Intervention de Jacques Fernique

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 novembre 2021 à 13h35
Marché intérieur économie finances et fiscalité — Inclusion du nucléaire dans le règlement délégué complétant le règlement ue 2020-852 du parlement européen et du conseil sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement ue 2019-2088 : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. claude kern daniel gremillet et pierre laurent

Photo de Jacques FerniqueJacques Fernique :

Sans finance durable, nous ne pourrons pas atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. La classification que doit publier la Commission européenne à la fin de l'année est donc cruciale. En identifiant les activités économiques respectueuses du climat et de l'environnement, elle permettra de guider les capitaux privés vers des entreprises, des produits financiers durables, non néfastes.

Cette taxonomie ne remplira pas son objectif si elle n'est pas crédible. Elle doit donc être un outil régi par des critères rationnels et scientifiques, et non le fruit de batailles menées par des lobbyings intenses.

Mon groupe ne partage pas la position de cette proposition de résolution visant à considérer l'activité de production nucléaire comme une activité durable, à la fois bonne pour le climat et pour l'environnement, ou en tout cas ne portant pas atteinte à l'environnement. Six Etats membres, à savoir l'Allemagne, l'Autriche, le Luxembourg, le Danemark, l'Espagne et le Portugal, ont exprimé nettement leur désaccord avec une telle évolution qui, pour reprendre leurs termes, « affecterait durablement l'intégrité, la crédibilité et donc l'utilité » de cette taxonomie. Au début du mois d'octobre, le Parlement européen a rejeté deux propositions d'objection du groupe CRE qui militait pour l'intégration du gaz fossile et du nucléaire. Il n'a échappé à personne que les soutiens du gaz fossile et du nucléaire font cause commune pour éviter une éventuelle majorité qualifiée de rejet. On touche donc là à un débat politique majeur. C'est d'ailleurs pourquoi mon groupe déposera une demande d'inscription de cette proposition de résolution européenne à l'ordre du jour du Sénat : ce débat majeur mérite ce cadre adapté.

Pourquoi le nucléaire ne peut-il pas être considéré comme durable dans cette taxonomie ? Certes, il provoque de faibles émissions de gaz à effet de serre pendant l'exploitation. Bien qu'en tenant compte de l'extraction, du raffinage, de l'enrichissement de l'uranium, de la construction des centrales, de leur démantèlement et du traitement des déchets, la facture CO2 s'alourdisse sensiblement. Mais, surtout, comment le nucléaire pourrait-il passer l'examen des six objectifs environnementaux de la taxonomie avec les déchets qu'il génère et les risques considérables qu'il entraîne ?

Si la catégorie « durable » demandée par cette résolution n'est vraiment pas raisonnable, certains, dans le débat européen en cours, envisagent un compromis avec la catégorie « transitoire », le nucléaire devenant une énergie d'appoint des énergies renouvelables, dans l'attente de leur développement complet. Il est d'ailleurs significatif que la proposition de résolution, que je qualifierais de maximaliste, n'évoque absolument pas cette option qui est pourtant largement envisagée aujourd'hui. Je précise qu'elle n'est pas partagée par mon groupe. À notre sens, au-delà de la question rédhibitoire des déchets, le nucléaire est aujourd'hui trop coûteux et trop lent à développer pour répondre aux objectifs climatiques des quinze prochaines années qui seront déterminantes.

Pour conclure, cette résolution me paraît déraisonnable quand elle revendique carrément la catégorie « durable » pour le nucléaire. Nombre des arguments présentés me paraissent hors-sujet, notamment sur l'évolution de la consommation d'électricité, ou sur la problématique de l'approvisionnement énergétique. Il serait peut-être envisageable de justifier le classement du nucléaire dans la catégorie « transitoire ». Il me paraît évident cependant que d'ouvrir les vannes des investissements privés et des subventions européennes et nationales vers le nucléaire et le gaz fossile entraverait le développement et le déploiement des solutions réellement durables que sont les énergies renouvelables, la sobriété et l'efficacité énergétiques.

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