Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son rapport d'information, Claude Belot s'est attaché à mesurer le degré de développement et les perspectives d'essor des télévisions locales en France. L'étude de la télévision locale en Europe et aux États-Unis nous apporte des informations intéressantes, ce dont nous ne pouvons que le remercier.
Si nous sommes pour le développement des télévisions locales, il se pose toutefois une question : à quelles conditions ?
Nous considérons, en effet, qu'il n'est pas opportun, pour ce faire, de brader la législation anti-concentration - sous prétexte de faire des télévisions locales qui n'en sont plus - ni de déséquilibrer les conditions de financement actuel des autres médias, les parts de marché publicitaire étant limitées.
D'ailleurs, le dispositif anti-concentration a déjà été considérablement assoupli par la loi du 9 juillet 2004 modifiant la loi du 30 septembre 1986, dispositif auquel les sénateurs socialistes s'étaient fermement opposés.
Nous nous étions ainsi opposés au relèvement à douze millions, contre six millions auparavant, du nombre d'habitants pouvant être couverts par un même opérateur détenant plusieurs autorisations de télévisions locales.
Nous nous étions également opposés à l'assouplissement du dispositif anti-concentration applicable à un service de télévision locale et de proximité portant à douze millions d'habitants, contre six millions auparavant, la population pouvant être desservie par une seule télévision locale.
Nous nous étions encore opposés à la suppression de l'interdiction pour une même personne de détenir plus de la moitié des parts de capital d'un service de télévision locale.
Enfin, nous nous étions opposés à la possibilité envisagée d'autoriser les services nationaux effectuant des décrochages locaux quotidiens de trois heures à collecter de la publicité pendant ces décrochages, dans des conditions qui, de surcroît, étaient pour le moins floues. Cette disposition, qui semblait faite sur mesure pour M6, chaîne qui effectue des décrochages locaux depuis 1989, n'a finalement pas été retenue.
Le dispositif anti-concentration multimédia a été tellement assoupli par la loi du 9 juillet 2004 qu'une véritable concentration horizontale au niveau local ou régional est en train de se dessiner. C'est ainsi que les grands groupes possèdent leurs journaux, leurs chaînes de télévision et leurs radios. De ce fait, l'information locale est concentrée entre les mains d'une même personne, alors que la télévision locale, pour être réellement locale, se doit d'être indépendante des grands groupes.
À cet égard, on peut définir quelques critères objectifs qui concernent tant la programmation que le financement.
Il faut, ainsi, une part majoritaire de programmes locaux et un financement majoritaire par des recettes collectées localement. Nous avions d'ailleurs proposé, en 2004, un amendement tendant à inscrire ces obligations dans la convention conclue avec le CSA par la chaîne. Quel intérêt, en effet, si la Socpress fédère un réseau de télévisions locales ne bénéficiant d'aucun fonds propre ni d'aucune liberté éditoriale ?
S'agissant du financement, nous sommes favorables à un fonds tant pour les télévisions associatives que pour les télévisions locales, mais sous certaines conditions. Ainsi, les ressources commerciales provenant de messages diffusés à l'antenne et présentant le caractère de publicité de marque ou de parrainage doivent être inférieures à un certain pourcentage du chiffre d'affaires. Lors de l'examen du projet de loi en 2004, nous avions d'ailleurs également déposé deux amendements en ce sens.
En outre, si ce fonds doit être financé par une taxe assise sur les recettes publicitaires des chaînes, il convient de ne pas tabler, contrairement à ce que préconise malheureusement M. le rapporteur spécial, sur un meilleur recouvrement. Il est préférable d'augmenter le taux du prélèvement, tant il est vrai qu'une augmentation même dérisoire de ce dernier permettrait de financer ce fonds.
L'ouverture progressive de la publicité pour la grande distribution à la télévision, telle qu'elle est prévue par le décret du 7 novembre 2003, et qui est effective pour les chaînes du câble et du satellite, concernera, dans un peu moins d'un an, c'est-à-dire en janvier 2007, les chaînes du spectre hertzien.
M. Belot propose de réserver, dans un premier temps, cette nouvelle forme de publicité aux seules chaînes locales, ce qui serait assez logique, ce type de publicité étant défini de manière restrictive ; elle concerne effectivement l'enseigne, non les produits, et constitue de ce fait un message de proximité.
Néanmoins, il convient d'être très prudent en la matière, puisque le principal bénéficiaire actuel du marché publicitaire de la grande distribution est un autre média local, la presse quotidienne régionale, la PQR, la publicité en faveur de la grande distribution représentant environ 30 % de ses ressources.
Dès lors, le fait de verser une part de la redevance audiovisuelle aux télévisions locales, comme le propose M. le rapporteur spécial, me semble relever quelque peu du bricolage.
En effet, la redevance est appelée à financer le service public audiovisuel national, en hertzien de terre. Acquittée par tous les détenteurs d'un poste de réception de télévision, elle ne saurait donc être affectée à des initiatives ne concernant pas l'ensemble des citoyens.
