Intervention de Martin Hirsch

Commission d'enquête Cabinets de conseil — Réunion du 26 janvier 2022 à 16h30
Audition de M. Martin Hirsch directeur général de l'assistance publique — Hôpitaux de paris ap-hp

Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, les hôpitaux sont en effet très sollicités par les cabinets de conseil et les cabinets de consultants.

Vous avez rappelé que je suis depuis plus de huit ans directeur général de l'AP-HP. Une des premières décisions que j'ai prise a été de mettre fin à des prestations et à ne pas utiliser des marchés « ouverts » avec de grands cabinets de consultants pour des prestations stratégiques pour l'AP-HP, qui représentaient des montants significatifs.

Le rapport de la chambre régionale des comptes qui a couvert les années 2010 à 2015 a constaté un net ralentissement : « À partir du 13 novembre 2013 » - date à laquelle j'ai été nommé - « le recours aux conseils en gestion et/ou en stratégie a été plus limité et a recouvré des montants plus modestes. La plupart des contrats ayant été passés à l'initiative des groupes hospitaliers, il n'y a plus eu notamment aucune prestation de conseil auprès du directeur général ».

Pourquoi cela ? Je rappelle le paysage de l'AP-HP : un budget de 8,3 milliards d'euros par an, 100 000 personnes qui y travaillent, environ 800 services médicaux répartis dans six grands groupes hospitaliers, le premier CHU européen, 10 % de l'ensemble des lits d'hospitalisation de France et un peu plus de 40 % de l'ensemble de la recherche clinique de notre pays, avec un système d'information développé et complexe, la gestion d'un grand parc immobilier, l'une des plus grandes blanchisseries de France, etc.

C'est donc un grand ensemble, sur lequel nous avons beaucoup de décisions stratégiques à prendre et beaucoup d'expertises à mener.

Il m'a donc semblé qu'il valait mieux internaliser l'expertise plutôt que de se reposer sur des cabinets extérieurs. Je ne citerai pas le nom des grands cabinets qui détenaient des marchés assez récurrents avec l'AP-HP. Nous avons développé une expertise interne en créant la direction de la stratégie et de la transformation, dans laquelle nous trouvons des profils d'experts, dont certains ont pu commencer leur carrière dans le conseil, sur le terrain, ou alterner entre les différents postes. Peut-être certains rejoindront-ils ensuite un cabinet de conseil compte tenu de leurs compétences, mais cela permet de disposer d'une équipe interne qui connaît les établissements, entre dans le cadre de nos choix stratégiques et techniques et nous éclaire.

Leur intervention porte sur le travail que l'on réalise sur le fonctionnement des blocs opératoires, les durées de séjour des patients, la fluidité des parcours dans les différents domaines - courts séjours, soins de suite, longs séjours -, le fonctionnement du circuit du médicament, etc., qui sont des domaines majeurs. Nous avons là des équipes dont la compétence est reconnue par les acteurs hospitaliers.

Je n'ai pas fait le point sur ce que cela change en termes de dépenses, mais pouvoir compter sur des interlocuteurs qui ont fait le choix de travailler dans l'hôpital et d'endosser un statut public est, me semble-t-il, plus opérationnel pour nous, plus cohérent avec les valeurs hospitalières, et probablement aussi plus économique à l'heure que de recourir à des cabinets de conseil.

Il n'empêche que, pour des sujets circonscrits et techniques, nous faisons appel à des dépenses de conseil dont l'ordre de grandeur est de 2,5 millions d'euros par an sur 2019, 2020 et 2021, soit 7 751 890 euros sur un budget de 8,3 milliards d'euros.

Sur cette somme, 1,5 million d'euros représente les prestataires qui nous aident au codage des actes. Pour que l'hôpital se fasse payer, il faut qu'il transforme l'intervention d'une opération de la vésicule biliaire, par exemple, en un code qui, transmis à la sécurité sociale, déclenche le financement. Ce sont des opérations techniques que nous sous-traitons en partie à des cabinets spécialisés, tout en travaillant à des outils permettant d'automatiser ce travail, le souhait étant de faire en sorte que les médecins ne passent pas trop de temps - ils détestent cela et se sont même mis en grève à ce sujet - à exécuter une tâche assez rébarbative.

Les outils innovants représentent quant à eux 1,1 million d'euros de dépenses. Nous avons étudié comment transformer notre organisation logistique en recourant à des plateformes plutôt qu'à un fonctionnement interne.

