Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Olivier Henno tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales repose sur la thèse selon laquelle leur modulation, introduite en 2015, a précipité la baisse des naissances dans notre pays.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a, je le rappelle, posé le principe d’une modulation des allocations familiales, des majorations pour âge et de l’allocation forfaitaire en fonction des ressources du ménage.
Cette réforme, souhaitée par le gouvernement d’Alain Juppé, par celui de Lionel Jospin, et mise en œuvre par celui de Manuel Valls, a été menée dans un souci assumé de maîtrise des dépenses publiques, alors que les comptes de la branche famille de la sécurité sociale étaient déficitaires.
Concrètement, cette réforme fait porter sur les familles les plus aisées un effort de solidarité en divisant par deux le montant des allocations familiales qui leur sont versées lorsqu’elles perçoivent des revenus supérieurs à 6 000 euros par mois ou par quatre lorsque leurs revenus dépassent 8 000 euros. En 2016, environ 450 000 familles étaient concernées, soit moins de 10 % du nombre total d’allocataires.
Permettez-moi, dans le peu de temps qui m’est accordé, de revenir sur certains des arguments qui ont été avancés par notre rapporteur.
Le premier d’entre eux revient à confondre, à mon sens, causalité et corrélation.
Il est vrai que la France enregistre depuis quelques années une baisse de sa natalité. En 2014, elle comptait 818 000 bébés ; en 2019, on en dénombrait 753 000, soit une baisse de 8 %. Peut-on affirmer pour autant que la réforme des allocations familiales en est l’une des causes principales ? À vrai dire, nul ne le sait.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’ensemble des pays de l’OCDE connaissent une baisse de leur natalité. La France, qui avait fait longtemps figure d’exception, n’échappe plus à la règle. Elle demeure pourtant, avec 1, 8 enfant par femme, contre 1, 56 enfant en moyenne, à la première place des pays européens.
Le second argument consiste à dire que la modulation des allocations familiales est une remise en cause des principes d’universalité et de solidarité.
Mes chers collègues, entendons-nous bien : il s’agit non pas de remettre en cause le caractère universel des allocations, mais bien de fixer un principe de répartition. Au-delà du fait que l’ensemble des prestations liées à la politique familiale fonctionnent selon ce principe, c’est justement parce que cette mesure d’économie repose uniquement sur les foyers les plus aisés qu’elle a un sens.
En 2019, les familles monoparentales représentaient près d’un quart des familles avec enfants. Elles sont, vous le savez, plus souvent en situation de précarité que les autres. Dans la majorité des cas, le parent seul est une femme. Par ailleurs, 40 % des enfants mineurs élevés dans ces familles vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire. Comment accepter, dans ce contexte, que les 830 millions d’euros que coûterait ce retour en arrière bénéficient uniquement aux familles les plus aisées ?
Comment expliquer demain à nos concitoyens qu’une famille dont les parents gagnent le SMIC percevra le même montant qu’une famille de cadres, alors même que celle-ci bénéficie déjà largement de notre politique familiale ?
Ce constat, que nous sommes nombreux à partager dans ce pays, ne signifie pas pour autant que la situation actuelle est satisfaisante.
Beaucoup pourrait être fait pour rendre les allocations familiales plus justes, qu’il s’agisse d’en modifier les seuils ou de renforcer le soutien aux familles monoparentales, mais cela fera peut-être l’objet d’un prochain débat.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nos priorités étant différentes, notre groupe votera résolument contre cette proposition de loi.