Intervention de Françoise Tenenbaum

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 18 janvier 2022 à 14h30
Audition des associations d'élus : Mm. Frédéric Chéreau maire de douai représentant de l'association des maires de france philippe gouet président du conseil départemental de loir-et-cher représentant de l'assemblée des départements de france et Mme Françoise Tenenbaum conseillère régionale de bourgogne-franche-comté représentante de régions de france

Françoise Tenenbaum, conseillère régionale de Bourgogne-Franche-Comté, représentante de Régions de France :

Je vous remercie de nous inviter à nous exprimer sur la problématique de l'hôpital public et du système de santé en France. Je ne reviendrai pas sur l'implication des régions dans les déterminants de santé. Les régions sont en effet fortement impliquées dans l'agriculture non polluante, dans la qualité de l'eau, dans la qualité de l'air par les transports, dans l'aide qu'elles apportent au logement et également sur la formation. Il existe en effet un lien fort entre le niveau d'études et la santé de la population.

Mon propos se centrera sur l'hôpital puisque l'hôpital se meurt. Services d'urgence, maternités, nombre de lits et services ferment faute de disposer de personnel et de moyens suffisants. Cette situation devient intenable pour notre pays. Un électrochoc est donc nécessaire pour sortir notre système de santé de l'agonie dans laquelle il est plongé. Si le Ségur de la santé a permis un rattrapage au niveau bâtimentaire et apporté une revalorisation des salaires, ces dispositions restent encore très insuffisantes et ne permettront pas de mettre fin à l'hémorragie de personnels hospitaliers.

Les régions alertent donc sur l'abandon progressif de notre système de santé et appellent à une prise de conscience forte du péril de la situation actuelle. Elles refusent cette fatalité et demandent à l'État de prendre des mesures radicales rapidement, sans quoi l'ensemble de notre système de santé publique s'éteindra à court terme. Tandis que les soignants quittent l'hôpital public, l'État demande aux régions de former de plus en plus de personnels. Les régions interpellent l'État pour qu'il améliore leurs conditions de travail, augmente leur rémunération et réforme le management.

Les régions alertent également l'État sur un autre sujet majeur, les inégalités d'accès aux soins. La question de la démographie médicale est plus que préoccupante, à l'heure où les distances à parcourir pour trouver un médecin sont de plus en plus importantes, où les délais s'allongent et où certains patients font face à des refus d'être pris en charge par des médecins débordés. Dans de nombreux territoires, nos concitoyens renoncent à se faire soigner non seulement par manque de médecins généralistes et spécialistes, mais également par manque de personnel médico-social notamment à domicile. La situation est dramatique d'autant plus que la population française vieillit et qu'en conséquence, les besoins continueront à augmenter.

Il est par conséquent primordial de traiter de manière urgente du maintien en poste des professionnels de santé. Nous constatons une diminution de la durée des carrières, notamment chez les infirmières. Quand, après 3 années de formation, les infirmières restaient 15 ans en poste, la durée des carrières a été réduite de 50 % pour passer à présent à 7 ans. Il est donc nécessaire de former deux fois plus d'infirmières pour maintenir un volume constant. Le manque de sens du métier ajouté à une absence d'évolution de carrière affaiblit encore un peu plus l'attractivité du métier. J'ai pu auditionner, à la Conférence nationale de santé à laquelle j'appartiens, une infirmière qui nous a indiqué « Je n'ai plus le temps de m'occuper des patients. Le temps administratif, le temps informatique est beaucoup trop grand et nous empêche d'accompagner les patients. Nous faisons des actes, mais nous n'accompagnons plus nos patients. » Les professionnels considère que leur travail perd de son sens.

J'en appelle par conséquent à la création de nouveaux métiers et d'accompagnements administratifs pour nos équipes de soins, afin de les libérer de cette emprise informatique. Nous avons certes besoin de pouvoir flécher et suivre les actes réalisés pour éventuellement des poursuites juridiques. Cette tâche pourrait néanmoins être déléguée à d'autres personnes qui accompagneraient les équipes de soins et les infirmiers.

La manière dont sont fixés les quotas d'entrée en formation et la vétusté des bâtiments de formation sont également questionnées. Une plus grande souplesse dans l'évolution des carrières des aides-soignants, en rendant plus simples les passerelles avec le métier d'infirmière, serait perçue comme un signal positif. Il convient d'étudier en particulier la possibilité d'entrer dans le métier d'infirmière par l'apprentissage. En outre, un effet paradoxal du Ségur de la santé rend difficile le recrutement d'infirmières dans le secteur privé non lucratif compte tenu de l'absence de revalorisation salariale.

Toute la gestion des ressources humaines au sein de l'hôpital doit être revue. Il est nécessaire que le corps médical soit davantage impliqué dans la gouvernance et dans la structuration de l'hôpital public. La transformation progressive du métier de médecin est en outre à prendre en compte. La baisse des temps de travail couplée à une féminisation toujours plus forte de la profession est également à prendre en compte. La féministe que je suis observe que les femmes subissent des pressions extérieures dans leur vie personnelle qui les empêchent de donner davantage de temps qu'elles n'en donnent à l'hôpital. Cette situation a grandement modifié le mode d'exercice de la profession.

Le manque de médecins, notamment dans les hôpitaux publics, et les conditions d'accueil des étudiants en médecine doivent être améliorés. Les régions sont fortement impliquées dans le logement, le lieu de formation, la réhabilitation des internats. Il est nécessaire de mettre en place des groupements de médecins et d'autres professionnels sur le type des maisons de santé pluriprofessionnelles. La première d'entre elle a été créée en Bourgogne il y a 17 ans. Il est indispensable de renforcer ses structures avec d'autres professionnels et d'autres matériels.

L'engorgement des hôpitaux, dont mes collègues ont fait état, dépend du défaut de permanence des soins du secteur libéral. Nous devons revenir sur le code de déontologie qui n'impose plus depuis quelques années aux médecins de réaliser des gardes. Le Ségur de la santé doit tenir ses promesses en matière d'investissement. L'hôpital public doit s'engager dans une réflexion sur l'impact écologique de ce mode de travail. Citons également la situation extrêmement préoccupante des hôpitaux psychiatriques et de la sectorisation, qui n'accompagne plus des malades dont les comportements peuvent être violents, avec des conséquences extrêmement graves sur la sécurité civile.

Je vous donne quelques exemples de l'intervention des régions. Citons en premier lieu le financement de petits matériels et d'équipements, le financement de locaux via les fonds européens et les contrats de plan État-région pour plusieurs millions d'euros, le financement de centres hospitaliers, notamment en Normandie, en complément des crédits Ségur, l'amélioration des conditions de stages avec la rénovation des internats en médecine, la participation au financement des maisons de santé et des transports vers les médecins, le recrutement de professionnels de santé (médecins salariés par la région Centre-Val de Loire et bientôt la création de centres de santé par l'Occitanie), le développement de politiques d'incitation à l'implantation professionnelle de santé, le développement des politiques de prévention (nous avons notamment participé à la mission de refondation de la santé publique du professeur Chauvin), le développement de la téléconsultation, le développement de l'innovation.

Nous proposons en piste d'amélioration le développement d'hôpitaux de proximité afin de réguler les inégalités territoriales d'accès aux soins et la création de postes de chefs de clinique assistants territoriaux partagés à partir des CHU. Les régions plaident également pour une nouvelle gouvernance de la santé. Ces propositions ont été portées lors de débats au projet de loi 3DS. Les régions préconisent une coprésidence effective des ARS par les présidents de région aux côtés des préfets de région, une transformation du conseil de surveillance de l'ARS en conseil d'administration, avec une réaffirmation de la place des élus locaux. Les régions, en lien avec les universités et les ARS, codécideraient de la répartition des internes sur le territoire. Avec l'idée qu'il est nécessaire de rapprocher les politiques publiques de santé des réalités du terrain, enfin, les régions plaident pour faire des bassins de vie et de la confiance dans les élus locaux le pivot des contrats locaux de santé (CLS), véritables outils de proximité de la politique sanitaire sociale et médico-sociale en région.

Évoquons également les CLS nouvelle formule et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Autour de l'organisation des professionnels d'un projet de santé, les CLS deviendraient les supports de référence traduisant l'engagement des porteurs de la politique de santé à donner les moyens aux acteurs de terrain pour la mettre en oeuvre. De même, les CLS et les CPTS seraient un levier de négociation contractuelle pour adapter les dispositifs aux besoins. Les CLS constitueraient également une organisation de santé efficace à l'échelle du bassin de vie.

En ce qui concerne les nouveaux métiers, il convient de permettre le déploiement des infirmiers en pratique avancée (IPA) en créant des exercices mixtes. En effet, actuellement, les IPA exercent dans les hôpitaux, sans parvenir à s'installer en médecine de ville, en l'absence de convention avec les médecins généralistes. Il est par conséquent indispensable de créer des exercices mixtes.

Il est nécessaire également d'aller au terme de la décentralisation concernant les formations sanitaires et médico-sociales. En effet, les régions financent actuellement des formations sans en maîtriser les quotas. Une coprésidence avec l'ARS permettrait de fixer ces quotas en fonction des besoins.

S'agissant de l'universitarisation des formations sanitaires et sociales, les enseignants qui passent d'un statut hospitalier au statut universitaire demandent un complément de salaire aux régions. Il est également nécessaire de créer des incubateurs de cabinets médicaux pour aider les jeunes médecins à s'installer, parce qu'ils n'ont pas reçu de formation en management d'équipe ou en gestion d'entreprise.

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