Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il s'agit d'un moment un peu inhabituel dans cette assemblée puisque nous inaugurons, ou presque, un nouveau système : les sénateurs réfléchissent et soumettent ensuite à leur commission, en l'occurrence à la commission des finances, un rapport sur un sujet particulier.
Aujourd'hui, nous sommes appelés à débattre d'un rapport d'information sur le développement des télévisions de proximité, c'est-à-dire les télévisions locales.
Dans ce domaine, c'est un lieu commun de le dire, la France n'a pas été particulièrement à l'avant-garde. Il y avait sans doute de bonnes raisons à cela.
Néanmoins, je vois « vivre », ailleurs, depuis bien longtemps, soit depuis vingt-huit ans, une télévision de proximité qui connaît un taux d'audience très important : 80 % de la population, à un moment ou à un autre, parfois pour une brève période, la regarde parce qu'elle y trouve une identité locale.
Je vois également, ici ou là, en France, des télévisions qui se créent et trouvent leur place. Pierre Hérisson nous parlera tout à l'heure certainement de TV 8 Mont-Blanc et du combat qui a été livré pour monter cette chaîne. Aujourd'hui, non seulement TV 8 Mont-Blanc est une télévision qui fonctionne, mais en plus c'est une télévision en situation d'équilibre, ce qui est relativement important.
À l'heure actuelle, en France, seules une vingtaine de télévisions de proximité - plus quelques petites télévisions -sont diffusées en mode analogique. Cela signifie que peu de personnes ont osé franchir le pas et que peu de personnes ont réussi. Le bassin d'audience représente environ 8 millions de personnes, mais il s'agit essentiellement de télévisions de grandes villes. En conséquence, une grande partie des Français vit en dehors de ce mouvement de télévision de proximité.
Tel est l'état des lieux aujourd'hui : il existait, pour de bonnes raisons, un manque de fréquences et un problème d'équilibre financier.
Quoi qu'il en soit, à l'heure où nous sommes, je sens que beaucoup de nos concitoyens souhaitent vivre le développement de la télévision de proximité, même si celle-ci se fait rare. D'autant qu'aujourd'hui nous disposons de possibilités que nous n'avions pas hier.
Lorsqu'il s'agit de régler le problème des fréquences, tout le monde pense immédiatement à la télévision numérique terrestre, la TNT.
Je suis attentivement cette affaire : au 1er janvier dernier 50 % des Français recevaient la TNT ; à la fin de cette année, 66 % de la population, soit les deux tiers, la recevront. Il restera ensuite des petites îles à desservir, ce qui sera un peu plus difficile à mettre en oeuvre.
Reste que la volonté de faire existe, du moins dans la limite des possibilités technologiques. En effet, une partie du territoire ne pourra sans doute pas être couverte par le numérique terrestre. On nous dit que ces zones seront alors couvertes par le satellite.
Dans le même temps, - et l'on sous-estime la vitesse à laquelle tous ces événements se produisent - le haut débit s'installe partout : les collectivités locales, en particulier les départements, sont très actives dans ce domaine, le dégroupage se développe, et l'opérateur historique perd beaucoup de clients en raison de l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché. Le temps viendra donc très vite où la majeure partie des Français aura à la fois accès au téléphone, à la télévision et à Internet. Le plus étant que la télévision proposera des bouquets relativement riches.
En outre - cela existe déjà dans d'autres pays -, la télévision en haute définition arrive sur les téléphones portables. Les gens souhaitent un contenu le plus divers possible. En effet, ils ne s'intéressent pas qu'au football. Ils s'intéressent aussi à leur clocher et à ce qui s'y passe.
La télévision de proximité est précisément un domaine qui devra traiter de l'identité locale et être proche des gens afin que ceux-ci aient le sentiment que leur vie quotidienne dans toutes ses composantes en est le sujet. D'ailleurs, toutes les télévisions locales qui ont réussi ont su trouver ce juste ton. Le moment est enfin venu d'ouvrir cette nouvelle voie de la connaissance.
Cela étant, il y a des problèmes à régler, monsieur le ministre. Vous devrez donc répondre à un certain nombre de questions, notamment celles qui se posent au sujet du fameux multiplex R1.
