Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 3 février 2022 à 14h30
Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE a choisi de demander l’inscription de ce débat dans son espace réservé, car face à la multiplication des féminicides il est essentiel de dresser le bilan des politiques nationales de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce bilan, nous souhaitons qu’il soit objectif, qu’il mette en avant les avancées tout en pointant les limites de ces politiques.

Inégalités salariales et de progression professionnelle, temps partiels imposés : les violences économiques font partie intégrante des violences subies par les femmes. Elles sont, hélas ! bien enracinées dans nos sociétés capitalistes et patriarcales.

Je vais néanmoins centrer mon propos sur les violences sexistes et sexuelles. Depuis 2017 et l’essor du mouvement international #MeToo dans l’opinion publique, une prise de conscience collective et salutaire a montré l’ampleur de ce fléau. Les violences faites aux femmes, du sexisme ordinaire aux féminicides, sont omniprésentes dans la société, et ce dans tous les milieux.

Il y a là un phénomène d’ampleur, systémique, symptôme du caractère patriarcal d’une société dans laquelle les femmes subissent la domination masculine.

Les luttes des féministes ont marqué des points. De plus en plus de victimes dénoncent ce qu’elles ont vécu ou sont en train de vivre, et leur parole est enfin considérée.

Qu’a donc fait le Gouvernement depuis 2017 ?

La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes de 2018, dite loi Schiappa, allonge notamment de vingt à trente ans le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, élargit la définition du harcèlement pour y inclure le cyberharcèlement et crée une nouvelle infraction d’outrage sexiste permettant de réprimer le harcèlement de rue.

Mais, à défaut notamment d’établir un seuil d’âge de non-consentement pour les mineurs, cette loi n’est pas allée jusqu’au bout de l’ambition initiale. La déception a donc été vive du côté des associations féministes et des associations de protection de l’enfance – de ce point de vue, la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, dite loi Billon, a apporté des avancées.

Dans la continuité de la loi Schiappa, et constatant que le compte n’y était pas, le Gouvernement a organisé un Grenelle des violences conjugales en septembre 2019.

J’ai fait partie de celles et de ceux qui trouvaient que l’urgence n’était pas d’établir un énième bilan, tant les associations de terrain avaient largement documenté la situation.

Nous avons perdu du temps. Néanmoins, un plan gouvernemental a été élaboré, comportant plusieurs mesures : amélioration de la prise en charge des plaintes des femmes, création de places d’hébergement d’urgence, reconnaissance du « suicide forcé », prise en charge des auteurs de violences, interdiction de la médiation pénale, instauration des bracelets anti-rapprochement, amélioration de l’accès à un téléphone grave danger, réduction du délai de délivrance des ordonnances de protection.

Et je me réjouis de l’entrée en vigueur d’un décret reprenant l’une des propositions d’Ernestine Ronai, dont je salue le travail et l’expertise, la femme victime de violences devant désormais être systématiquement informée au moment de la sortie de prison de son agresseur. Si cette mesure avait été prise plus tôt, un drame aurait pu être évité à Épinay-sur-Seine en novembre dernier.

L’arsenal législatif a donc été étoffé, au cours des dernières années, par l’adoption de plusieurs projets et propositions de loi ; reste qu’il manque toujours cruellement d’une vision globale.

Les violences et leurs conséquences, au travail ou sur les enfants, ne doivent plus être appréhendées de façon cloisonnée.

En 2013, mon groupe avait déposé une proposition de loi-cadre élaborée avec le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), qui contenait plus d’une centaine d’articles. Le cadre contraint des espaces réservés ne nous a malheureusement jamais permis de l’examiner. En vain, nous avons plusieurs fois demandé au Gouvernement de s’en saisir. J’espère qu’il en sera autrement après les élections !

Même s’il est sans doute encore un peu tôt pour bien mesurer les effets des lois promulguées et des dispositifs mis en place, force est de constater que le nombre de féminicides n’a pas diminué : 113 féminicides décomptés en 2021, et déjà 13 en ce début d’année 2022.

De même, les chiffres des violences et des crimes sexuels publiés la semaine dernière par le ministère de l’intérieur sont toujours aussi alarmants. Je rappelle également que les violences ont considérablement augmenté durant les confinements liés à la crise sanitaire : les signalements ont augmenté de 40 % au printemps 2020, puis de 60 % pendant le second confinement.

Dès lors, quel bilan dresser de l’action du Gouvernement ?

Les outils mis en place peinent à prouver leur efficacité, tant sur le plan de la prévention que sur celui de la répression. En 2022, les femmes restent autant qu’auparavant victimes de harcèlement, d’agressions sexuelles, de viols, de violences physiques, verbales ou psychologiques. Des femmes continuent de mourir sous les coups d’hommes qui veulent les soumettre. Les chiffres et les faits sont implacables.

