Intervention de Philippe Gouet

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 18 janvier 2022 à 14h30
Audition des associations d'élus : Mm. Frédéric Chéreau maire de douai représentant de l'association des maires de france philippe gouet président du conseil départemental de loir-et-cher représentant de l'assemblée des départements de france et Mme Françoise Tenenbaum conseillère régionale de bourgogne-franche-comté représentante de régions de france

Philippe Gouet, président du conseil départemental de Loir-et-Cher, représentant de l'Assemblée des départements de France :

Merci, Monsieur le Président, Madame la rapporteure, pour ce temps d'échange avec nos collectivités territoriales. J'ai proposé un titre à mon introduction : l'hôpital en danger.

Trois réformes ont déstabilisé l'hôpital, les 35 heures qui n'ont pas été suffisamment compensées par des embauches, l'introduction d'une logique de rentabilité en 2004 avec la tarification à l'activité, qui révèle beaucoup d'effets pervers, et la réforme de 2009, avec la loi HPST, qui a déresponsabilisé les médecins dans la gestion des établissements. Les réformes récentes n'ont par ailleurs pas tenu suffisamment compte d'éléments sociétaux, comme l'allongement de la durée de vie, la progression des maladies chroniques, la persistance des inégalités de santé, que la modernisation du système de santé n'a toujours pas réglés. Les hôpitaux français ont, de surcroît, fait le choix de conserver en interne de nombreux emplois (personnels de ménage, administratifs, restauration, agents techniques), quand la plupart des pays du monde recourt à des sous-traitants privés. En conséquence, un tiers des effectifs des hôpitaux sont des personnels non-soignants, contre un quart en Allemagne, en Italie ou en Espagne.

Au-delà des polémiques sur le nombre de lits fermés, médecins et responsables hospitaliers sont nombreux à s'alarmer de voir les soignants « quitter le navire ». Selon une enquête réalisée l'été dernier par la Fédération hospitalière de France, 25 000 postes d'infirmières et d'aides-soignants seraient vacants, auxquels il convient d'ajouter un tiers des postes de praticiens hospitaliers, sans compter un absentéisme de 11,5 %, au lieu des 9 % habituels. L'ensemble des régions sont touchées à des degrés divers (urgences fermées la nuit, unités de soins qui ferment, opérations reportées, avec toujours ces mêmes images de brancards dans les couloirs).

L'hôpital de Valenciennes expérimente depuis 10 ans une gestion décentralisée et compte seulement 5 % de personnel non médical, déléguant 80 % du budget aux chefs de pôle, qui peuvent ainsi recruter des personnels et acheter des équipements rapidement en fonction de leurs besoins. Cette autonomie laissée aux médecins libère l'esprit d'initiative. Les résultats sont éloquents. Le taux d'absentéisme est inférieur à 8 %. Ce type d'établissement est excédentaire depuis 7 ans.

Le département est un acteur de santé publique à part entière. Il constitue l'échelon essentiel du dispositif relatif à l'action sociale et médico-sociale. Il dispose en effet de la compétence en matière de protection maternelle et infantile (PMI). Il contribue à la résolution des difficultés médico-sociales liées à la périnatalité et à la petite enfance. Les compétences des départements en matière de santé publique se retrouvent également dans la prévention et le dépistage de la tuberculose, des maladies sexuellement transmissibles ou du cancer. Par ailleurs, le département exerce sa compétence dans le domaine du handicap (insertion sociale et aide financière aux personnes handicapées, gestion des maisons départementales des personnes handicapées), ainsi que dans celui de la dépendance par la création et la gestion des maisons de retraite notamment. Citons de surcroît la politique de maintien des personnes âgées à domicile.

Se pose également la question du transfert de la médecine scolaire au département. Cette question a été posée avec le projet de loi 3DS via l'adoption d'un amendement demandant au Gouvernement un rapport retraçant les perspectives du transfert de la médecine scolaire au département, son coût, les modalités de recrutement et de gestion des personnels envisagés. Ce transfert de la médecine scolaire au département doit préparer l'avènement d'un service médical de PMI et de santé scolaire pour les 0 à 16 ans.

Enfin, les départements gèrent les SDIS (services de secours de sapeurs-pompiers). D'abord confrontés à la carence ambulancière, les SDIS sont aujourd'hui mis en présence de la réforme de la garde ambulancière. Pilotés par le ministère de la santé depuis 2019, les travaux préparatoires n'ont pas inclus les collectivités territoriales avant le début de l'été 2021. La réforme du transport sanitaire urgent prévoit de mettre en oeuvre la garde ambulancière en continu et l'organisation selon les découpages géographiques et horaires. Elle prévoit de ne pas couvrir les secteurs et plages horaires qui justifient moins de deux interventions, ce qui nuit aux zones rurales. En conséquence, le seul recours hors couverture de la garde ambulancière sera les sapeurs-pompiers et les SDIS. Les inégalités entre territoires risquent de se creuser. Les plus pénalisés sont souvent les plus modestes. Ces derniers pourraient connaître des ruptures capacitaires.