M. Dominique Baudis, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, M. Christian Dutoit et M. Philippe Levrier, conseillers du CSA, que j'ai rencontrés il y a une semaine, m'ont confirmé qu'ils souhaitaient l'émergence de télévisions locales et qu'une place leur soit réservée sur le multiplex R1, géré en fait par France Télévisions, même si cela pose quelques problèmes ici où là. En effet, la situation sera totalement inverse de celle que nous connaissons avec l'analogique. Actuellement, il y a si peu de fréquences disponibles qu'il y peu d'appel d'offres lancés par le CSA.
Le multiplex R1, quant à lui, devra être rentable. Pour ce faire, il faudra l'utiliser. Cela signifie que, dans une stricte logique de diffusion, mais aussi dans une logique financière, il sera de l'intérêt de son exploitant de multiplier les appels d'offres. Cette technologie va donc naître.
La question technique étant résolue, se posent des problèmes financiers.
On va vivre une période durant laquelle coexisteront à la fois l'analogique et le numérique. J'ignore combien de temps, monsieur le ministre, mais vous allez sans doute nous le préciser. Or la diffusion en numérique coûte sept à huit fois moins cher que la diffusion en mode analogique. Cette technologie est donc beaucoup plus abordable. Mais on ne pourra pas laisser le multiplex R1 vide. Il faudra l'utiliser si l'on veut qu'il génère une économie. Il est donc très important de nous préciser, monsieur le ministre, comment sera gérée la période durant laquelle il n'y aura pas de recette.
En outre, certains opérateurs analogiques s'inquiètent d'avoir à payer deux fois. Ils protestent donc vigoureusement, et ils n'ont pas complètement tort. Ils ne veulent pas basculer d'un système à l'autre tant que la totalité du territoire ne sera pas couverte par le numérique, alors que l'ensemble du pays est aujourd'hui couvert par l'analogique. Il nous faut donc des précisions à ce sujet.
Or la quasi-totalité des télévisions de proximité, qui sont pourtant des télévisions de ville où les conditions de rentabilité sont meilleures, sont toutes déficitaires ou peu s'en faut, sauf de brillantes exceptions comme TV8 Mont-Blanc et quelques petites télévisions de pays. Afin de pouvoir continuer à exister, elles doivent donc parvenir à un équilibre financier.
Dorénavant, dans des délais qui ont été fixés par les textes en vigueur, ce média pourra progressivement faire appel à la publicité. Une syndication nationale sera donc nécessaire. Cette dernière collectera d'autant plus de moyens que beaucoup de télévisions existeront et que l'on pourra dire aux annonceurs que 50 %, 80 % ou 100 % des Français, et pas seulement 6 % ou 7 %, les reçoivent. Les deux problèmes sont donc liés.
Enfin, sur le plan du financement, il serait nécessaire de bien connaître l'état du droit et de nous dire quelles possibilités sont offertes aux collectivités locales. Je préside un conseil général, comme plusieurs d'entre vous, mes chers collègues. Je sais donc que les départements réclament ces informations.
Nous avons intérêt à participer en toute indépendance au contenu politique et à développer le contenu identitaire, et Dieu sait s'il y a des identités locales ! En effet, on découvre à chaque instant que les habitants ne connaissent pas leur département et ne savent pas ce qui se passe à l'autre bout. Grâce à ce nouveau média, il faudra satisfaire cette curiosité. Il s'agit donc d'un service d'intérêt général, d'un service public.
Monsieur le ministre, vous allez nous dire si vous comptez accompagner ce mouvement. Il y a différentes façons de le faire : la redevance, des aides au lancement, comme cela a pu se faire pour des radios associatives ou des radios d'intérêt local, fixer des règles pour la publicité.
L'intérêt de l'exercice auquel nous nous livrons aujourd'hui - nous sommes le 28 mars, date très importante dans l'histoire de la République -, c'est de dire qu'il va y avoir des télévisions de proximité en France. Celles-ci connaîtront exactement la règle du jeu à laquelle elles seront soumises, ce qui permettra, j'en suis sûr, leur développement et leur réussite.