Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la question dont nous sommes aujourd'hui amenés à débattre est, bien entendu, capitale, nous ne pouvons que regretter qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour de nos travaux alors que la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années poursuit sa série d'auditions et qu'elle n'a pas encore rendu ses conclusions. L'urgence, toujours l'urgence !
En effet, cette mission, qui a vu le jour au mois de décembre dernier, revient très fréquemment sur les événements de cet automne. Ce fut ainsi le cas lors de l'audition des maires touchés par les émeutes ou de celle de MM. Hugues Lagrange et Marco Oberti, chercheurs à l'Observatoire sociologique du changement ; ces derniers ont annoncé la publication prochaine d'un travail de recherche - nous n'en disposons donc évidemment pas aujourd'hui, pour éclairer notre débat - de plusieurs mois sur les émeutes de l'automne dernier.
Les différentes auditions permettent de confronter les points de vue et d'analyser les causes de ces événements. Cependant, tel n'a pas été votre choix. Pourtant, le travail effectué par la Haute Assemblée aurait pu servir de base à une réflexion plus éclairée, plus documentée, permettant une approche plus fine du sujet que nous abordons aujourd'hui.
La question que vous posez, cher collègue, porte essentiellement sur les violences qui ont perturbé notre pays à l'automne dernier. Plus de vingt jours d'affrontements et de violences urbaines ont mis en lumière la fragilité des banlieues et de leurs quartiers.
Si ces quartiers concentrent l'essentiel des maux de la société contemporaine, je voudrais commencer par rendre hommage à l'ensemble des acteurs publics, associations, forces de police, notamment les CRS, magistrats, pompiers, préfets, sans oublier bien entendu les maires, qui ont joué un rôle à la fois singulier et majeur face aux violences urbaines.
Mais, au-delà du bilan des événements dramatiques des mois d'octobre et de novembre derniers, ce sont, mes chers collègues, toutes les politiques menées dans ces quartiers qui doivent être remises en cause.
En effet, la situation dans laquelle des individus restent cloisonnés dans leurs quartiers respectifs, sans jamais se rencontrer, n'est aujourd'hui plus tolérable !
De nombreuses solutions ont, au fil du temps, été proposées. Des lois ont été adoptées et différents dispositifs, mis en oeuvre pour tenter de résoudre, avec plus ou moins de succès, les problèmes de violence, de chômage, de logement, ainsi que les problèmes scolaires.
Dernière en date, la politique de rénovation urbaine, dont le logement constitue le pilier central, est destinée à modifier le cadre de vie des cités et à redonner aux grands ensembles urbains un visage « plus humain ».
Le groupe UC-UDF a soutenu l'ensemble de ces mesures, et il soutiendra encore celles qui lui seront soumises dans quelques jours ; il regrette toutefois l'absence d'un dispositif similaire permettant accueillir les habitants de ces cités, à les écouter dire leur mal-être et à y répondre.
Car comment ne pas voir dans les tristes événements de l'automne dernier le fondement d'une crise identitaire de ces populations ? Celle-ci s'explique notamment par la combinaison de différents facteurs : la ségrégation ethnique, la paupérisation, la stigmatisation et la ghettoïsation des habitants des zones urbaines sensibles. Tout cela se traduit par une proportion croissante de jeunes déscolarisés et désocialisés.
Au lieu de mesures ponctuelles, prises au coup par coup, une politique plus structurelle est nécessaire. Nous déplorons que la multiplication des textes législatifs et réglementaires ait abouti à une discontinuité de l'action publique, au détriment d'une solution durable, prenant en compte la dimension humaine du problème.
En effet, chaque nouvelle majorité arrivant aux affaires s'évertue à défaire ce qu'avait mis en place la précédente. Quel gâchis ! Quelle perte d'énergie ! Quelle image donnée à la population !
L'important, aujourd'hui, est d'avoir une vision d'ensemble, cohérente, et d'offrir des solutions plus générales, s'inscrivant dans la durée.
Face à tous ces problèmes, la première réponse du Gouvernement fut la création toute récente, par voie d'amendement dans le projet de loi pour l'égalité des chances, de ce que M. le Premier ministre a appelé le « contrat première embauche », destiné à lutter contre le chômage des jeunes.
Nous nous sommes déjà exprimés sur ce sujet mais, je le répète, nous doutons de l'efficacité de cette mesure pour les jeunes qui vivent dans les quartiers difficiles et qui, ayant quitté le milieu scolaire trop tôt, ne peuvent pas trouver de travail. Ce n'est pas la loi qui incitera les entreprises à les embaucher !
Le véritable problème est que ces jeunes sortent du système scolaire sans que leurs acquis et leur façon d'être les rendent attractifs pour l'entreprise.
