon sens, une richesse, et je pense, comme le disait le vétérinaire centenaire Michel Klein, récemment reçu et honoré par le président du Sénat, que c'est aussi notre lien aux animaux qui nous « fait hommes ». La relation entre homme et animal est si ancienne qu'elle fait partie intégrante de nos sociétés. La France, c'est 67 millions de Français, mais c'est aussi 80 millions d'animaux domestiques.

Avant d'en venir à l'examen des amendements, je veux vous livrer mon analyse générale de chacun des trois volets de cette proposition de loi.

Le premier volet de cette loi a trait aux animaux de compagnie et aux équidés.

Pour ces catégories d'animaux, le premier drame, c'est l'abandon. C'est à raison que cette proposition de loi se focalise sur les causes et les conséquences des 100 000 abandons par an en France, ce qui fait de nous les tristes champions d'Europe.

Pour lutter contre les causes de l'abandon, l'Assemblée nationale a pris un ensemble de mesures destinées à mieux encadrer les cessions d'animaux. Certaines mesures vont dans le bon sens. C'est le cas du « certificat de connaissance et d'engagement », principalement symbolique, mais sur lequel je souhaite m'appuyer pour responsabiliser encore davantage les acquéreurs. C'est le cas aussi du renforcement du contrôle de l'identification des animaux.

D'autres, j'en suis persuadée, ne résoudront pas le problème, pour une raison simple : c'est qu'elles se trompent de diagnostic. Je veux bien sûr parler de l'interdiction de la vente de tout animal en animalerie - et non des seuls chats et chiens comme on a pu l'entendre - ou de l'obligation faite aux maires de mener des campagnes de stérilisation et d'identification des chats errants. Curieuse logique que celle qui consiste à déplorer le manque de contrôles des pratiques des animaleries, pour renvoyer l'achat de près de 20 000 chiens et chats par an à internet, aux circuits officieux et au trafic d'animaux ! En matière de gestion des chats errants, l'obligation faite aux élus locaux, sans mobiliser les 2 milliards d'euros nécessaires aux campagnes de stérilisation ainsi imposées - 70 euros pour l'identification et 120 euros pour la stérilisation, multipliés par 10 millions de chats errants -, est un voeu pieux, formé au détriment de nos maires, qui font du mieux qu'ils peuvent avec leurs moyens limités. J'appellerai donc l'État à prendre ses responsabilités et à considérer ces dépenses comme un investissement.

Pour mieux gérer les conséquences de l'abandon, les députés ont fait preuve de bonnes intentions, mais je relève certains effets de bord importants. Ils ont ainsi entendu donner une définition aux fourrières communales et aux refuges et changer les modalités de leur activité, par exemple en augmentant de 8 à 15 jours le délai de garde d'un animal identifié, ce qui risque d'engorger les fourrières communales. Ils ont toutefois rendu illégale l'activité des associations sans refuge qui mettent en réseau des familles d'accueil, alors que ces dernières jouent un rôle extrêmement important dans nos territoires. Ces dispositions vont dans le bon sens, mais sont perfectibles, à la condition qu'elles tiennent compte des réalités de terrain.

Figurent aussi au sein de ce chapitre des mesures diverses relatives à l'encadrement des cessions sur internet, phénomène qui prend de plus en plus d'ampleur, à la collecte d'informations auprès des professionnels ou encore en matière de détention de « nouveaux animaux de compagnie » non domestiques.

J'en viens maintenant au deuxième volet de cette loi, qui est son volet pénal.

Les auteurs de maltraitance animale sont trop rarement mis en cause, et ils sont condamnés plus rarement encore. J'ai dénombré, pour 2018, 395 mises en cause pour abandon et 1 025 mises en cause pour maltraitance animale. Il est indispensable que nous nous donnions les moyens de faire respecter les lois que nous votons, car ces chiffres ne reflètent pas la triste réalité sur le terrain.

Les députés ont fait le choix de renforcer les sanctions pénales, en rehaussant les peines et en créant plusieurs circonstances aggravantes. Cette initiative va dans le bon sens, mais elle est très emblématique de cette proposition de loi, qui privilégie trop souvent la symbolique à l'efficacité.

Sur ce volet, ma préoccupation a donc été double. D'une part, j'ai cherché à améliorer l'efficacité des dispositions, à corriger certains effets contre-productifs. J'ai privilégié des outils à l'efficacité éprouvée, le renforcement de ces outils et, surtout, j'ai fait confiance au juge. Avec les amendements que je vous présenterai, j'ai souhaité en outre que l'on se donne les moyens de condamner enfin la zoophilie en France.

