La taxonomie s'adresse :
- aux États membres qui imposent des mesures, des normes ou des labels publics pour les produits financiers verts ou les obligations vertes ;
- aux acteurs des marchés financiers qui proposent des produits financiers ;
- aux grandes entreprises, de plus de 500 salariés, qui sont déjà tenues de déposer une déclaration de performance extra-financière en vertu de la directive sur la justification d'informations non financières. Elles seront tenues, à partir du 1er janvier prochain, d'indiquer la part de leur chiffre d'affaires, de leurs dépenses d'investissements et de leurs dépenses d'exploitation, alignée sur la taxonomie.
Toutefois, il convient de préciser que, pour les acteurs du secteur privé, la taxonomie n'est qu'un label et ne les empêche pas de poursuivre leurs investissements dans des activités à fortes émissions de CO2. Par ailleurs, la taxonomie a été conçue comme un document évolutif, nécessitant d'être complété et actualisé.
Le règlement du 18 juin 2020 sur la taxonomie prévoit, par ailleurs, que la Commission est chargée d'établir, au moyen d'actes délégués, les critères d'examen technique permettant de déterminer si une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l'un des six objectifs environnementaux sans causer de préjudice à aucun des autres objectifs. Publiés au plus tard au 31 décembre 2020, en vue d'assurer l'application du règlement à partir du 1er janvier 2022, ces actes délégués doivent donc définir la frontière entre durabilité et nocivité.
On rappelera que les actes délégués ne sont pas transmis aux parlements nationaux aux fins de contrôle du respect du principe de subsidiarité, dans la mesure où ils ne constituent pas des actes législatifs. Toutefois, ils les complètent, rendant ainsi partiel le contrôle de subsidiarité exercé par les parlements des États membres. Comme le faisait remarquer l'ancien Président de notre commission, Simon Sutour, dans un rapport d'information publié en janvier 2014, « la pratique des actes délégués est loin d'être anodine et suppose, et même exige, une grande vigilance politique ».
Le mandat donné à la Commission européenne prévoit que l'élaboration de ces actes et leur adoption s'appuient sur des consultations et des conseils d'experts « possédant des connaissances et une expérience avérées dans les domaines concernés ». Les actes délégués doivent, par conséquent, se fonder sur des données scientifiques.
Le groupe d'experts techniques sur la finance durable a ainsi été invité à élaborer préalablement des recommandations sur les critères techniques permettant de déterminer le caractère durable d'une activité économique. Son rapport final, publié en mars 2020, tout en reconnaissant la contribution de l'énergie nucléaire aux objectifs d'atténuation du changement climatique, n'a pas recommandé son inscription dans la taxonomie, considérant qu'il ne respectait pas le critère d'innocuité (« no do significant harm »), en raison des questions posées par la gestion des déchets nucléaires. À la suite de ce rapport, la Commission a décidé de lancer des travaux sur ce sujet, en demandant à son service scientifique et technique - le Centre commun de recherche - une évaluation de l'énergie nucléaire au regard du critère « ne pas nuire significativement ».
Le rapport du Centre commun de recherche, publié à la fin du mois de mars 2021, qui n'a été validé par les deux comités d'experts qu'à la fin du mois de juin 2021, conclut qu'« aucune preuve scientifique [ne vient affirmer] que l'énergie nucléaire est plus dommageable pour la santé humaine ou l'environnement que d'autres technologies de production d'électricité déjà incluses dans la taxonomie en tant qu'activités contribuant à l'atténuation du changement climatique ».
Un premier acte délégué relatif au volet climatique - atténuation et adaptation au changement climatique - a été publié le 21 avril 2021. Dans deux annexes de près de 550 pages, il détaille, par secteur d'activité, les principes et critères techniques retenus. Le seuil de 100g de CO2 par kWh pour les activités énergétiques a été maintenu.
Après de nombreux débats, la Commission européenne a finalement décidé de ne pas inclure l'énergie nucléaire et le gaz naturel dans ce premier acte délégué, mais de traiter ces deux secteurs ultérieurement, dans un acte délégué complémentaire, prévu pour l'été 2021. Elle a en effet considéré que le processus d'évaluation scientifique du nucléaire n'étant pas achevé, elle n'était pas en mesure de trancher le sujet, mais qu'il était toutefois nécessaire de faire avancer la mise en oeuvre du règlement sur la taxonomie, qui avait déjà pris du retard.
Nous ne pouvons que regretter que l'ensemble des secteurs de l'énergie n'ait pas été couvert par un acte délégué unique, ce qui a contribué à focaliser les débats sur deux sources d'énergie qui ne sont pas comparables en termes d'émissions de gaz à effet de serre.
Ce premier acte délégué a été adopté par le Parlement européen en septembre dernier et le Conseil a jusqu'au 7 décembre pour formuler d'éventuelles objections. C'est aux alentours de cette date qu'un acte délégué complémentaire pourrait finalement être présenté par la Commission. Dans sa communication du 13 octobre sur la lutte contre la hausse des prix de l'énergie, la Commission précise en effet, sans en indiquer l'échéance, que l'acte délégué complémentaire sur le volet climatique de la taxonomie concernera l'énergie nucléaire ainsi que les activités de production de gaz naturel.
Plusieurs facteurs permettent d'expliquer cette « arrivée à maturité » de la décision : d'une part, l'augmentation de la demande d'électricité dans les prochaines décennies, liée à la transition écologique, dans un contexte de hausse des prix de l'énergie, et d'autre part, le recours au gaz comme énergie de transition, pour remplacer le charbon dans la production d'électricité.
Daniel Gremillet va vous présenter les autres points sur lesquels s'appuie notre position sur cet enjeu majeur pour l'avenir de la production d'énergie nucléaire.