Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 novembre 2021 à 13h35
Marché intérieur économie finances et fiscalité — Inclusion du nucléaire dans le règlement délégué complétant le règlement ue 2020-852 du parlement européen et du conseil sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement ue 2019-2088 : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. claude kern daniel gremillet et pierre laurent

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Ce sujet est complexe et il est dommageable qu'il soit traité tardivement. La Commission européenne doit trancher prochainement sur un acte délégué complémentaire alors que la question de l'avenir énergétique de notre pays mériterait un grand débat national et devrait être tranchée lors d'échéances particulières, notamment à l'occasion des prochaines élections présidentielles.

Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le groupe auquel j'appartiens est plutôt partagé. Pour ma part, je considère que l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie n'est pas une bonne chose. En effet, elle est un outil de transparence qui doit, d'une part, servir de référence au label européen des investissements verts et de standard aux obligations vertes, et d'autre part, éviter le « greenwashing ». En inscrivant le nucléaire et le gaz dans la taxonomie, étant donné qu'on se dirige vers ce compromis, ses objectifs ne seront pas atteints et l'ambition de faire des standards européens la référence mondiale de la finance verte non plus. C'est une occasion perdue pour la prééminence du modèle de l'Union européenne en matière de finance durable. Il est possible de douter que les citoyens épargnants ainsi que les investisseurs acceptent cette approche au regard du nombre d'États membres qui y sont hostiles, parmi lesquels on compte des capacités d'investissements particulièrement fortes. C'est le cas des six pays que vous avez cités. On peut aussi ajouter l'Italie. Nos collègues parlementaires italiens nous ont d'ailleurs rappelé qu'après deux référendums, la position de leur pays sur le nucléaire n'avait pas évolué. Certains pays ne se sont pas prononcés et sont dans une attitude dubitative. Je crains - et j'en suis convaincu à titre personnel - que l'inclusion du nucléaire et du gaz dans la taxonomie rende l'Union européenne peu crédible sur la scène internationale en matière de lutte contre le dérèglement climatique et d'émissions de gaz à effet de serre.

Il n'est pas possible d'aborder ce débat sur la taxonomie sans évoquer celui sur le nucléaire. Effectivement, le nucléaire est bon pour le climat. Il n'émet pas une quantité très importante de gaz à effet de serre. Mais il n'est pas bon pour l'environnement. En effet, la question des déchets n'est pas traitée. D'ailleurs, elle n'a pas de solution à moyen terme.

L'inclusion du nucléaire dans la taxonomie ouvre la perspective de prêts à taux réduits par rapport à ceux du marché, accessibles au grand opérateur qu'est EDF. Or la question qui est posée ne concerne pas les dix prochaines années mais les soixante suivantes. Pour les dix prochaines années, tout le monde ou presque convient qu'il est nécessaire d'accélérer le développement des énergies renouvelables. Dans ce cadre, il faudra prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes pour atteindre un double objectif, celui qui est inscrit dans la loi française votée sous le quinquennat précédent et qui n'a pas été remis en cause depuis, à savoir 50 % d'électricité d'origine nucléaire à l'horizon 2025, et celui fixé par l'Union européenne de réduction de 55 % des gaz à effet de serre à l'horizon 2030. Pour atteindre cet objectif, je pense qu'il faut flécher majoritairement et de façon intensive les financements sur les énergies renouvelables. S'agissant des soixante années suivantes, à compter de 2030, la question qui nous est posée et à laquelle nous ne pouvons pas répondre aujourd'hui, est la suivante : voulons-nous un nouveau programme nucléaire avec des EPR et d'hypothétiques micro-centrales, sachant que le coût du nucléaire ne cesse d'augmenter et qu'inversement, celui des énergies renouvelables est de plus en plus compétitif ? Les risques inhérents à l'énergie nucléaire sont connus, même si les règles européennes sont particulièrement strictes et devraient permettre de les éviter, mais rien n'est nécessairement acquis dans la durée, a fortiori si ce n'est plus le service public qui en est chargé. Je rappelle qu'en dehors de la France, ce n'est pas le service public qui développe le nucléaire. À l'échelle européenne, cela pose une vraie question. Par ailleurs, le problème des déchets n'est pas traité. Pour autant, les limites des énergies renouvelables sont aussi connues.

Au-delà de ces questions, l'argument de la souveraineté est souvent mis en avant. Or notre uranium est importé de pays souvent en proie à des conflits, do,c cela soulève des questions de géopolitique et de ressource. Notre dépendance ne sera pas liée à l'énergie produite mais à la source qui permet de la produire.

Enfin, ce débat suscite des controverses et des tensions à l'échelle européenne. Je rappelle que plusieurs Etats ont manifesté leur opposition très ferme et l'Autriche a récemment annoncé qu'elle saisirait la Cour de justice de l'Union européenne.

Je ne pense pas que le compromis visant à inclure le nucléaire dans la taxonomie soit pleinement satisfaisant dès lors qu'il s'accompagnera de l'inscription du gaz dans cette même classification. C'est l'ensemble de la crédibilité de l'Union européenne qui sera remise en cause à l'égard des investisseurs internationaux. C'est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne voterai pas cette proposition de résolution européenne.

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