D'autre part, j'ai voulu planter la graine de relations plus éthiques à l'égard des animaux pour les prochaines générations. J'ai ainsi soutenu tous les dispositifs tendant à améliorer la prévention et la sensibilisation à l'éthique animale ou tendant à protéger les enfants de la vue de violences animales ou de l'exposition aux contenus zoopornographiques. Protéger, éduquer, former, faire réfléchir : voilà, à mon sens, la vraie façon de corriger les comportements et de lutter contre la maltraitance animale. Le texte issu de l'Assemblée nationale adopte une posture défensive et répressive, fondée sur de nombreuses interdictions et le renforcement de l'arsenal juridique : il me paraît important de le rééquilibrer et d'y introduire aussi des mesures constructives et positives.

Enfin, le troisième volet de la proposition de loi concerne la faune sauvage captive. Il entend notamment interdire la détention de certains animaux sauvages par des établissements itinérants, c'est-à-dire les cirques ou les montreurs d'ours, ainsi que la présence de cétacés dans les parcs zoologiques. Seraient aussi interdits le transport, l'achat, la reproduction de ces animaux et leur participation à des spectacles.

J'ai été animée, sur ce volet, par la volonté de constater par moi-même, sur le terrain, la réalité des pratiques existant aujourd'hui en France. Ce qui m'est apparu comme flagrant, c'est la façon cavalière avec laquelle le ministère de la transition écologique a traité ces professionnels. Les soigneurs, capacitaires, scientifiques qui travaillent tous les jours auprès des animaux sont de grands professionnels - je souhaite saluer leur travail et insister sur leur amour des animaux. Or l'intitulé de la proposition de loi traduit une forme de défiance, voire une « présomption de maltraitance » à l'égard de laquelle je m'inscris en faux. Les établissements détenant des animaux sont aujourd'hui déjà soumis à des réglementations et des contrôles administratifs : sous-entendre qu'il s'agirait d'une sorte de zone de non-droit pour les animaux est bien loin de la vérité.

Je crains malheureusement que cette proposition de loi ne soit perçue par certains acteurs, parmi les plus actifs sur ces sujets, comme une opportunité de « mettre un pied dans la porte » pour interdire, demain, non seulement la détention de dauphins ou de girafes, mais aussi les zoos ou même tout contact avec les animaux, comme le proposent certains des amendements que nous allons examiner.

De telles propositions vont, pour moi, dans le mauvais sens. D'abord, parce qu'elles se fondent sur une fausse promesse, celle d'animaux nés en captivité qui seraient « réensauvagés ». En France, voire en Europe, il n'existe pas de capacités d'accueil suffisantes pour les animaux détenus aujourd'hui. Quel sera donc leur avenir ? Quelle alternative envisager ? Va-t-on améliorer leur bien-être s'ils sont vendus à l'étranger à des particuliers ou dans des zoos non contrôlés ? À l'inverse, des scientifiques, des vétérinaires, des capacitaires nous ont affirmé que la captivité n'était pas nécessairement incompatible avec le bien-être des animaux. Les zoos ont d'ailleurs un rôle, reconnu par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), de conservation d'espèces en voie de disparition et permettent, par l'observation des animaux captifs, d'acquérir des connaissances spécifiques utiles à la protection de la faune sauvage. Sur ce volet, nous défendrons donc un renforcement des exigences relatives au bien-être animal, davantage d'objectivité, de proportionnalité, de concertation, de transition et d'accompagnement.

En conclusion de ces remarques sur le texte, je souhaite dire un mot de ma philosophie générale. Je pense que les animaux apportent un enrichissement considérable de nos vies humaines, comme nous en avons probablement tous fait l'expérience au sein de nos foyers. Se priver de leur contact, des lieux de rencontre où les enfants peuvent les découvrir, se priver de faire naître des vocations de biologistes, de vétérinaires, de chercheurs serait une erreur et une perte de patrimoine regrettable. Comme je l'ai dit, j'ai voulu enrichir le volet « positif », constructif de ce texte, et manier avec prudence l'outil facile de l'interdiction, utilisé à l'excès dans le texte issu de l'Assemblée nationale. Je m'écarterai des positions dogmatiques et préférerai valoriser des solutions opérationnelles, reposant sur des critères objectifs et scientifiques, élaborées en lien avec les professionnels, les associations et les vétérinaires, pour améliorer les conditions de vie de nos animaux. Nous avons la chance d'avoir, en France, de grands professionnels qui font un travail remarquable auprès des animaux. Améliorons encore nos pratiques, érigeons-nous en exemples à suivre plutôt que de renvoyer cette responsabilité à d'autres.

« Sauver l'espoir », c'est « sauver les animaux qui sont notre espoir », disait Konrad Lorenz. C'est le sens des propositions que je vais vous présenter dans un instant. Pour refléter ce changement d'approche, je vous proposerai enfin de renommer l'intitulé de la proposition de loi, qui viserait non plus « à renforcer la lutte contre la maltraitance animale », mais « à renforcer les liens entre humains et animaux ».

Pour terminer, je tiens à remercier notre présidente, qui, en me proposant d'être rapporteure sur ce texte, m'a placée sur le chemin de bénévoles, de professionnels et d'animaux exceptionnels.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion