Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, presque cinq mois, jour pour jour, après le début des violences urbaines et une nouvelle manifestation de ce qu'il est convenu d'appeler « la crise des banlieues », la question orale avec débat posée par notre collègue Jean-Pierre Bel nous invite à dresser un bilan, chiffré notamment, de cette dernière grande vague d'émeutes, à l'automne 2005. Elle nous invite également à envisager ensemble des solutions efficaces, pour prévenir de nouvelles violences, toujours promptes à resurgir, à la moindre étincelle. Cette crise, en effet, est loin d'être résolue, les orateurs précédents l'ont dit. Elle est latente, et ces mêmes violences peuvent resurgir très rapidement.
La question du malaise urbain, du malaise des habitants des quartiers défavorisés, notamment des plus jeunes, n'est certainement pas réglée. Elle ne saurait l'être en quelques mois, ni même en quelques années.
L'actualité de ces derniers jours nous rappelle que les violences urbaines, qu'elles se produisent dans les banlieues ou dans les centres-villes, en marge des cortèges de manifestants, demeurent bel et bien une réalité que subissent les populations, et face à laquelle les élus locaux se trouvent le plus souvent en première ligne.
Le ministre d'État, ministre de l'intérieur, confiait la semaine dernière à un hebdomadaire qu'il y a un « danger que cette effervescence lycéenne et étudiante réveille l'agitation dans les banlieues, qui restent toujours extrêmement tendues ». Il ajoutait : « Personne ne croit qu'en trois mois les choses aient pu se régler en profondeur. »
Si, trop souvent, l'on rattache ces difficultés aux grandes villes et aux grandes banlieues, elles n'en ont pas l'exclusivité.
J'ai dû, personnellement, gérer cette agitation, cette folie incendiaire, dans ma ville de 26 000 habitants, avec des jeunes issus de quartiers difficiles. Ils se voyaient surtout stigmatisés par les reportages télévisés. Des images d'incendies choquaient l'esprit de ces jeunes, les obnubilaient. Ces images leur disaient : « Pourquoi pas nous ? ».
Après les violences urbaines de l'automne 2005, au delà de ces dégradations, qui pèseront inévitablement sur les budgets des communes concernées, l'heure est au bilan et aux propositions.
Je proposerais d'abord que l'on obtienne des médias une certaine retenue, sans bien sûr ignorer cette difficulté que constitue la nécessité d'informer. Les journalistes devraient toutefois pouvoir comprendre que, par des reportages quelque peu exagérés, ils sont souvent à l'origine de l'absence de discernement de nombre de jeunes de notre pays.
Avant d'envisager des solutions et de proposer de nouveaux dispositifs allant de la prévention à la répression, nous devons nous poser certaines questions.
Quel bilan peut-on tirer des émeutes de 2005 ? Quelle est l'ampleur des dégradations ? Quel est le coût pour les collectivités locales ? Quels sont les outils de la politique de la ville et de la sécurité qui ont fonctionné ? Quels sont ceux qui ont été défaillants ?
La Fédération française des sociétés d'assurances a estimé à 200 millions d'euros le montant global des dégâts, dont 70 millions d'euros pour les collectivités locales et 45 millions d'euros pour les sociétaires de la Société mutuelle d'assurance des collectivités territoriales, avec 120 communes touchées, sur 300 collectivités concernées, selon les chiffres du ministère de l'intérieur.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, ne faudrait-il pas que le Gouvernement applique la loi du 7 janvier 1983, qui prévoit que « l'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis [...] par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens » ? Il reste que le préjudice est pris en charge, dans un premier temps, par les sociétés d'assurances dans le cadre de la clause « émeutes et mouvements populaires ». N'y a-t-il pas, en matière d'indemnisation des collectivités, des mesures de simplification à envisager pour l'avenir ?
Ensuite, les outils mis en place par les pouvoirs publics et le ministère de l'intérieur depuis plus de dix ans en matière de prévention et de gestion de ce type de crise semblent ne pas avoir pleinement fonctionné. De l'aveu même de la fondatrice et ancienne directrice de la section « villes et banlieues » créée en 1991 au sein de la Direction centrale des renseignements généraux, « les savoir-faire acquis depuis quinze ans n'ont pas été mis en oeuvre correctement » ; « les pouvoirs publics ont appris à gérer les émeutes depuis quinze ans, ajoute-t-elle, mais ils ont échoué en novembre 2005 ».
Puisque l'heure est au bilan, une série de questions s'impose, monsieur le ministre : pourquoi cet échec ? Comment l'expliquer ? Quels sont ces « savoir-faire » qui n'ont pas été mis en oeuvre ? Surtout, vers quelles réformes de notre système d'alerte et d'intervention les services du ministère de l'intérieur s'orientent-ils ?
En revanche, l'analyse du traitement de ces graves violences urbaines montre que, dès les premiers jours d'émeutes, le rôle des maires dans la gestion de la crise a été important. Celui des associations n'a pas été moins déterminant pour l'apaisement de la situation dans certains quartiers, alors que la mobilisation de simples citoyens a elle aussi souvent permis d'éviter que ne surviennent des événements plus graves encore. Comme les orateurs qui m'ont précédé, je tiens à rendre hommage, à cet instant, aux intervenants que j'ai accompagnés et vus à l'oeuvre sur le terrain : les policiers, les gendarmes et, plus particulièrement, les pompiers, qui souvent étaient agressés en se rendant sur les lieux des incendies.
Depuis, les propositions des élus locaux, des experts, des responsables associatifs se sont multipliées, allant de la création d'un « plan Marshall » pour les banlieues à l'organisation d'un « Grenelle des quartiers populaires », en passant par une relance de la politique de la ville.
Plus généralement, les élus sont unanimes pour demander une remise à plat de la politique de prévention qui précise clairement leur rôle, un renforcement de la police de proximité, une meilleure répartition des moyens entre les quartiers en difficulté, sans négliger l'investissement humain.
L'un des principaux enseignements à tirer des dernières violences urbaines, c'est que le maire a été une pièce essentielle dans la gestion de cette crise. Grâce à sa connaissance du terrain, grâce à sa visibilité pour la population, il peut traiter des questions de prévention aussi bien que de sécurité. Il y a donc une certitude, monsieur le ministre : les maires sont des acteurs incontournables de toute politique de sécurité comme de toute politique de cohésion sociale, et ils doivent être au centre du dispositif retenu par l'État.
Mes chers collègues, les émeutes urbaines qui se sont déroulées en novembre 2005 ont fait resurgir les interrogations relatives à cette place du maire dans la politique de lutte contre la délinquance et dans la prévention des violences. Devant les difficultés que rencontre l'État pour créer les conditions d'une vie paisible, et plus encore pour rétablir celle-ci lorsqu'il y est porté atteinte, force est de constater que la politique de sécurité doit être, au moins pour partie, davantage décentralisée.
D'ailleurs, le Premier ministre n'a pas suscité d'étonnement lorsque, en réponse aux émeutes urbaines, il a annoncé la volonté du Gouvernement d'accorder au maire un rôle pivot dans la prévention de la délinquance. C'est, je crois, dans cette direction qu'il faut aller.
Plus précisément, il faut affirmer davantage le rôle du maire dans les dispositifs de sécurité et lui confier l'animation et la coordination de l'ensemble des dispositifs de prévention sur le territoire de sa commune, ce qui semble être envisagé dans le projet de loi pour la prévention de la délinquance.
Puisque le maire est en train de devenir une figure centrale de la lutte contre la délinquance, il serait peut-être temps de consacrer sa légitimité à cet égard et la confiance qui lui est témoignée, en l'autorisant à recevoir des informations couvertes par le secret professionnel, auquel il serait bien sûr lui-même astreint. N'est-il pas absurde, monsieur le ministre, que le maire reçoive des bulletins quotidiens énumérant, par exemple, les vols à la roulotte commis dernièrement sur le territoire de sa commune, sans qu'il soit informé de l'identité des victimes, qui bien souvent viendront ensuite le trouver directement ?... J'estime que ce mur entre les services de l'État et le maire doit être abattu, afin que ce dernier puisse être tenu précisément informé de ce qui se passe sur le territoire de sa commune.
Au regard des émeutes urbaines de 2005, quelles conclusions peut-on tirer concernant les contrats locaux de sécurité ? La preuve de leur efficacité a-t-elle été faite, ou faudrait-il inventer de nouvelles solutions ? Quelle est votre appréciation, monsieur le ministre, sur ces contrats locaux de sécurité ?
En matière de politique de la ville, il faut absolument engager une politique financée et cohérente dans les banlieues, avec un guichet unique. Cela passe, évidemment, par une plus grande péréquation des ressources au profit des communes les plus défavorisées.
Ces violences urbaines à répétition que nous vivons de façon chronique, quels que soient les gouvernements, depuis la révolte en 1982 du quartier des Minguettes, dans le Rhône, voilà une vingtaine d'années maintenant, nous montrent, s'il en était besoin, qu'il est nécessaire de redonner aux jeunes des repères et de leur apprendre les valeurs de la République à laquelle ils appartiennent.
Les causes des émeutes de novembre 2005 sont plus complexes que ne l'ont dit les médias. On ne peut exclure qu'elles aient aussi été la conséquence de l'efficacité des dispositifs policiers mis en oeuvre récemment, tels que les brigades anticriminalité et les groupes d'intervention régionaux, qui ont provoqué une révolte de ceux qui ne peuvent plus continuer leurs pratiques et leurs trafics comme avant.