Cela n'est pas étonnant : dans un monde de plus en plus globalisé, décentraliser est nécessaire pour redonner à nos concitoyens une emprise sur les décisions publiques, décentraliser est nécessaire pour rendre sa vitalité à notre démocratie.
Mais décentraliser ne consiste pas seulement à transférer des compétences aux collectivités locales. Le processus de décentralisation doit s'inscrire dans un projet de société bien plus vaste. Il suppose de redynamiser et de développer les cultures régionales et l'information locale.
C'est à l'aune de ces considérations que doit, à notre avis, être abordé le débat sur le développement des télévisions de proximité en France. C'est à l'aune de ces considérations qu'un tel débat prend toute son importance.
Le développement des télévisions de proximité dans notre pays doit être érigé au rang de priorité dans nos politiques de l'information. C'est ce que montre très bien dans son excellent rapport d'information notre collègue Claude Belot, dont je tiens à saluer le travail.
Le rapport Belot est un instrument très utile, grâce auquel d'importants progrès pourraient être réalisés en la matière dans les années à venir. Nous devons tous nous sentir interpellés. Comme certains de mes collègues l'ont déjà souligné, Claude Belot révèle que la France a pris du retard dans le développement de la télévision locale, notamment par rapport à l'Allemagne et aux États-Unis. C'est ce retard, monsieur le ministre, qu'il nous incombe de combler.
Pour ce faire, nous disposons de deux outils qui, l'un et l'autre, doivent être optimisés.
Le premier de ces outils est, bien entendu, le cadre juridique dans lequel s'inséreront dorénavant les chaînes locales. Ce cadre est avant tout fiscal. Nous nous réjouissons que la fiscalité ait été récemment aménagée au profit des antennes locales. En outre, il était nécessaire de permettre à toutes les collectivités territoriales et à leurs groupements d'éditer un service de télévision par voie hertzienne ou par un canal local du câble. C'est chose faite depuis la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. Si nous ne pouvons que nous en féliciter, il faut aller plus loin.
Le second outil nécessaire pour promouvoir le développement des télévisions locales est, bien entendu, l'amélioration des modalités de leur financement. À l'instar du cadre juridique, nous nous réjouissons également que cela ait pu être récemment décidé.
D'une part, le financement public direct est possible et encouragé par le bénéfice d'un taux de TVA réduit sur les versements effectués. D'autre part, l'ouverture aux télévisions locales des secteurs précédemment interdits de publicité a débloqué à leur profit de nouvelles sources, et importantes, de financement privé. C'est le cas, en particulier, pour la publicité des enseignes de la grande distribution, ces annonceurs disposant de budgets élevés.
Sur ce point, notre collègue Claude Belot souligne dans son rapport un point très intéressant et très encourageant : « L'ouverture des secteurs interdits de publicité devrait ainsi entraîner une réallocation des ressources publicitaires du hors-média [...] vers les médias ». Il en sera vraisemblablement de même du régime assoupli dont les chaînes locales bénéficieront pour la durée de diffusion des écrans publicitaires.
En tout état de cause, ces deux outils peuvent et doivent être optimisés. En ce sens, Claude Belot fait des suggestions qui nous paraissent pertinentes.
Notre collègue propose ainsi de fixer un second plafond des dépenses restant à la charge des télévisions locales pour le réaménagement des fréquences lié au passage à la TNT. Avec ce second plafond, qui serait fixé en prenant en compte le chiffre d'affaires des chaînes, et non pas le nombre d'habitants qu'elles couvrent, le cadre juridique des chaînes locales serait amélioré.
Seule la TNT est capable de modifier de façon significative ce paysage audiovisuel en y intégrant les télévisions locales. Il faut que le processus enclenché par le CSA préconisant le déplacement de France 4 sur un autre multiplex soit accéléré, ce qui permettrait d'accueillir sur le multiplex R1 les télévisions locales ainsi que, dans quelques cas, France 3. Et, si le R1 ne suffisait pas, il faudrait, monsieur le ministre, trouver une fréquence supplémentaire offrant obligatoirement aux utilisateurs les mêmes conditions de diffusion que le R1.
