Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, moins de quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 2002 relative à la création d'établissements publics de coopération culturelle, nous voici amenés à étudier les aménagements et améliorations possibles à cette loi.
Faisant suite au rapport d'information d'Ivan Renar, qui a cerné les imperfections et les obstacles possibles au développement et au bon fonctionnement de ce nouveau statut juridique, il s'agit aujourd'hui, sur la base de l'expérience de quelques années de pratique et d'observation, d'amender ce dispositif. Quatre années se sont écoulées, qui ont été marquées par le succès de ce nouvel outil juridique destiné aux structures culturelles gérées par plusieurs collectivités territoriales partenaires.
Pour ne parler que de mon département, où la ville de Rouen a initié, dès 2002, pour son Opéra, l'un des premiers EPCC de France, en partenariat avec l'État et la région Haute-Normandie, un nouvel EPCC vient de se créer pour gérer le festival « Automne en Normandie », et un futur établissement est envisagé pour le pôle des Arts du cirque et de la rue d'Elbeuf.
Quels étaient les objectifs visés lors de la création des EPCC ?
Il s'agissait, premièrement, de confirmer l'implication des collectivités locales dans le domaine culturel, alors que les lois de décentralisation avaient laissé l'action culturelle en dehors de blocs de compétence. Pour ce faire, il paraissait nécessaire d'élaborer des instruments juridiques adaptés à la spécificité des services culturels, d'aménager les conditions de partenariats et de satisfaire la demande formulée par les élus locaux et les acteurs culturels.
Afin de répondre à cet objectif, la loi visait, premièrement, à organiser un partenariat entre l'État et les collectivités locales pour la gestion d'équipements culturels structurants, en dotant ces équipements d'un statut qui leur donne les mêmes atouts que ceux dont disposent les grands établissements parisiens.
En effet, il est difficile, voire impossible, de « découper » ou de répartir strictement les compétences des différentes collectivités en matière culturelle. Il faut préciser également que cette formule a permis et permet encore de lever en partie les réticences de l'État à transférer aux collectivités des compétences qu'il peut s'estimer seul capable d'exercer.
Selon les lois de décentralisation, les communes, les départements et les régions concourent avec l'État au développement culturel. Or, alors que ce ne sont que des « compétences facultatives », les collectivités locales ont massivement investi dans ce domaine, en y consacrant deux fois plus de moyens que ne le fait l'État.
Aujourd'hui, encore plus qu'il y a quatre ans, ce point est essentiel, à un moment où, dans le secteur culturel, il est question de la redéfinition ou du réagencement des compétences, donc des financements, entre les collectivités locales et l'État. C'est pourquoi la proposition de conforter la place de l'État dans le conseil d'administration de I'EPCC, inscrite dans la nouvelle rédaction du texte, me semble particulièrement utile. Celui-ci conserve ainsi son rôle de garant et d'expert.
Il s'agissait, deuxièmement, de créer un nouvel outil de gestion des politiques culturelles. Cette structure a permis d'institutionnaliser la coopération entre l'État et les collectivités territoriales et de doter d'un statut opérationnel les grandes institutions culturelles d'intérêt local et national.
En cela, le texte visait à répondre à un manque puisque, auparavant, deux structures juridiques étaient possibles : le groupement d'intérêt public et la société d'économie mixte, l'un et l'autre se révélant dans la pratique mal adaptés. Faute de mieux, l'association était la forme juridique la plus utilisée, avec les risques financiers inhérents à celle-ci, notamment en termes de comptabilité et de gestion des deniers publics, quand certains établissements étaient restés en régie directe, régime dont on connaît la lourdeur de fonctionnement. En cela, « c'est une formule bien adaptée à la gestion des collectivités territoriales regroupées », comme l'a indiqué Bernard Faivre d'Arcier dans le rapport que lui avait commandé l'Association des scènes nationales.
Il s'agissait, troisièmement, de doter les équipements culturels structurants d'un statut adapté.
Or l'on constate aujourd'hui que l'EPCC a permis à un certain nombre de grandes institutions culturelles en région de mettre en oeuvre des projets d'établissement, de nouer des partenariats avec d'autres institutions nationales, voire internationales, ou avec des partenaires privés, enfin d'avoir une politique artistique.
L'EPCC est un plus pour les grands projets structurants qui participent à l'aménagement du territoire : une scène nationale, un musée, une scène lyrique... C'est une structure juridique qui, en tout cas, permet de stabiliser et de pérenniser des outils de la politique culturelle dans une région, qui, à l'heure de la décentralisation, est à redéfinir. Les collectivités doivent, en effet, trouver ensemble les modalités de leur collaboration au profit des acteurs et des publics et au nom d'un intérêt général qui est lui-même à réaffirmer sans cesse.
L'Opéra de Rouen - Haute-Normandie - je vous remercie de l'avoir cité en exemple, monsieur le ministre -, l'un des tout premiers EPCC, a totalement répondu aux objectifs de la loi.
L'Opéra, alors sous statut associatif, était dans un contexte financier difficile, les collectivités n'étant engagées qu'au travers de conventions bilatérales à échéance variable. Aussi sa transformation en EPCC a-t-elle permis à la fois de pérenniser cet outil phare de la politique culturelle de la ville, d'augmenter puis de stabiliser les financements et les partenariats et de permettre la mise en place d'un plan pluriannuel d'investissement.
Aujourd'hui, nous franchissons une étape supplémentaire, les trois collectivités publiques initiatrices - État, ville, région - venant d'être rejointes par les deux départements de l'Eure et de la Seine-Maritime.
Ainsi, on voit bien que l'Opéra de Rouen fonctionne selon les principes constitutifs des EPCC, à savoir la décentralisation et le partenariat.
