Intervention de Annick Jacquemet

Réunion du 2 février 2022 à 15h00
Amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l'attention — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Annick JacquemetAnnick Jacquemet :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je devais initialement être la rapporteure de la proposition de loi déposée par Jocelyne Guidez, mais son examen en séance publique a été remplacé par ce débat.

Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, j’ai reçu des messages de parents me racontant leur détresse, leurs difficultés au quotidien, leurs doutes aussi. J’ai été très touchée par ces fragments de vie, ces appels au secours, mais aussi ces témoignages de parents fiers d’accompagner leurs enfants, envers et contre toutes les difficultés.

Je conserve des auditions quelques convictions.

Le TDAH, que l’on réduit trop souvent à l’hyperactivité, est d’abord une importante source de mal-être. La HAS le qualifie de « souffrance au quotidien et inscrite dans la durée ». Il touche plus de 2 millions de personnes. On ne peut donc s’en désintéresser.

Cette souffrance est difficile à qualifier et à identifier. Les familles sont réticentes à parler de maladie ou de handicap, et on peut les comprendre. Ce n’est pas une maladie, puisqu’il n’en existe pas de signes neurologiques ou physiques : ses signes évocateurs sont semblables à ceux d’autres troubles, tels que ceux des troubles anxieux, de la précocité intellectuelle ou du spectre autistique.

Du reste, le TDAH est souvent associé à certains de ces troubles. Il s’agit plutôt d’une association de différents symptômes qui ne lui sont pas propres et qui n’appellent la qualification de TDAH que lorsqu’ils atteignent une certaine intensité entraînant des conséquences gênantes dans la vie quotidienne.

La qualification de handicap est également contestable, pour la même raison. D’ailleurs, d’un point de vue administratif, les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), par méconnaissance, refusent très souvent de le reconnaître.

Il en découle une première observation. Il se pourrait que nos mécanismes de protection sociale, conçus en termes de soins financés par l’assurance maladie ou de handicaps pris en charge par les circuits spécifiques de la politique de handicap, maintiennent certaines affections dans des angles morts, desquels nous devrions chercher à les extraire.

Certes, ce trouble peut être traité, on peut apprendre à vivre avec, mais il faut voir comment et entendre, à cette fin, des psychiatres, des neuroscientifiques et des associations, comme je l’ai fait. On s’aperçoit alors que le TDAH constitue aussi, à son échelle, un enjeu de santé publique.

On observe chez les adultes TDAH un risque d’addiction deux à trois fois plus important. Les addictologues formés à la clinique du TDAH diagnostiquent ce trouble chez 20 % de leurs patients et, dans 95 % des cas, le diagnostic n’avait jamais été établi antérieurement. Selon certaines études internationales, la prévalence du TDAH dans la population carcérale s’élèverait à 26 %.

Repérer et traiter précocement est un impératif à titre individuel, mais aussi collectif. Mes chers collègues, certains d’entre vous se souviennent peut-être qu’un dépistage systématique des troubles du comportement chez les enfants avait été envisagé voilà une quinzaine d’années par le président Sarkozy, sur la base d’un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Cela avait à l’époque suscité des réticences, car il s’agissait manifestement d’un outil de lutte contre la délinquance. Toutefois, on peut parfaitement considérer cet impératif sous un angle strictement sanitaire. C’était d’ailleurs ce que prévoyait Jocelyne Guidez dans sa proposition de loi, qui créait dans le code de la santé publique de nouvelles consultations systématiques obligatoires pour les enfants.

Par ailleurs, et c’est la deuxième observation, nous avons des marges de progression en matière de repérage et de prise en charge précoce. Les exploiter pourrait avoir des conséquences favorables sur le comportement social des jeunes.

Le TDAH reste très mal connu d’une manière générale, et, curieusement, par les professionnels de santé eux-mêmes.

Où qu’en soit la recherche, l’expression « retard français » en matière de diagnostic et d’accompagnement revient très souvent dans le discours associatif et scientifique.

Certes, le Gouvernement a doté la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement de mesures importantes et je ne doute pas que vous saurez nous les détailler, madame la secrétaire d’État. Je songe, d’une part, à la création d’un parcours de prise en charge et d’autre part, à la solvabilisation des familles par la création d’un forfait d’intervention précoce.

