Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 2 décembre 2004 à 15h00
Loi de finances pour 2005 — Décentralisation

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

La réalité du terrain ne doit pas être absente de nos débats et de nos votes. Ce vécu fait déjà irruption dans la vie institutionnelle, et je m'en félicite.

La décentralisation, « mère de toutes les réforme », selon l'expression bien connue, provoque plus que des remous et plus que des inquiétudes : un réel mécontentement, qui s'organise en mobilisation civique et républicaine.

Ces piliers de notre société démocratique que sont les élus locaux se rebiffent quelque peu, comme on le voit ici même. Au congrès des maires de France, le Premier ministre est publiquement désavoué. Dans les départements, les élus locaux, à l'instar des 263 élus de la Creuse, organisent leurs protestations au nom de la confiance donnée par leurs électeurs.

La France « d'en bas » refuse de voir ses services publics s'éloigner toujours plus. Selon un récent sondage, 43 % des maires estiment que votre politique va plutôt dans le mauvais sens. Seulement 35 % d'entre eux la soutiennent.

L'expérience vient contredire les discours, qui se voudraient rassurants, du Gouvernement. Voilà le contexte de nos débats !

Vous présentez comme gage infaillible du financement de la décentralisation la réforme constitutionnelle, censée obliger l'Etat à financer tout transfert de charges aux collectivités, mais chaque recul de service public est une charge financière supplémentaire pour une collectivité locale.

Vous menez vos réformes au nom du gain de compétitivité de la puissance publique. C'est raisonner en dehors de l'intérêt général : où est le gain de compétitivité quand les habitants d'une commune doivent désormais effectuer trente kilomètres pour se rendre au Trésor public parce que vous avez réduit le nombre des agences comme une peau de chagrin ? Où est le gain quand une commune doit prendre en charge l'infrastructure du bureau de poste ou de l'antenne de la sécurité sociale ?

Votre politique revient à économiser un peu ici pour faire supporter les dépenses un peu plus partout ailleurs. Même le rapporteur pour avis de la commission des lois souligne dans ses conclusions « la nécessité de veiller au maintien des services publics ». Cela semble, hélas ! un voeu pieu. Et l'on ne pourra plus m'empêcher de pressentir un danger supplémentaire à chaque fois que ce gouvernement prononce l'expression « service public » !

La réalité de la décentralisation que vous menez est révélée par notre ancien collègue Daniel Hoeffel dans un entretien à la presse, paru il y a peu : « Les augmentations d'impôts locaux, je ne vois pas comment on va les éviter », avoue-t-il.

Dans son rapport, l'Observatoire des finances locales note justement que la croissance des recettes recouvre celle de la pression fiscale.

Ainsi, vous transférez aux collectivités locales le soin soit d'augmenter les impôts locaux, soit de gérer un service public exsangue.

Vous ne voulez pas donner à la puissance publique les moyens d'assurer ses missions. Vous pensez : « baisse des dépenses publiques » et non pas : « recherche des recettes adéquates pour répondre aux besoins de nos concitoyens et de leurs collectivités ».

En faisant de l'autonomie financière des collectivités un principe constitutionnel, vous voulez dynamiter l'égalité républicaine. Chaque collectivité est ainsi un peu plus livrée à elle-même, renvoyée aux limites de son propre potentiel fiscal.

Je me réfère à cet égard aux propos du président du conseil général de la Creuse, M. Jean-Jacques Lozach, interrogé par un quotidien national. Confronté à la disparition des services publics dans son département, il expose les énormes difficultés auxquelles il doit faire face : « Si j'augmente l'impôt d'un point, cela va me rapporter 209 000 euros alors que, si le président du conseil général des Hauts-de-Seine fait la même chose, il obtient 5, 8 millions d'euros. »

Dans mon propre département, votre ami Pascal Clément décide d'augmenter de plus de six points la pression fiscale, tout en diminuant la contribution du conseil général de la Loire aux communes.

Voilà la réalité de la décentralisation que vous annonciez voilà deux ans avec des slogans pseudo-modernistes. Qu'elles paraissent lointaines ces phrases creuses sur la proximité et sur la démocratie dont vous nous abreuviez alors !

Aujourd'hui, nous pouvons dresser les premiers constats des méfaits causés par votre projet et percevoir les signes de la méfiance et de la défiance des élus locaux envers votre action. Ces derniers ont le sentiment d'être, non pas plus libres dans leurs initiatives, mais plus restreints dans leurs possibilités.

Notre nation est autre chose, monsieur le ministre, qu'une addition de communes, de départements ou de régions. Notre République n'est pas la juxtaposition de territoires à mettre en concurrence !

Il se peut cependant que ce soit là la conception des thuriféraires du libéralisme, et je reconnais dans votre projet de budget la vision des partisans d'un modèle « euro-libéral », qui cherchent à effacer les divers acquis sociaux et démocratiques que se sont donnés les peuples européens pour mieux les intégrer à ce « marché où la concurrence est libre et non faussé » que voudraient proclamer certains à travers le « projet Giscard d'Estaing » de Constitution européenne.

Certes, le projet de budget que vous nous présentez innove. Vous nous dites qu'il garantit loyalement les transferts de compétences et l'autonomie financière des collectivités. C'est à voir ! En transformant le potentiel fiscal en potentiel financier, en créant une dotation superficiaire, vous innovez, certes, mais vous ne vous donnez pas les moyens de réellement évaluer les charges des collectivités pour établir leur dotation en fonctionnement. Il faudrait en effet prendre en compte le revenu moyen par habitant, ou encore la longueur de voirie, pour déterminer de justes dotations.

La dotation de solidarité urbaine serait réservée aux communes comptant sur leur territoire une zone urbaine sensible ou une zone franche. Peut-être est-ce là votre vision de l'équité, mais elle ne correspond pas à la réalité. La richesse ou la pauvreté fiscale d'une commune n'est pas liée à l'existence en son sein d'une zone urbaine sensible ou d'une zone franche. Bien des villes sont faites de quartiers plus ou moins développés en termes d'emploi et de qualité du logement. Votre approche est donc imprécise.

Vous vous abritez derrière le transfert aux départements d'une fraction du taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance et le transfert aux régions d'une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers pour réfuter l'idée que l'Etat transfère bel et bien des charges.

Ces deux recettes nouvelles ont un point commun : elles sont certainement...incertaines ; je rejoins là les analyses faites par M. Mercier.

Liée aux accidents de la route, la première est tirée à la baisse par la prise de conscience de nos concitoyens de la nécessité d'agir pour la sécurité routière.

Quant à la taxe intérieure sur les produits pétroliers, chacun sait que c'est un impôt peu sûr. Que le prix du pétrole progresse, comme c'est le cas depuis les derniers mois, et les automobilistes modifient leur comportement, laissant la voiture au garage. La faiblesse de leur pouvoir d'achat ne leur permet pas d'alimenter ainsi les caisses de l'Etat !

Le rapporteur spécial, notre collègue Michel Mercier, écrit lui-même que « la volonté affichée par le Gouvernement d'encourager les économies de consommation de pétrole n'est pas de nature à favoriser le dynamisme de la recette transférée aux régions ».

Monsieur le ministre, il faut entendre le cri d'alarme des élus locaux et, en écho, cesser de poursuivre et même d'amplifier vos choix initiaux !

Les membres du groupe communiste républicain et citoyen n'hésiteront pas à censurer par leur vote votre projet de budget.

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