Intervention de Éric Doligé

Réunion du 2 décembre 2004 à 15h00
Loi de finances pour 2005 — Décentralisation

Photo de Éric DoligéÉric Doligé :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai en préambule que je soutiens sans réserve le Gouvernement. Toutefois, comme d'habitude, je me permettrai de dire ce que je pense, en l'occurrence qu'il subsiste une marge de progrès pour l'année à venir.

L'UMP vous a montré, lors du vote de la loi relative aux libertés et responsabilités locales, qu'elle était favorable à un mouvement fort de décentralisation. Je me suis impliqué avec passion dans la décentralisation, et je continue de le faire. Je suis globalement satisfait, même si je regrette que la loi ne soit pas allée assez loin s'agissant des choix des compétences nouvelles transférées.

Par ailleurs, je regrette que la rédaction de la loi, floue et compliquée, en permette une trop large interprétation et se traduise par le transfert du législateur à l'administration du pouvoir d'adaptation du texte au bénéfice de l'Etat.

Il nous faut renoncer à cette mauvaise habitude qui consiste à écrire des textes difficilement lisibles doit être perdue. Je reconnais que nous avons en la matière une part de responsabilité, même si elle est légère.

Le décret, la circulaire, l'instruction sont des outils un peu trop répandus, qui permettent à l'Etat de décider du mode d'emploi qui l'arrange.

L'impact financier de la décentralisation a été, en théorie, fort bien cerné grâce à la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République et à la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales du 30 juillet 2004. Nous avons ainsi gravé dans le marbre une compensation intégrale, à l'euro près, des compétences transférées, conformément au principe d'autonomie financière des collectivités territoriales.

J'ai pris grand plaisir à la lecture de l'excellent rapport de Michel Mercier, dont le contenu est particulièrement dense et riche en informations. Comme notre collègue, je souhaite que nos collectivités bénéficient à la fois de garanties plus fortes et plus claires et d'une autonomie financière réelle. Je souhaite que vous ne décidiez plus de nos dépenses.

Le système actuel n'offre pas ces garanties, en raison de l'existence de multiples dotations. Ainsi en ai-je dénombré au moins une dizaine à la lecture du rapport : la DGE, la DGD, la DRES, la DDEC, la DDR, la DSU, la DSR, la DNP, la DFM et la DGF ! Comment un élu peut-il être à l'aise face à la complexité du calcul de ces compensations ?

D'un côté, l'Etat réduit la DGF en contrepartie d'un transfert de TCA. De l'autre, il augmente la DGF pour compenser la suppression de la vignette ou de la part salaire de la taxe professionnelle. Je mets quiconque au défi de justifier ces réductions et ces augmentations. Les services fiscaux ne sont pas en mesure de communiquer des chiffres aux collectivités territoriales. En matière de finances et de budget, le flou ne devrait plus être de mise.

Hier, lors du débat sur le passage du potentiel fiscal au potentiel financier, notre collègue Michel Charasse nous a expliqué qu'il était trop souvent difficile d'appliquer et d'expliquer la loi.

Ainsi, à la page 11 du rapport de Michel Mercier, la description des principes de mise en oeuvre de la dotation départementale d'équipement des collèges, la DDEC, compte-t-elle pas moins de onze lignes Personne ici n'est en mesure d'en donner le détail de mémoire !

Je ne suis pas contre les dotations, à condition qu'elles ne soient pas incompréhensibles et qu'elles ne dépassent pas un certain pourcentage des recettes des collectivités territoriales. Je vous demande donc, madame la ministre, monsieur le ministre, de veiller à ne pas abuser de ces mécanismes de dotation et de mettre en place des ressources dynamiques et propres aux collectivités.

Si vous me le permettez, étant comme tous les exécutifs départementaux et régionaux en pleine préparation de la mise en oeuvre de la décentralisation, je tenterai de vous décrire rapidement, par secteurs, certains aspects de l'application de la loi.