L'EPCC permet, d'une part, une plus forte implication des collectivités dans la prise de décision et l'élaboration du projet culturel et, d'autre part, la construction d'une politique en faveur de l'emploi artistique.
Enfin, pour le personnel, c'est aussi un cadre plus rassurant. C'est la raison pour laquelle les mesures stabilisant juridiquement le statut des personnels au moment du transfert d'une structure existante vers un EPCC sont particulièrement les bienvenues.
On comprend alors le succès que connaît aujourd'hui le statut juridique des EPCC. L'élément principal c'est, me semble-t-il, la souplesse de fonctionnement, alliée à la rigueur de gestion.
L'EPCC permet également de définir les moyens nécessaires à une politique artistique et culturelle ambitieuse.
En clarifiant le statut du directeur, dans les cas de transformation d'une structure existante en un EPCC, il faut garder en tête l'objectif poursuivi : mettre au coeur de la procédure de recrutement du directeur le projet artistique, culturel, pédagogique de l'établissement, répondant au cahier des charges préalablement établi par le conseil d'administration, autrement dit par l'ensemble des partenaires.
J'insiste, ici, sur l'importance d'un cahier des charges - et je remercie Ivan Renar d'avoir repris cette suggestion - défini par les différents partenaires qui s'entendent et travaillent ensemble sur les grands axes de la politique culturelle que souhaitent impulser conjointement les collectivités.
Ces objectifs doivent être un cadre de référence pour l'ensemble des acteurs qui font la pertinence d'une structure, à savoir le directeur et son équipe. Si les objectifs sont partagés, le projet fonctionnera, et le directeur conservera un large pouvoir d'appréciation et de décision, en tout cas une grande indépendance artistique. C'est même une garantie pour le directeur et l'équipe dirigeante, qui, une fois leur projet approuvé, disposent des moyens et de l'autonomie nécessaires pour le mener à bien.
Comme on le voit, l'EPCC ne peut se construire que sur un projet culturel pérenne. C'est pourquoi nous souscrivons aux modifications prévues par cette proposition de loi tant sur le mandat et le statut du directeur que sur la composition du conseil d'administration, qui visent à préserver la cohérence et la continuité du projet artistique et culturel.
En outre, cela permet, lors de la transformation d'un établissement culturel en EPCC, d'assurer le « tuilage » des structures en proposant au directeur d'assurer l'élaboration et le suivi du projet.
Par ailleurs, s'agissant de l'inquiétude exprimée par certains directeurs quant à leur autonomie, il faut rappeler que l'intérêt de I'EPCC est d'associer plusieurs collectivités qui ne sont pas toujours de même tendance politique.
En outre, I'EPCC permet de faire participer au conseil d'administration des personnalités qualifiées qui ont un rôle à jouer.
Si la répartition des sièges est intelligemment faite au moment où sont rédigés les statuts, aucun partenaire ne prend réellement le pas sur l'autre, et un équilibre se créée. A Rouen, nous avons même inventé un système original de présidence tournante : tous les trois ans, il y a alternance entre le maire de Rouen et le président de la région Haute-Normandie, ce qui évite une politisation excessive.
Il faut ajouter que, à la suite du rapport d'information d'Ivan Renar et des difficultés qui ont pu être identifiées, il apparaît aujourd'hui nécessaire de perfectionner les dispositions législatives et de préciser leur interprétation.
Les objectifs de la présente proposition de loi renforcent les éléments du succès des EPCC : clarifier et conforter le statut des acteurs, et accroître la souplesse du dispositif. Je me réjouis de constater qu'elle encourage la création d'EPCC dans d'autres secteurs culturels : écoles d'enseignement artistique, musées, monuments historiques, bibliothèques, création jusqu'alors impossible en raison de la non-parution de certains textes réglementaires.
En proposant que la question de la liste des établissements pour lesquels le directeur doit relever d'un corps ou d'un cadre d'emploi de fonctionnaire particulier et détenir certains diplômes spécifiques soit réglée par un arrêté, et non plus par la procédure plus lourde d'un décret en Conseil d'État, la commission assure, à l'avenir, la création de multiples EPCC dans ces secteurs.
Au-delà de ces modifications, en effet, il faut rappeler que l'EPCC doit résulter d'un choix politique partagé entre les collectivités autour de la culture. Il doit être ambitieux, au bon sens du terme, éclairé et motivé.
Si les élus sont soucieux d'une gestion saine et rigoureuse, ce qui est bien légitime, il faut que le choix d'un EPCC soit également le choix d'un projet culturel fort, s'inscrivant dans la durée, ne serait-ce que parce que le montage d'un tel projet est loin de n'être qu'une formalité : régler la question du transfert des personnels et des biens immobiliers ou les relations entre les personnels et les artistes, choisir le directeur et définir les objectifs qui doivent être le siens, tout cela prend nécessairement du temps et exige une volonté forte.
Pour conclure, je voudrais remercier notre collègue Ivan Renar, pour la qualité de son travail, ainsi que l'ensemble des membres de la commission des affaires culturelles qui ont participé à la réflexion et à la rédaction de cette proposition de loi. Elle est, en effet, le résultat d'un travail consensuel, c'est assez rare pour être souligné, qui a rassemblé des élus locaux profondément convaincus de la nécessaire réussite de la décentralisation culturelle.
Les différentes auditions que nous avons organisées et les tables rondes du 8 juin dernier étaient nécessaires. Elles ont été fructueuses, car la concertation a permis à des élus, à des directeurs d'établissement, à des fonctionnaires territoriaux et à des acteurs culturels de s'exprimer, de faire partager leur vécu, de nourrir le débat de leur expérience. Elles ont donné l'occasion, à chacun, d'apporter une pierre à cet édifice qu'est l'amélioration de la loi.