Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Réunion du 2 décembre 2004 à 15h00
Loi de finances pour 2005 — Sécurité

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il ne m'appartient pas de juger le style des hommes qui nous gouvernent, surtout lorsqu'ils n'appartiennent pas à ma famille politique et que je ne pense pas pouvoir influer sur leur comportement ; je ne sais d'ailleurs pas qui le pourrait !

Le ministère de l'intérieur a été « agité » - j'emploie le terme à dessein - pendant deux ans par un spécialiste de la politique-spectacle qui a multiplié les effets d'annonce, et avec une telle habileté que le fait d'avoir énoncé des objectifs a pu faire croire à l'opinion publique que ces objectifs étaient non seulement exprimés, mais également atteints !

Hélas ! le retour sur terre est souvent décevant, quelquefois même très cruel. Les autres doivent « ramer » pour ne pas perdre la face. En l'occurrence, je ne parle pas de moi !

Malgré les affirmations du Gouvernement, 68 % des objectifs de la LOPSI n'ont pas été atteints. Je crois, au contraire, qu'un véritable retard se creuse en matière de recrutement comme en matière d'équipement, sauf pour l'armement - on a même remplacé les pistolets, alors que les utilisateurs ne le demandaient pas - et pour la protection des hommes, qui est une tradition depuis Pierre Joxe.

Pour le reste, la police de proximité est, quoi qu'on en dise, abandonnée. De ce fait, la police n'est plus guère présente dans certains quartiers, sinon lors d'opérations spectaculaires à caractère plutôt répressif. Mais, de présence régulière et familière, il n'y en a plus !

Comme, en zone de gendarmerie, pour des raisons d'effectifs et de charge de travail, la présence est aussi très limitée, ce sont finalement d'immenses zones du territoire où la dissuasion par la présence n'est plus effective.

Nous avions déjà dénoncé, voilà quelque temps, les risques de « dénationalisation » de la politique de sécurité. Le constat que je viens de faire nous renforce dans cette crainte, sans parler du projet de loi sur la prévention, qui mettrait le maire au centre de cette politique ! Les polices municipales ne seront-elles pas, bientôt, les seules à assurer cette mission de sécurité au quotidien, qui est pourtant une mission régalienne ? Monsieur le ministre, j'aimerais avoir votre sentiment sur ce point.

En vérité, je me demande si, par-delà l'apparent maintien des objectifs et l'affirmation de bons résultats en matière délinquance, il ne faut pas voir essentiellement de la gesticulation médiatique et une mystification. Trois questions, assorties de sous-questions, vont me permettre de préciser ma pensée, monsieur le ministre.

Premièrement, où en sommes-nous de la pénalisation pour entrave à la circulation dans les halls d'immeuble, délit institué par la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 ? Les résultats sont plus que médiocres ; nous l'avions annoncé. En effet, les forces de police ont des difficultés à faire les constats et les juges en ont encore plus à appliquer la loi dans sa rigueur. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

La pénalisation ayant montré ses limites, est-il vrai que vous souhaiteriez une « contraventionnalisation » de ce type d'infraction ? On dit - mais je m'égare peut-être un peu ! - que le garde des sceaux ne serait pas d'accord. J'aimerais que vous nous éclairiez sur ce point, monsieur le ministre.

Deuxièmement, M. Sarkozy a fait croire aux Français que la délinquance baissait. Il n'en est rien sur le long terme puisque le taux de criminalité pour 1 000 habitants est, en 2003, le même qu'en 1994, à savoir 6, 6 exactement.

Dans le cadre de cette politique-spectacle que j'évoquais, et à grand renfort de cérémonies médiatiques avec les préfets et les directeurs départementaux de la police, M. Sarkozy avait mis l'accent sur la culture du résultat, administrant des bons et des mauvais points. Les primes qui concrétisaient les bons points étaient distribuées d'une façon très médiatique, bien sûr, mais aussi, paradoxalement, très obscure quant aux critères d'attribution, ce que dénoncent d'ailleurs à peu près tous les syndicats. Certains d'entre eux considèrent même que ces primes sont désastreuses en raison des tensions qu'elles engendrent entre les services, voire entre les individus, en raison précisément de leur versement arbitraire.

J'ajoute que cette culture du résultat incite à des pratiques douteuses, révélées par l'Institut national des hautes études de sécurité.

Le cas des violences urbaines est caractéristique : il n'existe aucune harmonisation. Alors que la gendarmerie recense tout, du simple aux voitures incendiées, depuis 2003 la direction centrale de la sécurité publique ne retient plus que « les actions collectives à force ouverte contre la police ou les institutions ». Ainsi, les affrontements entre bandes ne sont retenus que s'il s'agit de la défense - ou de la conquête, c'est pareil - d'un territoire. De même, la police opère un tri entre les différents types d'incendie de véhicule.

Que pensez-vous de tout cela, monsieur le ministre ? N'y a-t-il pas risque de manipulation ? La mission du préfet Michel Gaudin, qui doit mettre au point de nouveaux indicateurs, avance-t-elle ? Plus généralement, reprenez-vous à votre compte cette culture du résultat ?

Enfin, troisièmement, monsieur le ministre, la fidélisation des forces dans les zones sensibles, et plus particulièrement en Ile-de-France, est une question lancinante, mais qui n'est pas réellement traitée. En effet, 80 % des agents nommés demandent, dès que possible, leur transfert, ce qui a pour conséquences une déstabilisation des services, un sous-encadrement. Mais le résultat le plus désolant, c'est que ce sont finalement les fonctionnaires les moins expérimentés qui opèrent dans les zones les plus difficiles.

Là encore, les effets d'annonce ont été nombreux, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que la politique sociale qui aurait dû être associée à ce principe de fidélisation ne suit pas, ou de façon ridicule. Les mesures concernant le logement des policiers, en location ou en accession, sont notoirement insuffisantes.

Par ailleurs, il n'existe aucune politique en faveur de la petite enfance dans un corps qui, pourtant, est en voie de féminisation rapide. Monsieur le ministre, nombre de syndicats ont trouvé grotesque - et je les comprends - la première expérience de crèche associative qui porte, tenez-vous bien, sur seulement dix berceaux !

En résumé, monsieur le ministre, à quand une véritable politique sociale en faveur des policiers ? Manifestement, ce n'est pas pour cette année !

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