Compte tenu du peu de temps dont je dispose, je serai très bref sur l'aspect positif de la loi et sur les difficultés que pose sa mise en oeuvre, ainsi que sur les modifications ou les adaptations qu'il serait selon moi nécessaire d'y apporter. J'insisterai en revanche sur les traductions budgétaires de la décentralisation que je n'ai pas trouvées dans le projet de loi de finances et sur les secteurs où je ne constate pas une compensation à l'euro près.

Je commencerai par évoquer le logement social, qui légitime les actions mises en oeuvre par les collectivités compétentes.

Les difficultés actuellement rencontrées sont les suivantes : absence de périmètre suffisamment durable pour l'aide à la pierre et manque d'information sur les financements qui seront délégués, ainsi que sur leur évolution dans le temps.

Pour le FSL, les difficultés sont surtout financières. La modification du contenu de ce fonds risque d'entraîner une augmentation significative des dépenses, alors que les financements sont calculés sur les sommes dépensées avant les transferts.

Ne négligeons pas le risque de voir les partenaires, aujourd'hui co-financeurs, profiter du changement de statut pour se retirer du système.

Il est donc nécessaire d'apporter des garanties financières plus solides et peut-être de mieux affirmer les compétences des territoires.

En ce qui concerne le développement économique, j'ai souhaité que les départements soient reconnus et confirmés. Je me réjouis de ce que le Gouvernement m'ait donné raison. Sur ce sujet, je vous poserai deux questions.

Le transfert à la région à titre expérimental sera-t-il négocié au cas par cas ou une décision de portée nationale sera-t-elle prise ?

Quelles seront les modalités de négociation du transfert ? Une circulaire d'application est-elle envisagée à l'échelon national et, si oui, à quelle échéance ?

Une adaptation me paraît indispensable. Il est urgent que soient publiés le décret et la circulaire d'application des dispositions de la loi définissant le périmètre des aides économiques transférables.

J'évoquerai maintenant les infrastructures, autre sujet important.

Leur transfert permettra aux conseils généraux de conduire des politiques routières départementales de plus grande envergure et de répondre rapidement aux attentes locales.

Je ferai la même réflexion pour les infrastructures aéroportuaires et la navigation fluviale, dont la responsabilité peut relever de la région ou des départements.

Autre élément positif : l'amélioration des services aux citoyens.

En revanche, je ne cacherai pas que, déjà, nous ressentons quelques difficultés de mise en oeuvre en ce qui concerne le transfert des routes.

Les conditions du transfert sont difficiles, les services de l'Etat manifestant certaines réticences à communiquer préalablement les informations nécessaires sur les routes elles-mêmes, sur les moyens, notamment humains, qui y sont aujourd'hui consacrés, ainsi que sur le contenu du patrimoine à transférer.

Il serait bon qu'un engagement ministériel soit pris pour demander aux services de l'Etat de fournir très rapidement aux conseils généraux les informations qui leur sont indispensables.

Il nous faut connaître le contenu du patrimoine tant routier que bâti, avoir les informations nécessaires sur les flux actuels et les flux prévisibles des routes transférées, disposer d'éléments détaillés sur les effectifs affectés à cette mission.

Il est également indispensable que la totalité des moyens humains qui sont mobilisés aujourd'hui dans la mise en oeuvre des politiques nationales sur les routes transférées soit prise en compte, tout particulièrement en termes de maîtrise d'ouvrage et d'ingénierie.

Une clarification par une prise de position nationale sur ce point paraît indispensable.

En termes financiers, les difficultés que je viens d'évoquer et la définition du contenu du transfert peuvent avoir des conséquences importantes.

Si l'on doit considérer que « seules l'exploitation et la préservation des routes » sont transférées, ce qui n'a pas de sens s'agissant d'un transfert intégral de propriété et ne découle pas clairement d'un article de la loi, la compensation de la charge restera injuste et non proportionnée. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez cette interprétation tout de même assez curieuse de votre administration.

