Intervention de Thierry Lambert

Commission d'enquête Cabinets de conseil — Réunion du 2 décembre 2021 à 10h30
Audition de M. Thierry Lambert délégué interministériel à la transformation publique

Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique :

La DITP assure quatre missions.

La première est le pilotage de la mise en oeuvre des réformes suivantes : d'une part, les décisions prises par le Gouvernement au sein du comité interministériel de la transformation publique (CITP), dont je suis le secrétaire et dont l'objectif est de promouvoir une action publique plus proche, plus simple et plus efficace et de coordonner l'action des ministères pour atteindre cet objectif ; d'autre part, les réformes prioritaires du Gouvernement. Ce dernier pilotage, qui a fait l'objet d'une circulaire du Premier ministre en novembre 2020, vise à s'assurer que les réformes soient très concrètement perceptibles par les Français dans leur territoire et dans leur vie quotidienne.

La deuxième mission de la DITP est l'amélioration de la qualité de service et de l'expérience des usagers. La direction coordonne les actions qui visent à améliorer les standards de qualité de service et les engagements de service public, lesquels sont formalisés dans la charte « Marianne », devenue la charte « Services publics + ».

Cette charte est adossée à une plateforme qui permet aux Français de connaître les résultats de chaque service public dans leur territoire - la mise à disposition de l'information au plus près des usagers et du terrain revêt pour nous une grande importance - et aux usagers de donner leur avis sur les services publics, afin d'encourager ceux-ci à évoluer dans le bon sens ou de leur proposer des pistes d'amélioration. Cette plateforme, ouverte le 28 janvier 2021 par Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, monte actuellement en puissance.

La troisième mission de la DITP, plus connue, est de promouvoir la modernisation et l'innovation publiques, en partenariat avec les directions interministérielles compétentes, et de travailler sur l'adaptation de l'organisation des administrations de l'État aux niveaux central et déconcentré : promouvoir l'innovation managériale et les nouvelles méthodes de travail, la simplification pour les agents, comme nous le faisons pour les usagers dans le cadre de la deuxième mission. Cette symétrie des attentions entre les agents et les usagers est extrêmement importante.

La quatrième mission consiste à promouvoir de nouvelles méthodes pour faire évoluer le logiciel de l'action publique en étant davantage à l'écoute des agents et des usagers, et en associant davantage les parties prenantes à l'élaboration des politiques publiques. Nous animons ainsi un réseau de laboratoires d'innovation publique au niveau territorial, dans chaque région, ce qui nous permet d'être en contact très étroit avec les territoires.

Ces quatre missions de pilotage, d'animation et de programmation occupent à peu près la moitié des agents de la DITP. L'autre moitié est orientée vers l'appui aux administrations publiques, pour les aider dans leurs projets de transformation. Nous avons à cette fin plusieurs compétences dans les domaines du design, des sciences comportementales, de la facilitation et de la participation citoyenne. Parmi ces personnels, une équipe d'une vingtaine d'agents sont des consultants internes spécialisés dans l'organisation, la transformation et la conduite de projets, qui interviennent également auprès des ministères. Ces ressources représentent une vaste palette de compétences, et deux tiers de nos agents sont des agents publics sous contrat.

Lorsque les ministères se tournent vers nous, ils ont auparavant regardé ce que pouvaient leur apporter leurs inspections générales et leurs conseils généraux, qui sont le recours naturel des administrations publiques lorsqu'il s'agit de dégager des ressources en interne pour des projets ou lorsqu'un avis indépendant est recherché.

Néanmoins, la DITP a une première valeur ajoutée particulière : nos consultants internes sont recrutés dans des cabinets de conseil. Il s'agit donc de profils expérimentés, ayant cinq à huit d'expérience pour les chefs de projet, et de huit à quinze ans pour les directeurs de projet, qui sont familiers des techniques du conseil, de la direction de projet et du secteur public. Nous les recrutons, aussi, parce qu'ils ont un sens particulier du service public, et le plus grand nombre d'entre eux poursuivent leur carrière dans ce secteur. En ce sens, nous sommes un vivier.

La DITP a une deuxième valeur ajoutée particulière : nous avons une posture de partenaire exigeant et une méthode de travail très coopérative. Nous coconstruisons avec les administrations, tout en veillant au respect des orientations données par le Gouvernement en matière de transformation. Notre posture, originale, ne s'apparente ni à celle d'une inspection générale indépendante et distanciée ni à celle d'un prestataire externe, puisque nous ne facturons pas et n'avons pas d'objectifs commerciaux. Nous ne vendons pas du temps et n'essayons pas de faire durer les missions plus que nécessaire.

Par ailleurs, nos travaux ne visent pas à la remise de rapports ; c'est le résultat qui compte : l'administration que l'on est venu épauler a-t-elle réussi à faire aboutir le projet qu'elle souhaitait entreprendre ?