Il s'agit de mieux intégrer l'hôpital dans les politiques d'aménagement du territoire. Face aux déserts médicaux qui affectent les territoires, les Français veulent consolider l'offre de soins, afin de la rendre plus accessible dans la proximité. Les collectivités territoriales, en particulier les départements, ont oeuvré pour la mise en place des maisons de santé, la mise en circulation de bus santé prévention dans les territoires les plus fragiles, l'octroi de bourses aux étudiants de médecine, le recrutement direct de médecins par des départements dont les moyens budgétaires le permettent. Malgré ces initiatives, il convient d'aller plus loin et d'inscrire ces initiatives en lien avec l'acteur hospitalier. Les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) doivent être renforcés dans leur chapitre d'accès aux soins, d'où la nécessité d'une étroite concertation avec les départements du territoire. Cette proposition a été avancée par l'ADF lors des négociations sur le projet de loi 3DS adoptée au Sénat en première lecture.

Il s'agit en outre de mettre en place les nouvelles dispositions de la loi 3DS clarifiant la possibilité pour les départements de créer des centres de santé. Selon l'étude d'impact jointe au projet de loi, cette évolution se justifie par la volonté de certains départements de contribuer à remédier à la désertification médicale en articulation avec les compétences déjà développées par les départements sur leur territoire, notamment via le service public de protection maternelle et infantile. Cette même étude d'impact précise que cette mesure vise à consolider la situation juridique des centres de santé qui ont déjà été ouverts à l'initiative des départements et, par voie de conséquence, à pérenniser leur existence. Le corollaire est de permettre aux communes, aux EPCI et aux départements qui créent des centres de santé de recruter les personnels qui y travailleront.

Je vous donne un exemple. Les centres de santé du département de Saône-et-Loire, créés en septembre 2017, ont bénéficié de cofinancements des communes d'intercommunalités, de l'ARS et de la caisse primaire d'assurance maladie. Le département s'est appuyé sur l'expertise de la Fédération nationale des centres de santé. Il a proposé des conditions d'exercice attractives pour les médecins à la fois en prenant en charge les fonctions support et en leur versant une rémunération adossée à la grille des praticiens hospitaliers avec un temps de travail de 35 heures annualisées. Cette initiative du département a permis, entre 2017 et 2019, de recruter 55 médecins généralistes et d'ouvrir 24 lieux de consultation, 5 centres et 19 antennes. Ce concept a inspiré d'autres projets dans les départements de l'Orne et de la Corrèze. De même, le département de l'Ain a créé en 2020 un centre de santé départemental. Le département du Gers vient également de prendre cette initiative.

Il s'agit en outre de mieux associer les élus départementaux aux politiques de santé. Les départements ont réitéré leur proposition de siéger au sein des ARS, afin de faire connaître les besoins de santé de leur territoire. À cet égard, lors de leur contribution au Ségur de la santé, le 8 juillet 2020, les trois associations d'élus de Territoires unis ont estimé qu'au fil des années, notre système de soins s'était éloigné des réalités territoriales et que les ARS apparaissaient comme des bras armés du ministère de la santé, éloignées des réalités locales et de la vie quotidienne de nos concitoyens. Les départements regrettent par ailleurs la faible place donnée, dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), aux partenariats avec les conseils départementaux et les établissements des secteurs médico-sociaux. La porte doit leur être ouverte car elle permet d'éviter les ruptures dans les parcours de soins et de prendre en compte des difficultés sociales persistantes, de logement en particulier, produisant des conséquences sur la santé. Des formations dédiées à la coordination des soins et de l'accompagnement social doivent également être encouragées, d'où un rapprochement des collectivités territoriales avec des facultés de médecine.

Dans le secteur du transport sanitaire effectué par les sapeurs-pompiers, les départements plaident pour la mise en place d'un numéro d'urgence unique, la présentation d'une étude d'impact sur la réforme de la garde ambulancière pour les 102 départements, l'assurance de toute absence de transfert de coûts par une tarification spécifique des heures de gardes assurées par les SDIS, en lieu et place des transporteurs privés, venant s'ajouter à la facturation des carences. Cette position est partagée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Enfin, citons la préparation de conventions SAMU - SDIS opérantes qui sécurisent le paiement de toutes les facturations que le SDIS adresse à l'hôpital.

Je vous remercie, Monsieur le Président, pour votre écoute.

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