Le principe de l'arrêt des financements croisés sous-tend que les conseils généraux apportaient des financements dans les grands projets routiers maintenus à l'Etat à hauteur des financements que l'Etat apportait dans les programmes routiers transférés aux départements. Cela ne semble pas correspondre à l'esprit de la loi et, surtout, cela ne permet strictement aucune péréquation entre départements. Il y a là un tour de passe-passe qui ne peut nous satisfaire.

Cette forte diminution va pénaliser les départements qui auront peu ou n'auront pas de routes maintenues à l'Etat et priver ainsi totalement de compensation ceux qui n'en ont aucune.

Le département du Loiret finance ainsi depuis des années environ 30 % des investissements sur les routes nationales, comme la région d'ailleurs. L'Etat apportait pour sa part environ un tiers du financement. Demain, le transfert étant total, l'Etat n'apportera plus rien et le département continuera à investir pour les routes nationales transférées.

Si cette conception très arbitraire du décroisement était maintenue et si une vraie péréquation nationale n'était pas mise en place, il serait indispensable d'obtenir une compensation sous une autre forme pour les départements lésés.

Passons à l'éducation.

L'insuffisance du nombre des agents chargés des fonctions d'accueil nous est très vite apparue. Dans la très grande majorité des établissements - les trois quarts, selon notre évaluation, dans le département dont je préside le conseil général -, ces postes ne sont pas pourvus et l'exercice effectif de ces fonctions est reporté sur des personnels administratifs ou de direction non transférés. La fonction est donc transférée sans personnels.

Autre difficulté majeure : l'insuffisance des crédits de remplacement.

Selon l'évaluation des services académiques, les absences des personnels TOS ne font l'objet d'un remplacement que dans un quart des cas, ce qui entraîne bien souvent des blocages dans le fonctionnement.

Vous savez également que le recours aux personnels en CES est patent. Se pose la question du devenir des emplois aidés au-delà du 1er septembre 2005.

Il importe que les collectivités territoriales connaissent les moyens alloués, en postes et en budget, à ces recrutements indispensables pour compenser l'extinction de certaines catégories de personnels.

Nous avons par ailleurs découvert l'existence d'un différentiel de cotisations patronales entre emploi territorial et emploi d'Etat. La nécessité d'une prise en charge des cotisations de retraite des agents en détachement ne peut nous échapper. L'écart est actuellement de plus de 8 %.

La situation des services de restauration scolaire n'est également pas bien établie.

Je terminerai en évoquant la santé et les actions gérontologiques.

Je constate un report du transfert pour l'année 2006, alors que les départements n'ont plus, en vertu de la loi, budgété les actions sanitaires au titre de 2005.

Monsieur le ministre, si les motifs de satisfaction sont nombreux sur le fond, il reste des inquiétudes en matière de financement qui ne peuvent être apaisées par le simple rappel de la loi organique ou de la loi constitutionnelle.

L'esprit mis dans l'application de chaque article de la loi peut avoir un impact considérable sur les finances des collectivités. Je compte sur vous, madame la ministre, monsieur le ministre, pour donner des instructions fermes d'ouverture et de transparence.

L'objectif de l'Etat et des collectivités est le même : répondre à l'attente des citoyens en améliorant le service sans faire progresser le prélèvement. A entendre nos collègues, nous ne sommes pas tout à fait dans cette situation actuellement.

Comme nous nous situons avant la période des transferts effectifs, ainsi que le disait tout à l'heure M. Mercier, vous disposez encore d'une année pour revoir, si j'ose dire, la copie. Je ne me permettrai bien sûr ni d'insister ni de vous donner des instructions, mais les collectivités, en l'occurrence les départements, doivent pouvoir décider elles-mêmes de leurs dépenses, et il faut donc éviter que l'Etat ne leur transfère insidieusement - ce qui, bien évidemment, n'est pas dans son intention - certaines dépenses.

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