De surcroît, la redevance française est l'une des plus faibles d'Europe - 116 euros depuis 2005 et 116, 5 euros, soit un taux inchangé, entre 2002 et 2004 - et sert déjà à assumer de nombreuses missions. Sans doute faudrait-il avoir le courage d'augmenter ce prélèvement, ainsi que nous l'avions demandé à l'époque en accord avec la commission des affaires culturelles, mais cela ne semble être du goût ni de la commission des finances, ni du Gouvernement ; vous aurez remarqué que j'ai parlé du Gouvernement et non du ministre !
Pour ce qui est des télévisions associatives, beaucoup reste à faire.
En effet, alors qu'elles jouent un véritable rôle de proximité, ces associations vivent en permanence dans une situation très précaire, le mieux qu'elles puissent espérer étant une autorisation temporaire d'émettre délivrée par le CSA, pour une durée de neuf mois, sans appel à candidatures, conformément à l'article 28- 3 de la loi du 30 septembre 1986. Le lot commun reste donc la diffusion temporaire via un émetteur pirate.
L'argument du manque de fréquences ne peut désormais plus être invoqué pour les attributions de fréquences TNT.
Pourtant, le CSA n'a attribué aucune fréquence TNT à une télévision associative, et ce malgré la double candidature de Zalea TV et de la Fédération nationale de vidéos de pays et de quartier, la FNVDPQ, et alors que la loi de 1986, en son article 29, dispose que : « Le CSA accorde les autorisations en appréciant l'intérêt de chaque projet pour le public, au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels, la diversification des opérateurs, et la nécessité d'éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence.
« Le CSA veille, sur l'ensemble du territoire, à ce qu'une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l'expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l'environnement ou la lutte contre l'exclusion... »
Les sénateurs socialistes ont, depuis longtemps, chaque fois que l'occasion de modifier la loi de 1986 s'est présentée, ou lors de l'examen des lois de finances, demandé la création d'un fonds de soutien aux télévisions associatives, à l'instar de ce qui existe pour les radios associatives.
Or on nous a toujours opposé l'absence de moyens pour alimenter un tel fonds ainsi que le risque d'entamer les moyens aujourd'hui octroyés au fonds de soutien à l'expression radiophonique, le FSER.
Il est pour le moins surprenant d'entendre M. Belot prétendre qu'un meilleur recouvrement de la taxe « hors média » et de la taxe sur les recettes publicitaires, qui alimentent ce fonds, permettrait un réel financement d'un fonds, non pas seulement pour les seules télévisions associatives, mais pour l'ensemble des télévisions locales.
Pour notre part, nous estimons nécessaires des dispositions législatives plus contraignantes pour favoriser l'essor des télévisions associatives.
Ainsi, en 2004, nous avions proposé que le CSA favorise les services de télévisions associatives locales lors de l'attribution des fréquences de la télévision numérique de terre.
Pour conclure, j'évoquerai brièvement le problème de la rationalisation des coûts de France 3. En effet, le service public de l'audiovisuel doit lui aussi remplir une mission de proximité. France 3, qui dispose de treize directions régionales et de vingt-quatre rédactions locales, a développé ce type de service sur l'ensemble du territoire.
Or, dans un récent rapport, l'Inspection générale des finances préconise la fusion des rédactions de France 2 et de France 3, l'externalisation ou la filialisation de la filière de production de France 3 ainsi que la réduction des effectifs du groupe et la diminution du nombre des rédactions régionales de cette dernière chaîne, ce qui a mis le feu aux poudres.
M. Patrick de Carolis s'est déclaré hostile à de telles réformes. Néanmoins, Mme Geneviève Giard, la nouvelle directrice générale de France 3, a d'ores et déjà regroupé les six anciennes directions au sein d'une « direction de l'antenne », placé les vingt-quatre rédactions locales sous la coupe de la direction de la rédaction nationale et créé une direction des antennes régionales.
Dans ce contexte, il est préoccupant de constater que, parmi les budgets des cinq chaînes publiques, c'est celui de France 3 qui progresse le moins en 2006, avec une hausse de 1, 4 % qui signifie, en euros constants, une baisse des moyens alloués. Même si certaines réformes peuvent être nécessaires pour améliorer le fonctionnement de France 3 et renforcer ses missions de service public de proximité, nous refusons de demander à la publicité de financer encore davantage le service public, sauf à diluer sa spécificité.
Remercions notre collègue Claude Belot de son rapport, qui a permis de faire le point sur les télévisions de proximité à la veille du lancement de la TNT. Il nous a proposé plusieurs pistes afin d'offrir un soutien public et privé aux télévisions de proximité et d'accroître les ressources publicitaires de ces dernières.
Nous partageons son souhait de répondre aux attentes de nos concitoyens en promouvant une télévision qui traduise l'idéal d'une démocratie décentralisée, grâce à l'engagement des collectivités publiques. Néanmoins, l'État conserve tout à la fois un rôle essentiel d'impulsion, car il peut faciliter le financement public, et un rôle de contrôle du respect des objectifs grâce, notamment, au CSA.