Intervention de Jacques Mahéas

Réunion du 28 mars 2006 à 16h30
Bilan des violences urbaines et situation dans les banlieues — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jacques MahéasJacques Mahéas :

Au mois de novembre dernier, le Premier ministre promettait des solutions pour le mois de janvier. Et qu'avons-nous vu venir pour répondre au cri de la jeunesse des banlieues ? Un énième plan pris dans l'urgence et un projet de loi ne visant l'égalité des chances que dans son titre, un catalogue de mesures disparates et sans cohérence d'ensemble, un maladroit replâtrage qui ne tire pas les leçons du passé et ne traite pas les problèmes à la racine.

Alors que la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années ne s'est constituée au Sénat que le 16 janvier et rendra les conclusions de ses travaux en octobre prochain, que trouve-t-on dans ce projet de loi ? Notamment, l'apprentissage à quatorze ans, le travail de nuit des jeunes de moins de quinze ans, le contrat de responsabilité parentale - c'est-à-dire la fin des allocations familiales pour tous - et le tristement célèbre CPE, ce contrat première embauche instaurant la précarité obligatoire pour les moins de vingt-six ans.

Il est totalement indécent de transformer la jeunesse en main-d'oeuvre malléable, corvéable à merci et jetable sans motif ni formalité.

Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour demander l'abrogation de cette mesure inique. Ni retrait, ni suspension, ni dénaturation : telle est l'inflexible réponse qui est apportée !

Quant au frère aîné du CPE, le CNE, ou contrat nouvelles embauches, il a déjà suscité de nombreux recours devant les prud'hommes. Une circulaire du ministère de la justice invite les procureurs à rapporter systématiquement les décisions prud'homales relatives au CNE et à faire appel, en cas de violation des dispositions de l'ordonnance du 2 août 2005, « dès lors que l'ordre public est concerné ». Dans un communiqué du 24 mars, le Syndicat de la magistrature dénonce ladite circulaire, souligne que l'ordonnance créant le CNE « n'édicte en aucune manière des règles d'ordre public pouvant justifier cet appel des parquets » et « demande le retrait immédiat » du texte.

Comment ne pas comprendre que cette génération monte de nouveau au créneau ? Ces jeunes n'en peuvent plus d'être désignés comme de perpétuels fauteurs de troubles parce qu'ils porteraient tel type de vêtement, écouteraient du rap ou se réuniraient dans des halls d'immeubles !

C'est ainsi que la protestation partie des cités sous des formes violentes, condamnables, gagne désormais toute une jeunesse qui se sent laissée pour compte. « Citrons pressés essorés » scandaient des étudiants, reprenant les initiales du CPE, pour exprimer leur colère.

Ils demandent l'égalité et on aurait tort de ne pas les écouter, de ne pas préférer le dialogue à l'envoi des forces de l'ordre.

Notre jeunesse est un espoir et une chance, pas une menace à contenir à grand renfort de gaz lacrymogènes.

Mais, une fois de plus, le Gouvernement privilégie le « tout-répressif » au détriment de l'éducation. L'école est d'ailleurs la grande absente du projet de loi pour l'égalité des chances.

Le Gouvernement sort du système scolaire des jeunes de quatorze ans, alors qu'il inscrivait l'an passé dans la loi la nécessité d'un socle commun de connaissances.

Il affiche une liste de 249 collèges « ambition réussite », alors qu'il ne s'agit que de redéployer les moyens attribués aux zones d'éducations prioritaires, moyens pourtant déjà faibles - 600 millions d'euros - au regard de l'enjeu. Les 1 000 nouveaux enseignants ne seront affectés qu'en puisant sur la dotation globale horaire, autrement dit en rognant sur d'autres établissements devenus moins prioritaires. Poudre aux yeux et curieux sens de l'égalité !

Cette démarche relève surtout d'un choix politique quand des sommes six fois supérieures sont prévues en matière de baisses d'impôt pour la seule année 2007 !

Mais votre gouvernement n'a jamais donné à l'éducation la place prioritaire qui devrait être la sienne. Au contraire, il est à l'origine de budgets ponctionnés, d'une diminution des postes ouverts aux concours de recrutement, de la fermeture de nombreuses classes, de la réduction considérable des crédits pédagogiques, du manque de surveillants, de psychologues, de médecins scolaires, d'assistants sociaux.

L'équation est simple : moins d'adultes, plus de violences scolaires ! Ainsi, 80 000 incidents ont été recensés de septembre 2004 à juin 2005, soit une hausse de 1, 3 %, selon un rapport de l'Observatoire national de la délinquance de ce mois-ci, instance dont je suis membre.

Parallèlement, l'alignement de mesures répressives censées circonvenir la délinquance a échoué. Il suffit pour s'en convaincre de noter ce chiffre très inquiétant : les atteintes volontaires à l'intégrité physique, indicateur créé par l'Observatoire national de la délinquance, ont encore connu une hausse de 5 % en 2005 ; plus de 400 000 cas ont été recensés. Les violences physiques non crapuleuses, quant à elles, ont crû de 7, 8 %.

En tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, je ne peux que constater et déplorer le réel manque d'effectifs des forces de l'ordre sur le terrain, où sont affectés les personnels plus jeunes et les plus inexpérimentés. Depuis quelques années, on dénombre 500 policiers en moins.

Nous n'en finissons plus d'attendre, sinon de redouter, le projet de loi pour la prévention de la délinquance. En effet, les informations qui filtrent à ce sujet suscitent de légitimes inquiétudes.

Je m'arrêterai un instant sur l'instauration d'un « carnet de développement de l'enfant » de trois ans, au nom du repérage précoce du « trouble de conduite », catégorie de symptômes fourre-tout qui va de la crise de colère aux violences physiques. Sous couvert d'alibi médical, voici venu le casier judiciaire en couches-culottes !

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