Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 3 février 2022 à 14h30
Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre — Débat organisé à la demande du groupe écologiste - solidarité et territoires

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux de vous parler cet après-midi d’une plante exceptionnelle, une plante cultivée et utilisée depuis l’Antiquité sur tous les continents, une plante qui permet de nourrir l’homme et le bétail, une plante qui permet de s’habiller, une plante qui permet de se loger grâce à un béton aux propriétés isolantes remarquables, une plante qui permet de faire du papier sans abattre d’arbres, une plante qui permet de produire des bioplastiques solides et compostables, une plante qui permet de produire des cosmétiques en limitant les intrants chimiques, une plante aux vertus thérapeutiques, qui soulage des douleurs que rien d’autre ne soulage, une plante qui apaise, qui aide certains à trouver la quiétude ou le sommeil, une plante qui pousse vite, toute seule, sans intrants chimiques, sans arrosage et, souvent, sans désherbage, une plante qui restructure les sols et favorise la rotation des cultures sur un même terrain, une plante qui stocke le carbone plus que toute autre culture, plus même que la forêt, une plante qui a inspiré les poètes, Baudelaire et Rimbaud pour ne citer qu’eux.

Cette plante extraordinaire devrait être un outil majeur de la transition écologique, et bien plus encore. Pourtant, on n’en cultive que quelques centaines de milliers d’hectares dans le monde, 20 000 en France, leader européen, pour le moment…

Depuis l’Antiquité, le chanvre a pourtant continuellement habillé, nourri, soigné les hommes et recueilli leurs écrits. Il a également permis de confectionner les voiles et les cordes des bateaux qui ont relié tous les continents du XVIe au XVIIIe siècle. Ma commune du Percy conserve dans ses archives une requête de Louis XVI réquisitionnant le chanvre des agriculteurs pour les besoins de la Marine royale.

Mais, depuis le XIXe siècle, cette plante extraordinaire a été vouée aux gémonies, car certaines de ses variétés produisent une fleur aux effets psychotropes bien connus : le cannabis.

La guerre disproportionnée menée contre le cannabis a entraîné l’interdiction presque totale du chanvre. Il faut attendre le développement de variétés de chanvre avec un taux extrêmement faible de 0, 2 % de tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif psychotrope du cannabis, pour voir sa culture se redévelopper timidement à partir des années 1990. Sa culture, ses débouchés, sa filière professionnelle sont aujourd’hui largement anonymes, et je le déplore.

Au-delà des effets psychotropes de la plante, on commence à découvrir ses autres principes actifs, notamment le cannabidiol (CBD), molécule non psychotrope aux propriétés apaisantes.

N’étant pas un produit stupéfiant, le CBD issu des fleurs du chanvre industriel ne tombe pas sous le coup de la législation européenne. Il commence alors à être utilisé sous forme brute ou dans des préparations d’huiles essentielles, d’aliments, de liquides pour cigarettes électroniques, de cosmétiques.

Un marché se développe partout en Europe. En France, les premiers détaillants ouvrent en 2018, certains étant fermés manu militari par la police. L’affaire fait grand bruit.

Il apparaît que la réglementation française, qui repose sur un arrêté de 1990, est difficilement compréhensible et pour le moins inadaptée. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) tente de la préciser par une circulaire de juin 2011, dont il ressort que, si le CBD est une molécule autorisée, ce qui permet de le produire, à savoir les fleurs et les feuilles, est en revanche interdit.

Cette réglementation ne respecte pas le droit communautaire, comme l’a confirmé la Cour de justice de l’Union européenne en novembre 2020. Le Gouvernement prend alors un nouvel arrêté, qui légalise une bonne fois pour toutes le CBD, cependant que reste interdite la commercialisation de la fleur de chanvre à l’état brut.

Pour illustrer votre réglementation, c’est un peu comme si l’on autorisait la culture de tomates, tout en interdisant la vente de tomates fraîches et en limitant leur utilisation aux industriels pour faire du concentré ! Aberrant !

Notre débat s’inscrit dans l’actualité récente de la suspension partielle par le Conseil d’État de l’arrêté du 30 décembre. Ce feuilleton juridique, qui n’a que trop duré, insécurise les acteurs de la filière – agriculteurs, industriels, laboratoires, détaillants – et nous fait prendre un retard considérable sur nos voisins européens et sur les pays d’Amérique du Nord.