En France, chaque année, 160 000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification ni diplôme. Il faut leur offrir la chance de l'entreprise. C'est pourquoi notre priorité doit être de renforcer l'accès à la formation, à l'éducation et à la découverte des métiers.
La précarité est la principale caractéristique de la vie de ces jeunes. Ne leur proposons donc pas plus de précarité avec ce contrat qui ne les attire pas et qui ne conduira pas les entreprises à les embaucher.
Je suis d'accord avec M. le Premier ministre : il ne faut pas rester les bras croisés, mais, pour avancer, il faut entraîner, et non pas camper seul sur ses convictions. Il faut écouter les parlementaires plutôt que de céder à la pression populaire.
Par ailleurs, l'annonce d'un prochain projet de loi de lutte contre la délinquance nous fait craindre une fois de plus une stigmatisation de ces quartiers. S'il faut, bien entendu, lutter contre les nombreuses incivilités, et contre d'autres actes parfois encore plus graves, quels moyens permettront de sauver ces jeunes femmes et ces jeunes hommes de la spirale de l'échec et de l'exclusion ?
Nous devons encore accomplir de nombreux efforts pour intégrer ces jeunes et pour faire reculer la ségrégation ethnique, qui est toujours plus forte. Il faut s'interroger sur les causes de l'exclusion de ces jeunes du système scolaire et du monde du travail et sur ce qui les incite à rejeter notre république sous toutes ses formes et dans toutes ses représentations. Leur répondre, c'est d'abord les comprendre. Ce n'est pas leur imposer une solution élaborée dans le cabinet. du Premier ministre, lequel s'obstine à dire que c'est la seule !
Je tiens, en revanche, à souligner le rôle fondamental des maires lors de la crise de l'automne dernier. Ils ont probablement été des piliers essentiels pour y répondre. Les maires ont en effet su faire face aux problèmes que nombre de nos quartiers et de nos villes connaissaient alors.
Ces élus méritent des signes clairs de reconnaissance de la part des pouvoirs publics. Les maires doivent, dans chaque quartier, disposer de moyens de prévention. S'il n'est pas capital, ce signal n'en sera pas moins important. Donner aux maires les moyens à la fois humains et financiers de faire face à leurs responsabilités, c'est les doter de l'armature politique locale qui rendra possible le retour à la paix civile dans les quartiers et les villes de banlieue.
Dès lors que l'on croit, comme moi, à l'importance d'une approche territoriale des problèmes, qui mieux que le maire peut remplir cette mission ?
Dans cette perspective, quelles mesures, monsieur le ministre, comptez-vous prochainement proposer pour aider les maires à exercer leur lourde responsabilité, celle de rendre confiance à ces populations qui, poussées par le refus de la précarité, commettent des actes regrettables tels que ceux de l'automne dernier ?
Il faut réunir les maires, il faut les écouter ! Eux connaissent le terrain ; eux se sont frottés aux électeurs ; eux ont su montrer leur savoir-faire.
Nous savons tous que les marges de manoeuvre de notre fiscalité locale sont trop faibles pour nous permettre d'apporter des réponses adaptées aux problèmes des zones urbaines sensibles. À cet égard, une redéfinition des critères d'attribution de la dotation de solidarité urbaine est-elle prévue ?
Enfin, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur l'existence de travaux ou de réflexions quant à une éventuelle réforme des zones d'éducation prioritaires, les ZEP, et des cartes scolaires.
En effet, nous le savons, le système actuel contribue à stigmatiser et à concentrer les élèves en situation d'échec scolaire. L'une des clefs du problème réside donc dans la mise en oeuvre de dispositifs favorisant la mixité sociale. Il ne suffit pas de le dire, de le clamer : encore faut-il trouver les solutions qui permettront d'atteindre l'objectif affiché.
Ces questions n'ont pas vocation à être exhaustives. Il s'agit seulement d'aborder le problème sous différents angles. Mais il ne fait aucun doute que la politique de la ville doit s'inscrire dans la durée et offrir des solutions plus structurelles.
Les conclusions de la mission commune nous apporteront très certainement, grâce à une analyse approfondie, un éclairage important sur les politiques menées depuis quelque temps. J'espère que ses travaux ouvriront la voie à un début de réforme afin d'éviter des situations telles que celles que nous avons connues, et que nous connaissons encore, et de faire sortir ces jeunes de ces lieux de relégation et de ségrégation sociales.
Il faut, monsieur le ministre, calmer les inquiétudes ; il faut, monsieur le ministre, rencontrer, discuter ; il faut, monsieur le ministre, reconnaître ses torts.
Il faut également rendre au Parlement son droit d'amendement. L'acceptation des réformes nécessaires s'en trouverait mieux assurée.
Permettons aux Français, à tous les Français, de faire preuve de courage et de lucidité. Ils savent qu'il faut agir, mais ils ne peuvent accepter que quelqu'un, seul, agisse pour eux, et sans eux.