Intervention de Annick Jacquemet

Réunion du 2 février 2022 à 15h00
Caractère universel des allocations familiales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Annick JacquemetAnnick Jacquemet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à apporter une première solution pour ralentir, voire inverser la baisse de natalité qu’a connue notre pays ces dernières années. Ainsi, elle a pour objet de supprimer la modulation des allocations familiales selon le revenu de la famille, qui a été introduit voilà six ans.

Alors que la question démographique était absente des débats chez la plupart de nos voisins européens, la France s’est distinguée dans les années 1930 en mettant en place une politique volontariste pour les familles. Cette politique sera renforcée, dès 1945, autour d’un principe : la solidarité envers les familles ayant des enfants à charge. Ce fut un véritable succès, puisque le taux de natalité de la France fut l’un des plus importants du continent.

Pierre angulaire de la politique familiale en France, les allocations familiales ont un caractère universel, c’est-à-dire qu’elles sont versées à toutes les familles, dès la naissance de leur deuxième enfant. Il s’agit d’inciter les parents à avoir plusieurs enfants afin de renouveler les générations. Notons, au demeurant, qu’il s’agit d’un élément majeur pour soutenir notre système de retraite par répartition.

Les allocations familiales permettent de faire partiellement face aux coûts engendrés par ces naissances. Elles étaient d’un même montant, quel que soit le revenu des familles, et elles étaient majorées lorsque naissait un enfant supplémentaire. Le principe de modulation mis en place sous le quinquennat Hollande constitue ainsi une remise en cause du principe égalitaire qui régissait les allocations familiales. Lorsque leur montant était identique pour tous les foyers, elles avaient pourtant une signification symbolique importante : les charges de famille devaient avoir le même sens politique et social pour l’ensemble de la population. La remise en cause de leur caractère égalitaire et universel fait à cet égard peser un risque majeur de délitement de la cohésion sociale entre les familles.

La famille centriste a toujours été attachée à ce principe d’universalité et nous regrettons qu’il ait été remis en question voilà quelques années. Philosophiquement, ces allocations se justifient par les éléments précités. Il ne s’agit pas de compenser une quelconque disparité de moyens financiers entre les familles. Pour cela, il existe d’autres compensations.

Avec cette modulation, le principe d’universalité, s’il n’a pas été supprimé, a toutefois vu sa portée limitée. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, et avec l’aval du Gouvernement, qui cherchait certainement à faire des économies, les députés ont adopté des amendements socialistes tendant à prévoir que, à compter de juillet 2015, les allocations familiales de base pour les foyers comptant deux enfants seraient divisées par deux à partir de 6 000 euros de revenus mensuels et par quatre à partir de 8 000 euros.

Cette modulation avait alors suscité des débats entre les différentes familles politiques, au Sénat notamment. La majorité sénatoriale a voté sa suppression, au motif qu’elle tendait à exclure des familles plutôt qu’à se recentrer sur l’enfant. Elle a toutefois été rétablie à l’Assemblée nationale.

Dans un contexte de natalité en baisse, il était important de remettre le sujet sur la table. À cet égard, je remercie notre collègue Olivier Henno d’avoir déposé cette proposition de loi. Je note qu’un seul amendement est d’ailleurs porté à notre discussion. Je salue le travail de notre collègue, qui, en sa qualité de rapporteur de la branche famille de la sécurité sociale, est parfaitement en mesure d’anticiper la soutenabilité de cette mesure.

Cependant, dire que la natalité dépendrait d’une allocation familiale reviendrait à considérer que les parents faisant le choix d’avoir plusieurs enfants le font uniquement pour obtenir une contrepartie financière. Tel n’est évidemment pas le cas. Ce serait de toute façon difficile à mesurer.

Nous ne pouvons toutefois pas ignorer que le contexte actuel joue un rôle dans le choix d’un couple d’avoir un premier enfant, un deuxième ou plus. Il ne faut pas oublier que ces dernières années n’ont pas été faciles à maints égards : attentats, crise sanitaire, inquiétudes pour l’avenir.

Une baisse de la natalité a ainsi été constatée en France et en Europe. Une étude menée par The Lancet a d’ailleurs fait ressortir que 40 % des 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans interrogés remettaient en question leur désir d’enfant par crainte du réchauffement climatique. Ces chiffres interpellent, même si avoir des enfants n’est pas la préoccupation première de cette tranche d’âge.

Pour autant, le parallélisme entre la baisse de la natalité et la modulation des allocations familiales dans notre pays en 2015 est indéniable. Nous sommes ainsi passés de 818 000 naissances en 2014 à 753 000 naissances en 2019. Il y a donc réellement matière à s’interroger. Le lien avec ce tournant de notre politique familiale ne peut être occulté.

L’article 1er de la proposition de loi supprime donc la modulation du montant des allocations familiales en fonction du revenu du foyer.

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