De même, il conviendrait de créer un fonds d'amorçage pour les télévisions locales, dans le giron du Fonds de soutien à l'expression radiophonique.
Au total, le rapport Belot dresse un panorama assez complet de la question du développement des télévisions de proximité dans notre pays.
Cependant, trois questions se posent encore à nous.
Premièrement, Claude Belot met l'accent sur les télévisions de proximité, sur les chaînes de pays et sur les chaînes de villes, mais pas sur les chaînes régionales. Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous pouvez vous imaginer à quel point je suis attaché au modèle, unique en France, d'une télévision d'identité régionale, qui est incarné aujourd'hui par TV Breizh.
Mais, au-delà de ce type de chaînes locales, qui représente à mes yeux l'avenir, les décrochages régionaux de France 3, comme l'a évoqué tout à l'heure notre collègue Louis de Broissia, posent un certain nombre de questions éludées dans le rapport d'information sénatorial.
Première question, l'article 24 de l'annexe 2 du décret du 16 septembre 1994 portant approbation du cahier des missions et des charges des sociétés France 2 et France 3 précise ainsi le rôle de cette dernière : « La société s'attache à développer l'information régionale et locale et à accroître le nombre d'éditions de proximité.
« Elle s'efforce d'augmenter les prises d'antenne par les directions régionales et d'utiliser une part croissante des programmes régionaux dans le programme national. » C'est donc clairement indiqué, France 3 est bien déjà une chaîne régionale.
Cependant, cette mission est mise à mal par le fait que les éditions régionales de France 3 entrent en concurrence avec le journal national de France 2, journal auquel le groupe France Télévisions a donné la priorité. En conséquence, la tranche d'information locale de douze heures à quatorze heures sera amputée de moitié.
Je comprends bien la raison invoquée par la direction de France Télévisions : il s'agit de réduire en quantité l'information régionale pour en améliorer la qualité. C'est un effort louable, mais il faut être vigilant et ne pas restreindre trop, dans l'avenir, le rôle de proximité de France 3.
Autre question posée par France 3 : les émetteurs de Canal Sat ne respectent pas toujours les frontières géographiques entre régions pour diffuser les éditions régionales. Ainsi, il peut arriver que des habitants de Bretagne reçoivent le journal des pays de la Loire et vice-versa.
De telles imperfections techniques portent atteinte aux éditions régionales de France 3. Là aussi, il faut, monsieur le ministre, être vigilant ; le politique a son mot à dire.
La deuxième question qui se pose aujourd'hui à nous pour le développement des télévisions de proximité est celle du financement privé de ces chaînes. Cette question est cruciale à deux titres.
Tout d'abord, l'apport de fonds privés doit venir compléter l'aide publique. Sans un tel apport, jamais la télévision locale ne pourra se développer en France.
Ensuite, savoir qui investira dans la presse télévisuelle locale, et, donc, qui la contrôlera, est une question politique majeure.
Sur ce point, le rapport de M. Belot, en dépit du fait qu'il a moins d'un an, est déjà en partie obsolète - mais notre collègue n'y est pour rien ! - du fait de la transformation de la politique de la Socpress. Je n'en dirai pas plus : chacun, ici, est au courant de ce qui s'est passé.
Enfin, troisième et dernière question, le débat d'aujourd'hui restera-t-il lettre morte, et les propositions formulées par le Sénat ne seront-elles qu'incantatoires ou envisagez-vous, monsieur le ministre, de les insérer dans un projet de loi ?
Dans la négative, le groupe de travail constitué autour de M. Claude Belot envisage-t-il de présenter ses conclusions sous la forme d'une proposition de loi ? Elle serait la bienvenue.
Ainsi donc, je me réjouis que nous puissions avoir un débat sur une question aussi importante que celle du développement des télévisions de proximité. Ce débat ne sera pas vain si nous obtenons des réponses aux questions soulevées par notre excellent collègue Claude Belot. Il convient, notamment, de soutenir le mouvement autour de la syndication publicitaire nationale, seul à même, sans doute, de générer de vrais revenus pour les télévisions locales, qui, même si elles se contentaient de 2, 5 % de parts d'audience nationale, verraient leur avenir assuré.