Les prévisions de retombées économiques et en matière d’emploi associées au développement d’une filière de valorisation des produits à haute valeur ajoutée du chanvre sont considérables. En France, on estime qu’un essor rapide du marché pourrait permettre, d’ici à cinq ans, d’atteindre un chiffre d’affaires évalué entre 1, 5 et 2, 5 milliards d’euros et de créer entre 18 000 et 20 000 emplois directs et indirects. Les recettes sociales et fiscales supplémentaires sont, quant à elles, estimées entre 0, 7 et 1, 1 milliard d’euros par an.

Il faut dire que la demande explose. On compte aujourd’hui près de 7 millions de consommateurs et près de 2 000 détaillants vendant des produits qui ne sont pas français. Un comble pour le premier producteur européen de chanvre !

Alors, oui, le CBD peut se fumer, et c’est notamment un substitut très utilisé par nombre de personnes qui souhaitent se sevrer du cannabis, voire du tabac. Le Gouvernement justifie ainsi l’interdiction de la fleur sous toutes ses formes brutes, et le ministre nous a expliqué qu’il craignait que les gens ne « fument de la tisane ».

Au risque de plonger M. Véran dans l’angoisse, il doit savoir que beaucoup d’herbes se fument : la marjolaine, la sauge, les feuilles de framboisier, et je doute que leur commercialisation ne soit interdite pour ce motif…

Alors, madame la ministre, le Gouvernement compte-t-il revoir sa copie après ce nouveau camouflet juridique, ou s’obstinera-t-il, pour faire plaisir aux syndicats de policiers ?

Rassurons ces derniers : des tests existent pour mesurer le taux de THC des fleurs de cannabis et déterminer ainsi leur caractère légal. Ils font la taille d’une pièce de monnaie et livrent leur verdict en moins d’une minute. La police suisse les utilise avec succès.

Au-delà de l’imbroglio autour de la fleur, votre arrêté laisse en suspens de nombreuses demandes de clarification émanant notamment des acteurs de la filière. C’est d’autant plus dommageable que l’excellent rapport de nos collègues députés de la majorité présidentielle avait préconisé toutes les solutions nécessaires. Reprenons-les !

S’agissant du volet agricole, allez-vous permettre l’usage de techniques agricoles de base : la sélection variétale, le bouturage ou la capacité à replanter ces graines ?

Allez-vous permettre d’élargir le catalogue des cultivars aux variétés contenant moins de 1 % de THC, comme en Suisse, au Canada et, bientôt, aux États-Unis ou encore en République tchèque ?

Allez-vous permettre l’obtention du label bio pour les produits du chanvre, qui devrait couler de source ?

Allez-vous cartographier la production française, comme vous le demandent tous les acteurs de la filière, afin de faciliter les contrôles ? L’État, notamment via FranceAgriMer, doit pouvoir connaître l’ensemble des plantations de France pour fluidifier le travail avec les forces de l’ordre, mais également planifier le développement de la filière en évitant les effets d’aubaine.

S’agissant de la sécurisation des produits, allez-vous déterminer un seuil maximum de CBD au-delà duquel un produit basculerait sous le régime de la pharmacopée, seuil qui doit naturellement être distinct entre les produits alimentaires et les autres ? Allez-vous permettre enfin l’inscription des produits alimentaires à base de CBD au catalogue des produits régis par le règlement européen Novel Food ?

Allez-vous fixer les normes d’étiquetage et fixer un seuil de résidus de THC dans les produits finis ?

S’agissant de l’extraction, véritable angle mort de l’arrêté, allez-vous préciser les choses ? Tout laboratoire peut-il se lancer ? Avec quel contrôle de l’élimination des résidus du THC ? Ou maintient-on le régime en vigueur des produits stupéfiants, avec demande d’habilitation par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ce qui serait un frein majeur au développement de la filière ?

Le marché français du CBD a besoin d’un cadre réglementaire clair et sécurisé pour se développer et rattraper son retard sur ses voisins européens. Il est encore temps de prendre un arrêté digne de ce nom avant le terme du quinquennat.

Dernière question s’agissant du chanvre industriel : allez-vous enfin fixer un cadre réglementaire clair et stable pour la certification des bétons de chanvre ? Les exigences des cabinets de contrôle changent tous les ans et insécurisent grandement les producteurs.

Madame la ministre, j’aimerais vous parler bien sûr plus longuement de cette filière d’avenir qui peut révolutionner notre agriculture et notre industrie, à condition que les pouvoirs publics lui permettent de se développer en assouplissant et en stabilisant le cadre légal et en appuyant son développement économique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion