Intervention de Jean-Claude Tissot

Réunion du 2 février 2022 à 15h00
Énergie et pouvoir d'achat : quel impact de la politique du gouvernement — Suite du débat d'actualité

Photo de Jean-Claude TissotJean-Claude Tissot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, dans un profond désarroi, les Françaises et les Français sont confrontés à une hausse continue du prix des produits du quotidien et à une explosion de leurs factures énergétiques.

Selon la note de conjoncture du mois de décembre 2021 de l’Insee, les prix à la consommation du gaz, des carburants et de l’électricité ont respectivement augmenté de 41 %, 21 % et 3 % entre décembre 2020 et octobre 2021.

D’après cette même étude, la hausse des prix depuis le début de l’année 2021 a conduit à un surcroît des dépenses mensuelles d’énergie d’un peu plus de 40 euros en moyenne par ménage, dont 20 euros pour les carburants.

Toutefois, ces moyennes cachent de fortes disparités entre les foyers, selon les lieux de résidence. En deux ans, la facture énergétique a grimpé en moyenne de 43 euros dans les communes rurales, contre 30 euros dans l’agglomération parisienne.

De même, la facture énergétique pèse plus lourdement sur le budget total des ménages à faibles revenus. Cette dépense contrainte ne fait donc que renforcer les inégalités sociales et territoriales.

De plus, dans un contexte de relance progressive de notre économie, cette flambée des prix des énergies a de très lourdes conséquences sur la compétitivité de nos entreprises. Elle vient s’ajouter à l’augmentation du coût des matières premières, qui se répercute indéniablement sur le prix d’achat pour les consommateurs.

Face à ce constat, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement a fait le choix de prendre des décisions court-termistes, sans s’attaquer aux réelles difficultés et aux enjeux du marché de l’énergie. Le bouclier tarifaire, l’augmentation du chèque énergie et la création de l’indemnité inflation sont des premières mesures pertinentes pour soulager le budget des ménages. Si nous ne contestons pas le bien-fondé de ces mesures, nous nous interrogeons sur le ciblage et le niveau de chacune de ces aides.

Dans une récente étude, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) recommandait de fixer le montant du chèque énergie à 710 euros afin de le rendre réellement utile pour les foyers en situation de précarité énergétique.

L’envoi d’un chèque énergie de 100 euros durant le mois de décembre a certainement été un soulagement pour les ménages concernés, mais ce n’est pas assez pour les foyers qui ont vu leurs dépenses d’énergie augmenter de 40 euros par mois en 2021.

Vous me répondrez très certainement que l’indemnité inflation et l’augmentation du barème de l’indemnité kilométrique, récemment annoncée par le Premier ministre, viennent compléter ce dispositif. Malheureusement, leur ciblage est lui aussi incertain.

L’indemnité inflation crée des inégalités entre des salariés d’une même entreprise, parfois au sein d’un même foyer. Le rehaussement de 10 % de l’indemnité kilométrique est également une demi-mesure. Elle ne concerne que les Français imposables qui peuvent déclarer leurs frais professionnels.

En vous concentrant sur les gros rouleurs, vous semblez malheureusement oublier les 17 millions de Français contraints de prendre tous les jours leur voiture pour aller travailler, tout simplement parce qu’ils n’ont pas accès à des transports en commun. Sur ces 17 millions, la moitié gagne moins de 1 700 euros net par mois. Face aux prix record que les carburants ont atteints ces dernières semaines, le Gouvernement doit impérativement agir pour ces Français, qui sont les premiers de cordée.

Face à la hausse des prix des énergies depuis plusieurs mois, notre groupe, ainsi que nos collègues socialistes de l’Assemblée nationale, vous a proposé plusieurs mesures à effet immédiat : la création d’un bouclier tarifaire énergétique permettant l’accès à un volume minimal de gaz, de fioul ou d’électricité à un tarif très bas, le doublement du chèque énergie, qui serait versé automatiquement, afin de mettre fin au non-recours.

Malheureusement, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, cette crise met en lumière les impensés et l’impréparation du Gouvernement en matière énergétique. Cette situation était pourtant prévisible.

Dès le début de la pandémie de la covid-19, nous vous alertions, avec mes collègues de la commission des affaires économiques du Sénat, sur le risque inflationniste en sortie de crise. Nous avions dit que les prix pourraient flamber si l’offre d’énergie ne parvenait pas à accompagner la demande.

Cette impréparation, comme celle des gouvernements précédents, conduit aujourd’hui à dépenser au moins 15 milliards d’euros dans des mesures d’urgence plutôt que dans des projets de long terme.

Sans critiquer le montant consacré, nous nous étonnons davantage, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que vous ne tiriez pas des enseignements de cette crise.

La libéralisation à l’extrême du marché de l’énergie, qui se trouve tiraillé entre injonctions européennes et influences géopolitiques, est la cause de cette crise profonde.

Le relèvement du plafond de l’Arenh, décidé en ce début d’année, est un nouvel exemple de votre orientation ultralibérale. Cette mesure bénéficiera uniquement aux fournisseurs, au détriment de l’opérateur historique EDF, qui a pourtant besoin de fonds pour investir durablement.

Vous refusez votre rôle d’État actionnaire et vous préférez sacrifier une entreprise publique, qui est pourtant indispensable à la planification énergétique pour les décennies à venir.

Pourtant, dans un rapport de novembre 2021 sur les choix de production électrique, la Cour des comptes a rappelé la nécessité d’anticiper le renouvellement de notre mix énergétique.

Ainsi, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, pour qu’une telle crise ne se reproduise plus et n’ait plus d’effets aussi durs sur nos concitoyens, permettez-nous de vous donner trois conseils afin d’anticiper les évolutions à long terme.

Premièrement, revenons à une politique énergétique volontariste de l’État et du Gouvernement, avec une puissance publique assumée investissant massivement dans ses entreprises publiques.

Deuxièmement, réformons le marché européen de l’énergie. Le Gouvernement doit profiter de la présidence du Conseil de l’Union européenne pour imposer une nouvelle direction.

Troisièmement, planifions à très long terme, après avoir conduit une large concertation citoyenne et parlementaire, pour assurer un bouquet énergétique permettant la nécessaire transition écologique, la préservation du pouvoir d’achat des Français et la souveraineté énergétique de notre pays.

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