Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 3 février 2022 à 14h30
Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Je tiens en préambule à remercier le groupe CRCE d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Je concentrerai mon propos sur trois points ; mes collègues, je n’en doute pas, aborderont les questions relatives aux moyens, le Sénat ayant acquis au cours des dernières années une compétence reconnue en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales.

Premier sujet : les violences conjugales commises par des policiers. Le dernier féminicide en date a conduit à ce que l’on recherche l’ex-conjoint de la victime, qui se trouvait être un policier. J’observe que, contrairement à ce qui se produit dans le cadre d’autres affaires similaires, il n’y a eu ni appel à témoins ni diffusion d’un portrait ou d’un nom. Pourtant, lorsque l’auteur présumé d’un féminicide disparaît, il est d’usage courant qu’un appel à témoins soit publié dans la presse.

Au-delà de cette remarque, quelques questions se posent.

Comment est-il possible qu’un policier connu pour des faits de violences conjugales continue de détenir son arme de service ? Vous allez sans doute me rétorquer que, comme le mentionne une dépêche parue cet après-midi, une enquête administrative vient d’être diligentée afin de déterminer si le fait que ce policier ait conservé son arme de service était conforme à la loi.

Mais combien sont-ils dans ce cas ? Comment les services de police et de gendarmerie gèrent-ils leurs membres connus pour des faits de violences conjugales ? Reste-t-il de tels profils à l’accueil des gendarmeries ou des commissariats, susceptibles de recevoir les plaintes de femmes victimes de violences ? Nous ne le savons pas et, en réalité, personne n’en sait rien…

Seconde question sur les policiers : depuis la parution du livre de Sophie Boutboul, nous savons que les femmes de policiers ou de gendarmes sont celles qui ont le plus de difficultés pour porter plainte et se faire entendre. Quelles sont les mesures qui ont été prises, au sein de la police et de la gendarmerie, pour garantir à ces femmes la même prise en charge qu’aux autres ?

Deuxième sujet dont je souhaite parler : les violences post-séparation.

Tout d’abord, malgré les différentes réformes de l’ordonnance de protection que nous avons adoptées, nous n’avons pas encore réussi à rendre le dispositif efficace. La stricte interprétation par les juges et par les avocats du conjoint de la règle du cumul de deux conditions – menaces et violences – aboutit à priver un certain nombre de femmes d’une ordonnance de protection alors que les menaces sont certaines, bien que les violences n’aient pas été constatées. Quand un homme dit : « Je vais te tuer ! », il n’a certes pas déjà tué son ex-conjointe, il ne l’a peut-être même pas frappée, mais il la harcèle et menace de la tuer. Cependant, s’il n’y a pas menaces et violences, il n’est pas possible de prononcer une ordonnance de protection.

Ensuite, je souhaite dire un mot de la dissimulation de l’adresse de la victime. Si le juge décide de maintenir l’autorité parentale conjointe, le père violent peut facilement retrouver la mère, par le biais de l’adresse, qu’il a le droit de connaître, de l’établissement scolaire dans lequel l’enfant est scolarisé.

Troisième sujet, enfin : l’articulation entre justice pénale et justice familiale.

Je reçois beaucoup – beaucoup trop – de dossiers du même type : à la suite d’une séparation, le plus souvent décidée sur l’initiative de la mère et mal vécue par le père, des enfants se plaignent d’attouchements sexuels ou de viols commis à l’occasion du droit de visite et d’hébergement du père. « Papa touche mon zizi, mais ce n’est pas pour le laver, c’est pour jouer » ; voilà ce que racontent certains enfants en rentrant de chez leur père. Le plus souvent commence alors pour la mère un parcours kafkaïen, car, tant que la justice pénale n’a pas tranché sur les faits allégués, les enfants doivent continuer d’aller, un week-end sur deux, chez leur père…

Pis, une mère vient de porter plainte contre l’État après avoir découvert que le père, à qui elle avait été obligée de confier sa fille chaque week-end pendant quatre ans, avait fait l’objet, plusieurs années auparavant, d’une plainte pour viol sur mineur. Elle n’arrivait pas à faire entendre à la justice pénale que le père violait son enfant quand le même homme était poursuivi, dans une autre juridiction, pour viol sur mineur ! Ainsi, pendant quatre ans, ces faits commis sur un enfant ont-ils perduré…

Je ne sais comment faire que de tels scénarios ne se répètent plus, si ce n’est en amorçant une révolution dans la justice, une révolution des pratiques et une révolution des moyens.

Au fond, c’est toujours la même histoire : les femmes seraient des menteuses, des manipulatrices ; elles utiliseraient leurs enfants et porteraient plainte contre le père pour régler des conflits qui n’existent, le plus souvent, que dans la tête des juges !

Faudra-t-il donc un jour que l’on fasse une loi disposant que toute décision de justice faisant référence au syndrome d’aliénation parentale ou au contenu de ce syndrome est nulle et non avenue ?

Il y a là un véritable problème. La justice doit agir, vraiment, parce que je ne sais que répondre à ces femmes ; leur vie est un enfer, comme celle de leurs enfants.

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