Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’amélioration de la prise en charge du trouble du déficit de l’attention, qu’il s’accompagne ou non d’hyperactivité, tel est le sujet qui nous réunit ce soir dans l’hémicycle.
Le trouble du déficit de l’attention, abrégé en TDAH, présente au moins trois volets : déficit de l’attention, impulsivité et hyperactivité. Ces symptômes peuvent provoquer une souffrance durable au quotidien. Ce trouble peut aussi constituer un handicap invisible pour l’enfant ou l’adulte dans son apprentissage, ses relations sociales ou sa vie professionnelle.
Force est de constater que ce trouble, pourtant fréquent, est méconnu, très mal reconnu et sous-diagnostiqué. Il concerne environ 5 % des enfants, puis 2, 5 % de la population adulte, soit environ 2 millions de nos compatriotes. La France connaît un retard significatif en matière de diagnostic et d’accompagnement des personnes qui en souffrent.
Par ailleurs, les signes évocateurs du TDAH peuvent être semblables à ceux des troubles anxieux ou de la précocité intellectuelle. Aussi, le TDAH est souvent associé à d’autres troubles « dys », tels que la dyslexie ou encore le syndrome des jambes sans repos, ce qui rend particulièrement complexe le diagnostic et induit parfois une certaine errance médicale.
Ces réalités m’ont incitée à déposer une proposition de loi visant à améliorer le dépistage de ce trouble, à prendre en compte sa singularité et à faciliter sa prise en charge grâce à une meilleure formation des professionnels de santé et d’éducation, ainsi que par une systématisation des consultations pour les enfants concernés.
Selon un proverbe chinois, mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité ! Notre collègue Annick Jacquemet, à qui j’adresse mes sincères remerciements pour son engagement sans faille, a réalisé dans un délai très court des auditions de qualité.
Selon certaines associations, la concertation sur ce sujet à la fois complexe et sensible n’aurait pas été assez large ni assez précoce. Je peux comprendre leur position. Néanmoins, je suis surprise d’une certaine concurrence entre associations. Comme l’a si bien dit Simone Veil, « aussi longtemps qu’on s’entend, qu’on partage, on vit ensemble ». Non seulement on vit ensemble, mais on avance aussi ensemble !
Je salue la décision du groupe Union Centriste de transformer l’examen de ce texte en débat. Cette volonté de discussion est une note d’espoir, l’objectif étant que la situation de nombreuses familles s’améliore enfin. Le dépôt de ce texte n’a pas été inutile, puisque nous parlons du TDAH au Sénat ; je suis persuadée que nous en parlerons désormais de plus en plus.
Je tiens à rappeler les répercussions de ce trouble dans les sphères familiale, scolaire et sociale.
Commençons par la sphère familiale. En raison de son omniprésence dans la vie de l’individu concerné, son entourage se retrouve lui aussi affecté. Les parents sont au premier chef frappés par la souffrance de leur enfant et le regard que les autres portent sur lui.
« L’enfer, c’est les autres », pour reprendre la fameuse phrase de Jean-Paul Sartre. Ces regards extérieurs perçoivent l’enfant comme étant mal élevé en raison de son comportement, ne parvenant pas à appréhender d’emblée le fonctionnement d’un cerveau atypique.
Le diagnostic apparaît alors comme un soulagement pour les parents, mais ils doivent ensuite entreprendre un parcours du combattant. Il est difficile de tout concilier : le travail, les rendez-vous avec l’école, les soins et leur gestion au quotidien. Ces parents sont obligés de travailler à temps partiel, voire de renoncer à leur vie professionnelle pour s’occuper de leurs enfants. Cette situation creuse les inégalités sociales.
Dans la sphère scolaire aussi, l’enfant rencontre des difficultés : anxiété, dépression, harcèlement, décrochage, phobie, vomissement, fatigue, pleurs, stress, crises d’angoisse avant et après la classe. Ces nombreux freins ne lui permettent souvent pas d’avoir une scolarité réussie. En général, les parents dialoguent avec les enseignants, les informent du diagnostic de leur enfant, ainsi que de ses différents symptômes. Malgré ces efforts de part et d’autre, l’inclusion scolaire n’est pas toujours effective sur le terrain. Les demandes des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ne sont que partiellement acceptées, faute de réels moyens alloués à l’intégration des élèves ayant des besoins spécifiques.