Les violences faites aux femmes existent dans tous les pays. Comme je l’ai dit, il s’agit de l’une des conséquences du système patriarcal qui sévit dans les sociétés du monde entier. Il n’est donc pas inutile d’analyser les politiques menées dans d’autres pays que la France.

Je pense en particulier à l’Espagne. Comme vous le savez, en quelques années, l’Espagne est parvenue à réduire considérablement le nombre de féminicides, qui a diminué de 25 % depuis 2004, date de l’entrée en vigueur de l’une des lois les plus protectrices au monde – je vous renvoie aux travaux du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pour davantage de détails sur ces regards croisés. Comparaison n’est pas raison, certes, et il ne s’agit pas de reproduire un modèle, chaque pays ayant sa propre histoire et son système judiciaire particulier ; mais ces résultats espagnols sont le fruit d’une politique réellement volontariste, ambitieuse et globale.

Dans notre pays, je l’ai souligné, des efforts ont été réalisés. Toutefois, certains actes viennent contrecarrer la volonté politique affichée de combattre les violences faites aux femmes. Je pense en particulier à la remise en cause du 3919, qui, sans la mobilisation et la détermination des associations et d’élus, aurait été mis en concurrence.

Voici ce que le ministre de l’intérieur a récemment déclaré : « Désormais, les femmes qui sont psychologiquement ou physiquement atteintes par leur compagnon déposent plainte systématiquement. […] Systématiquement, il y a désormais des gardes à vue […]. Systématiquement, il y a des poursuites judiciaires. » Dans le même temps, les chiffres du ministère de la justice montrent qu’au contraire un tiers à peine des violences sexuelles font l’objet de poursuites ! Comment le Gouvernement peut-il dans ces conditions prétendre combattre efficacement les violences ?

Je veux réaffirmer avec force qu’au-delà de la volonté il faut des moyens ambitieux.

Là encore, la comparaison est sans appel avec l’Espagne, où 1 milliard d’euros ont été mobilisés pour lutter contre les violences faites aux femmes, contre 360 millions d’euros en France. Nos collègues Éric Bocquet et Arnaud Bazin, dans leur rapport d’information de juillet 2020, ont très bien démontré que le milliard d’euros annoncé par le Gouvernement n’était pas atteint, en dépit d’une communication gouvernementale trompeuse – Éric Bocquet y reviendra.

Ce milliard, loin d’être une lubie des féministes, correspond à la réalité des besoins de la justice, de la police et de la gendarmerie ; il est nécessaire si l’on veut créer des solutions d’hébergement, prendre des mesures de prévention et mettre fin aux dysfonctionnements constatés à tous les niveaux, qui sont la cause des drames vécus par Chahinez Daoud, Valérie Bacot et tant d’autres.

Il faut rapporter ce milliard d’euros au coût que représentent ces violences pour la société, estimé à plus de 3 milliards d’euros par an !

Évidemment, je ne saurais en huit minutes dresser un bilan exhaustif et détaillé de cinq ans d’actions – ou d’inactions… – du Gouvernement. Je conclurai en relayant plusieurs propositions défendues par les associations féministes.

Il est nécessaire, tout d’abord, de mettre fin à la correctionnalisation des viols, jugés comme des délits faute de moyens. Le viol est un crime, et doit, en tant que tel, être jugé en cour d’assises. Il faut une bonne fois pour toutes mettre un terme à la culture du viol qui sévit dans notre société.

Il est essentiel, ensuite, de créer des tribunaux spécialisés composés de magistrats formés afin de mieux accompagner les victimes.

Il faut instaurer, enfin, un délit spécifique de violences conjugales dans le code pénal.

Je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder le bilan mitigé, principalement par manque de portage politique, de l’application de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Il est urgent de remédier aux manquements observés !

L’autre chantier sur lequel il nous semble indispensable d’avancer est celui de la lutte contre la pornographie. Nous sommes en train d’y travailler au sein de la délégation aux droits des femmes, sous l’impulsion de sa présidente, Annick Billon.

Madame la ministre, nous en avons assez de compter les victimes ! Je sais que vous partagez notre indignation et notre colère. Pourquoi, alors, les dysfonctionnements perdurent-ils ? Pourquoi les mêmes scénarios macabres se répètent-ils, quand ils auraient pu être évités ?

Force est de constater qu’en France, en 2022, le machisme et le sexisme tuent toujours, et que tout n’a pas été mis en œuvre pour les circonscrire !

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