Une somme d'un million d'euros sur trois ans a été consacrée aux prestations de communication. Nous sous-traitons aussi une partie de l'organisation des élections professionnelles. Nous avons fait appel à du conseil sur la gestion de notre parc de logements. Je fais également entrer là-dedans les expertises du CHSCT pendant cette période, pour 260 000 euros.

Durant les deux dernières années, marquées par la crise du covid-19, nous avons dépensé 143 000 euros en conseil. Ce sont des montants assez modestes dans le total des dépenses de l'AP-HP.

À ces dépenses s'ajoutent celles qui ont trait au système d'information, que je n'ai pas intégré dans ce décompte. En matière de conseil et de conseil stratégique, elles s'élèvent sur trois ans à 5,2 millions d'euros, avec différentes prestations d'assistance aux évolutions. Nous avons ainsi bénéficié, pour un peu plus de 200 000 euros, d'une prestation destinée à accompagner la réalisation de notre schéma directeur.

Certains rapports réalisés par des cabinets d'expertise tout à fait compétents, qui livrent des tonnes de documents, sont rangés dans un coin. S'agissant du système d'information, nous disposions de deux personnes à plein temps pour définir le schéma directeur, aidées d'un cabinet de conseil, mais ce n'est pas lui qui s'est substitué à nos personnels.

Je précise qu'en matière de système d'information, nous avons, au-delà des prestations de conseil stratégique, beaucoup de prestataires, ce qui est à mon sens un autre sujet, que nous partageons avec beaucoup d'établissements publics.

Les conditions dans lesquelles nous pouvons embaucher et rémunérer des spécialistes font que nous ne pouvons pas toujours nous doter des bonnes compétences. Une partie de l'aide à la maîtrise d'ouvrage et de l'assistance technique est donc confiée à des prestataires extérieurs, qui coûtent plus cher à la puissance publique.

Nous avons par exemple, pour la hotline des systèmes d'information, un dispositif mixte avec du personnel de l'AP-HP et des prestataires extérieurs, de telle sorte qu'on puisse à un moment donné réinternaliser les choses. Nous devons réaliser un gros travail pour faire en sorte que les grilles de rémunération puissent s'adapter à ces problématiques.

Pendant la crise du covid-19, nous avons été approchés par un certain nombre de cabinets de conseil pour une assistance gratuite. Nous n'y avons pas eu recours. En revanche, des membres de sociétés de conseil, au chômage technique durant cette période, sont venus, avec quelques milliers d'autres renforts, durant la première vague, travailler bénévolement et avec l'accord de leur employeur. Nous avons ainsi bénéficié d'une solidarité extraordinaire de la part des personnels navigants des avions cloués au sol.

Je crois qu'ils étaient en chômage partiel durant cette période, mais cela a été extrêmement utile. Certains de ces professionnels ont contribué à nous aider à monter le système de suivi à domicile des patients atteints de covid-19, dit Covidom, qui a concerné 500 000 malades, et pour lequel nous avons organisé de grandes plateformes. Ces compétences ont été très utiles dans ce domaine.

Je suis prêt à mettre à votre disposition les fichiers et les documents permettant de voir les différentes prestations auxquelles nous avons eu recours mais il me semble qu'il est possible de définir et d'appliquer la stratégie d'un grand établissement comme le nôtre en ayant une expertise stratégique interne, sans avoir besoin de grands cabinets anglo-saxons ou français.

En revanche, je pense qu'il est impossible, en l'état actuel, de se priver, sur des points ponctuels, de l'éclairage des experts. J'y recours sans que cela me pose de problèmes. Je citais le patrimoine immobilier : nous n'avons pas d'équipe spécialisée dans ce domaine, où les cabinets de conseil qui ont travaillé avec d'autres bailleurs peuvent nous aider, dans le cadre de prestations limitées, techniques et suivies.

Il est ainsi extrêmement compliqué de tout internaliser dans les systèmes d'information, à tel point que nous nous sommes posé la question, il y a quelques années, avant la crise du covid-19, de savoir si nous n'avions pas intérêt à créer une filiale informatique de l'AP-HP. Nous n'avons pas réactivé cette réflexion, car il est extrêmement compliqué, dans un établissement public à caractère administratif, de se passer de sous-traitants.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion