Intervention de Laure Darcos

Réunion du 3 février 2022 à 14h30
Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Laure DarcosLaure Darcos :

L’actualité nous rappelle trop souvent combien il est difficile de mettre en œuvre des solutions dont l’efficacité soit immédiate pour nos concitoyens.

C’est particulièrement vrai en matière de violences conjugales : combien de rapports ont-ils été publiés sur le sujet, à commencer par celui, récent, de notre délégation aux droits des femmes, dont je salue la présidente ? Combien de lois avons-nous votées ces dernières années pour tenter d’endiguer ce fléau majeur et de protéger les victimes de conjoints violents ? Je pense en particulier à la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille de notre collègue député Aurélien Pradié…

Tout annonçait des jours meilleurs et laissait augurer une diminution des comportements délictueux ou criminels, notre arsenal juridique étant florissant.

Et pourtant, madame la ministre, je vais à mon tour évoquer de bien tristes chiffres. Il ne s’agit en aucun cas d’une remise en cause personnelle, mais une victime, comme vous l’avez souligné, c’est toujours une de trop : 128 féminicides en 2016, 138 en 2017, 120 en 2018, 152 en 2019, 102 femmes ont été tuées par leur conjoint en 2020 et 113 en 2021.

Les chiffres fluctuent, mais ce n’est pas cela qui importe : ce qui importe, c’est, par exemple, la mort atroce d’une jeune femme dans le XIXe arrondissement de Paris, vendredi dernier.

Dernièrement, 14 enfants ont perdu la vie, certains dans un contexte de violences conjugales ; 213 000 femmes majeures ont été victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint, mais une sur cinq seulement a déposé plainte ; 94 000 femmes majeures ont été victimes d’un viol ou d’une tentative de viol en 2020 – dans neuf cas sur dix, elles connaissaient leur agresseur… Je n’oublie pas non plus, personne ne l’a encore souligné dans ce débat, que 28 % des victimes de violences conjugales, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, sont des hommes.

Dans ce contexte, le nombre de demandes d’ordonnances de protection ne cesse d’augmenter : il a doublé depuis 2015. Si plus de 3 300 ordonnances ont été délivrées en France en 2020, ce sont 27 000 décisions de ce type qui ont été prononcées en Espagne dans le même temps, comme l’a rappelé ma collègue Martine Filleul.

Le téléphone grave danger est un dispositif majeur de protection remis par le procureur de la République aux femmes victimes de violences conjugales se trouvant en très grand danger. Il permet d’alerter et de faire intervenir rapidement les forces de l’ordre, grâce à la géolocalisation de la victime. Malheureusement, un peu moins de 2 000 téléphones seulement étaient actifs au début du mois de novembre 2021. C’est encore trop peu au regard des besoins, même si, dernièrement, en Essonne, une femme a pu être sauvée grâce à ce dispositif.

Les bracelets anti-rapprochement, autre moyen de protection, sont en cours de déploiement depuis le mois de décembre 2020. Cette généralisation devra toutefois s’accompagner d’une augmentation significative du nombre de bracelets disponibles : on en compte seulement 1 000 en stock actuellement.

Les violences au sein du couple sont la manifestation d’un rapport de domination de l’auteur sur sa victime se traduisant par des agressions répétées et souvent cumulatives, lesquelles s’intensifient et s’accélèrent avec le temps. Que faire quand le temps de la justice n’est pas le même que celui de l’agresseur ?

Plusieurs mesures simples et efficaces permettraient d’accélérer la prise de décision en matière de lutte contre les violences conjugales. Je pense en particulier à la formation systématique des personnels des forces de l’ordre à l’accueil et à l’accompagnement judiciaire des victimes.

Nous sommes nombreux aussi à exiger la création d’une juridiction spécialisée en matière de violences conjugales. Présente sur tout le territoire et associant compétences pénale et civile, cette juridiction aurait pour mission d’instruire chaque dossier dans un délai de soixante-douze heures et de rendre une décision d’ordonnance de protection dans un délai effectif et maximal de six jours, voire de vingt-quatre heures en cas d’urgence absolue. Les juges spécialisés seraient également chargés d’organiser l’accompagnement social des victimes.

Cette proposition n’est pas une utopie : l’Espagne l’a mise en œuvre avec succès, obtenant un meilleur taux de condamnation et offrant aux victimes une bien meilleure protection que dans notre pays, étant précisé que l’État espagnol s’appuie en cette matière sur un cadre législatif très dense et parmi les plus protecteurs au monde.

Je pense notamment à la loi de 2004, dite de mesures de protection intégrale contre les violences conjugales, qui contient plusieurs volets allant de la prévention des violences à la protection des victimes et à la condamnation des agresseurs. Elle institue notamment un certain nombre de droits des victimes, selon une approche globale, juridique, psychosociale et économique.

En outre, l’Espagne consacre des moyens financiers considérables à cette politique dans le cadre du pacte d’État contre la violence conjugale 2018-2022, 1 milliard d’euros s’ajoutant au budget préexistant. Quand la France consacre 5 euros par habitant à la lutte contre les violences conjugales, l’Espagne en dépense 16, alors même que sa population est inférieure de 30 % à la nôtre.

Le succès de cette politique globale, sans concession pour les agresseurs et réactive pour les victimes, est incontestable. Nous ferions bien de nous en inspirer, car c’est une honte absolue que de se montrer incapables de mettre hors d’état de nuire les bourreaux et de laisser les victimes affronter souvent seules des situations humainement, psychologiquement et financièrement insupportables.

Pour que les avancées législatives et les efforts de tous les acteurs mobilisés soient féconds, la justice doit disposer des moyens nécessaires pour prévenir et lutter efficacement contre ces violences. J’en appelle donc à l’adoption d’une loi-cadre de lutte contre les violences intrafamiliales, susceptible de mettre fin à l’éparpillement des dispositions législatives existantes, et à une augmentation significative du budget de la justice.

Notre seule obsession doit être d’agir pour changer cette réalité terrible à laquelle nous n’avons pas le droit de nous habituer. Ce combat vital en faveur des droits des femmes, nous devons, bien au-delà des mots, le mener dans les actes !

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