Je prendrai l'exemple des centres ressources autisme, qui sont engagés dans une démarche nationale d'optimisation et ont eu besoin de l'aide de la DITP ; grâce à ce travail, ils ont pu diminuer de cent jours les délais d'instruction et, surtout, réaliser 42 % de diagnostics en plus. Ils ont d'ailleurs appelé ce programme d'amélioration du service « mission DITP ». Cette mission a été une réussite, car, à la fin, une équipe était formée, capable de prendre le relais et de poursuivre la transformation.

Pour réaliser nos missions, nous utilisons des capacités externes. Nous avons plusieurs marchés publics en fonction des compétences que nous recherchons pour atteindre nos résultats. Notre objectif est d'augmenter la force de frappe. Dans un projet de transformation, le temps est extrêmement important, notamment le temps d'écoute passé avec les agents d'exécution de terrain. Il faut aussi appréhender les situations complexes que ceux-ci rencontrent. Pour augmenter nos capacités d'écoute et de production, nous avons recours à des prestataires externes, que nous utilisons aussi pour apporter une compétence qui nous manque, notamment pour déployer la solution que nous construisons avec les administrations de manière très concrète et opérationnelle.

À chaque fois que nous intervenons avec des prestataires externes, nous fonctionnons en équipe intégrée, comme c'est le cas dans le marché que nous utilisons. Le pilotage de la mission et le contact avec les administrations sont donc toujours assurés par la DITP ; nous ne déléguons jamais un travail à un tiers.

Par ailleurs, lorsque nous intervenons, nous demandons toujours que soit mobilisée une équipe de l'administration, avec laquelle nous travaillons en coconstruction, montons en compétences et intégrons les savoir-faire et les outils développés, afin que cette équipe puisse piloter les interventions elle-même. Ce modèle fonctionne bien et le recours à des consultants extérieurs est envisagé à chaque fois au cas par cas, en fonction des besoins, de manière très pragmatique. Encore une fois, nous ne déléguons jamais nos missions à des conseils externes.

Héritiers du SGMAP, nous avons une longue expérience du recours aux cabinets de conseil. Nous avons reçu mandat de la direction des achats de l'État (DAE), au début du présent quinquennat et à la suite du rapport de la Cour de comptes qui appelait à des rationalisations, de construire un marché interministériel d'assistance à la conception et à la mise en oeuvre de projets de transformation de l'action publique.

Ce mandat, qui a été notifié en juin 2018, est parfois appelé, à tort, le « marché DITP ». En effet, ce marché que la direction a passé pour le compte de tous les ministères, à l'exception de celui des armées, n'est pas centralisé à la DITP : chaque ministère demeure entièrement responsable de son utilisation, sans qu'il y ait de contrôle a priori ou a posteriori de la direction. Celle-ci n'exerce aujourd'hui aucun rôle de pilotage, de suivi ou d'évaluation du recours aux consultants par les ministères.

Si l'accord-cadre facilite l'accès à des prestations, du fait qu'elles ont été normalisées, rationalisées, avec une optimisation des prix, des modes d'intervention et des méthodes, la DITP n'a aucun mandat pour encourager les administrations à recourir à des prestations externes. Nous parvenons néanmoins au terme des quatre ans prévus pour cet accord-cadre. À la suite d'une demande du CITP, nous avons commencé à réfléchir à un plan des achats de l'État, donc à la façon de mieux maîtriser nos politiques de consommation en vue d'assurer un plus grand contrôle des dépenses de conseil ; dans ce cadre, la DITP pourrait avoir un rôle renforcé de conseil aux acheteurs, voire de « tour de contrôle ». Ces évolutions ont été proposées, mais ne sont pas encore arbitrées.

Vous m'avez invité à intervenir sur la question des règles de déontologie, qui sont pour nous très strictes. Ainsi, les personnels que nous recrutons et qui travaillaient auparavant dans un cabinet de conseil ne sont pas autorisés à prendre des décisions relatives audit cabinet. Par ailleurs, des personnes qui auraient pris des décisions au bénéfice d'un cabinet de conseil ne peuvent pas, pendant une période de trois ans, travailler pour ce cabinet. Des procédures internes sont prévues à cet égard et un déontologue travaille au sein de la délégation.

Je vous citerai un exemple personnel. J'ai un fils, étudiant à l'École nationale des ponts et chaussées, qui a réalisé un stage chez McKinsey, à l'issue duquel ce cabinet lui a proposé un contrat à durée indéterminée (CDI) à compter de septembre 2022. Je me suis donc immédiatement déporté : je n'ai plus de contact avec ce cabinet, et c'est mon adjoint qui prendra part à l'analyse de la négociation et des décisions le concernant. Je tenais à apporter ces précisions afin de donner à votre commission une image complète de la situation.

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