En outre, la scolarisation de ces enfants dans une structure spécialisée ou une école privée n’est pas financièrement possible pour tous les parents, ce qui met en péril le principe d’égalité des chances.
Enfin, dans la sphère sociale, nombreux sont les risques liés à la non-prise en charge de ces enfants : on relève des risques plus élevés d’alcoolisme, d’addiction, de dépendance, de délinquance et de suicide. Il semblerait qu’il y ait chez les adultes souffrant de TDAH davantage de suspensions de permis de conduire, d’accidents et d’arrestations. On observe chez eux un risque d’addiction deux à trois fois plus important. Selon certaines études internationales, la prévalence du TDAH dans la population carcérale s’élèverait à 26 %.
Malheureusement, dans la majorité des cas, le diagnostic n’a été établi ni durant l’enfance ni durant l’adolescence. Cela a des conséquences négatives sur la vie professionnelle : arrêts de travail plus fréquents, dépression, chômage répété.
En ce qui concerne le parcours de soins, il s’agit d’abord de mesures psychologiques, éducatives et sociales. Si celles-ci ne suffisent pas, un traitement médicamenteux peut être prescrit par certains spécialistes. Bien évidemment, je m’inscris dans la mouvance qui s’efforce d’éviter l’exemple américain et le recours massif aux médicaments.
Le TDAH reste le parent pauvre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement (TND) lancée par le Gouvernement en 2018. La réalité est décevante. Il semble que le TDAH n’ait été que tardivement inclus dans cette stratégie, sur un même pied que les autres troubles. Il s’avère aussi que les actions de ce plan ne suffisent pas.
Les plateformes de coordination et d’orientation (PCO) dédiées aux enfants de 7 à 12 ans ne sont pas encore opérationnelles, la circulaire interministérielle les concernant n’ayant été publiée qu’en septembre dernier.
Je regrette que tant d’années soient perdues pour les familles. Combien de temps auront-elles été abandonnées à leur propre sort ? Ce n’est plus admissible !
Les délais moyens d’attente dans les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) ou les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) peuvent dépasser une année, voire plus. Par conséquent, les familles sont parfois contraintes de supporter les frais du suivi pluridisciplinaire et hebdomadaire afin de procurer à leur enfant un accompagnement immédiat. Cela pèse lourdement sur leur budget et les oblige à réduire la fréquence des soins et des autres mesures d’accompagnement.
Vous l’aurez compris, la méconnaissance de ce trouble entraîne un retard de diagnostic, un retard d’accès aux soins et une prise en charge non adaptée. Ces retards de prise en charge peuvent conduire à une aggravation des conséquences psychologiques, scolaires et sociales, ainsi qu’à l’installation de troubles associés.
Il existe des inégalités territoriales d’accès aux spécialistes afin d’établir un diagnostic formel de ce trouble. La formation des professionnels de santé au TDAH est encore insuffisante. Pour une prise en charge efficace du trouble, il faut repérer, diagnostiquer et intervenir précocement, diffuser les connaissances en formant les acteurs de première ligne et favoriser l’inclusion scolaire, ainsi que la guidance familiale.
C’est pourquoi je propose une formation continue des enseignants, une formation plus complète des professionnels de santé et une amélioration de l’accès aux soins par un dépistage précoce et systématique des enfants concernés afin de mieux prendre en considération ce handicap invisible. Une fois le trouble repéré, l’accès aux équipes pluridisciplinaires dans des délais acceptables est nécessaire afin de permettre une égalité des chances pour chaque patient.
Mes chers collègues, les enfants TDAH mieux identifiés, mieux accompagnés seraient des adultes plus épanouis dans notre société et moins dépendants de notre système social. Il est anormal qu’en France ces enfants soient mis de côté parce qu’ils ne sont pas dans la norme.
Ce débat est une réelle occasion d’aboutir à la reconnaissance du TDAH, pour que nos enfants puissent enfin être considérés et intégrés dans une société inclusive, telle que l’a définie Charles Gardou, « une société sans privilèges, sans exclusivités ni exclusions ».