On peut toutefois douter que ces actions suffisent.

D’abord, il semble que le TDAH n’ait été inclus dans la stratégie à l’égal des autres troubles que tardivement, au point que les associations contestent encore que le livret de repérage pour les plateformes 7-12 ans leur soit adapté.

Ensuite, toutes les actions du plan ne produiront pas leurs effets immédiatement. Les plateformes 7-12 ans, par exemple, ne sont pas encore opérationnelles, la circulaire interministérielle qui les concerne n’ayant étant publiée qu’au mois de septembre dernier.

Enfin, même s’il a été doté d’environ 350 millions d’euros depuis 2018, ce plan a ses limites. Le forfait d’intervention précoce ne dure qu’un an et n’est renouvelable qu’une fois. Le conventionnement avec les professionnels est limité à trois professions. Il appuie enfin ses efforts de coordination sur les ressources existantes : par exemple, les plateformes de coordination et d’orientation sont notamment assises sur les centres d’action médico-sociale précoce ou les centres médico-psycho-pédagogiques. Or, selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2018, les délais moyens d’attente sont de quatre mois pour les CAMSP et de sept mois pour les CMPP, mais peuvent dépasser une année, voire plus.

En conséquence, les parents impuissants devant les symptômes de leur enfant et leurs conséquences dramatiques sur son éducation se trouvent dans une errance diagnostique. Ils vont ainsi, ballottés entre des écoles inadaptées et des médecins convaincus que leur enfant n’est que mal élevé, et, lorsqu’ils trouvent des spécialistes souvent éloignés, ils y consacrent plusieurs centaines d’euros par mois, non remboursés.

Une telle situation accroît les inégalités d’accès aux soins qui existent déjà, car seules les familles aisées peuvent offrir à leurs enfants l’accompagnement dont ils ont besoin. Ce n’est pas acceptable.

Il faut donc aller plus loin encore.

J’en viens à la formation. Au mois de novembre 2021, la HAS a identifié la formation des professionnels comme étant le premier enjeu d’une meilleure prise en charge de ces troubles. Avec la stratégie nationale, des efforts intéressants ont été engagés, mais il faut être plus systématique.

Tel était l’objet des deux premiers articles de la proposition de loi, qui précisaient les obligations de formation initiale et continue du personnel enseignant et des professionnels de santé.

En matière de connaissances, la diffusion du savoir théorique et pratique relatif à chacun des troubles du neuro-développement devra tendre vers l’homogénéisation. La stratégie nationale a prévu la création d’un groupement d’intérêt scientifique et de cinq centres d’excellence, ainsi que le développement de réseaux d’excellence et de collaborations internationales. Il faudra veiller à ce que le TDAH y soit bien pris en compte.

Pour ce qui est de la scolarisation, l’autorégulation déployée dans une trentaine d’écoles donne d’excellents résultats sur le profil des enfants TDAH. Les méthodes d’intervention utilisées fonctionnent sur tous les enfants atteints de troubles du neuro-développement et les groupes d’entraide mutuelle ont été ouverts aux autres troubles. Le chantier de l’adaptation du travail en classe et du respect des différences des enfants reste néanmoins largement ouvert.

Je souhaite en conclusion dire à toutes les associations que j’ai rencontrées, ainsi qu’à celles que je n’ai pas eu le temps d’auditionner, que nous restons mobilisés avec elles sur cette question si importante pour le bien-être de nos enfants et d’une part notable de nos concitoyens.

Madame la secrétaire d’État, je vous poserai quatre questions.

Comment permettre l’adaptabilité de notre protection sociale ? Nous avons su le faire pour la covid, nous devons désormais nous organiser pour ne plus laisser personne dans l’errance, quitte à nous améliorer au fil de l’eau.

Comment rendre les métiers qui entourent notamment les TDAH plus attractifs, pour qu’il existe une offre satisfaisante permettant un dépistage et un accompagnement ?

Comment s’assurer de la formation des personnels ?

Comment assurer aux familles la prise en charge de leurs frais par la solidarité nationale et ainsi garantir le respect du principe d’égalité ?

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