Intervention de Corinne Feret

Réunion du 2 février 2022 à 15h00
Amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l'attention — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Corinne FeretCorinne Feret :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre d’un sujet majeur et pourtant largement méconnu, celui de la prise en charge de ces millions de Français qui souffrent d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

Je ne vous cache que je suis triste ce soir : j’aurais aimé que nous avancions et légiférions enfin pour aider tous ceux qui sont aujourd’hui en attente d’un diagnostic, en attente de poser des mots sur ce trouble neuro-développemental qui les mine au quotidien.

Quel dommage de ne pas avoir profité de la proposition de loi de Jocelyne Guidez ! Certes, elle était imparfaite, mais nous aurions pu l’amender, pour aider toutes ces familles, dans le Calvados comme ailleurs, qui aimeraient que leur enfant soit pris en charge par des professionnels de santé spécialisés, qui aimeraient surtout que l’école soit plus douce, plus accueillante, bienveillante avec leur enfant trop souvent considéré comme un élément perturbateur, le mauvais élève, dissipé, celui qui n’écoute rien.

Oui, c’est triste, car, dans un pays comme la France, des familles emmènent chaque jour leur enfant à l’école avec la boule au ventre, avec l’espoir que tout se passe bien, qu’il n’y ait pas une énième punition, un énième mot dans le carnet, en espérant aussi que leur enfant ne soit pas laissé de côté, isolé, voire harcelé… En tant que parlementaires, nous avons tous reçu, notamment par mail, les témoignages de familles ou de personnes directement concernées qui attendaient tant de l’examen d’une proposition de loi spécifiquement consacrée au TDAH. C’est un rendez-vous manqué et je le regrette !

Combien de personnes sont concernées ? On estime que ce handicap touche entre 3 % et 5 % des enfants d’âge scolaire, auxquels il convient d’ajouter les adultes, encore trop peu diagnostiqués.

Certes, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis la reconnaissance de ce trouble en tant que handicap. Cependant, beaucoup reste à faire et nous avons ce soir le devoir de parler vrai et concret.

Ce faisant, je souhaite ici pointer trois grandes difficultés, en centrant volontairement mes propos sur la situation des enfants et des adolescents TDAH.

Tout d’abord, force est de constater que l’on ne connaît pas suffisamment ces enfants et adolescents, leur nombre réel, leur parcours scolaire… Le problème est que beaucoup d’entre eux compensent : leurs stratégies font que leurs troubles peuvent apparaître comme légers, dissimulant des difficultés plus importantes uniquement identifiables au travers de bilans pluridisciplinaires, réalisés par des spécialistes. Aussi, une telle compensation par l’élève ne dure qu’un temps et le risque pour lui est d’échouer durablement, de décrocher au fil du temps.

Les enfants concernés font souvent une dépression à l’adolescence, car ils ont tiré sur la corde et fait d’énormes efforts pour compenser. Ils peuvent vite être en échec lorsque personne ne reconnaît leur valeur ou leurs efforts.

Il est bien sûr nécessaire de mieux recueillir la parole des familles, notamment pour savoir comment l’école est vécue. Il faut aussi comprendre qu’il y a une vie en dehors de l’école et prendre conscience des difficultés rencontrées au quotidien avec l’enfant en situation de handicap. Les familles sont encore trop souvent pointées du doigt et culpabilisées.

Sur ce premier volet, je pense qu’il est surtout nécessaire de mettre enfin un terme à certains amalgames. Les enfants TDAH, je pourrais dire la même chose des « dys », ne sont pas autistes. De même, il n’y a aucun effet de mode à être diagnostiqué TDAH. Je trouve dommage que l’on en soit encore là, en France, en 2022.

Je regrette qu’il existe une stratégie nationale globalisante pour l’autisme et les troubles du neuro-développement. Cette situation est selon moi susceptible d’entretenir des confusions.

Ensuite, la question du diagnostic est importante, voire centrale.

De trop nombreuses familles sont en errance, ne comprenant pas ce qu’a leur enfant. « Indiscipliné », « fainéant », « ne voulant pas travailler ni faire des efforts » ? Non, il est peut-être TDAH.

La précocité du diagnostic et des interventions est un facteur clé de prévention du surhandicap : illettrisme, sortie du système scolaire, conduites à risques, non-accès au marché du travail… On voit bien qu’il faut encore réfléchir à ce qui permettrait d’éviter des années d’errance, perdues par les enfants et leur famille, donc de mieux dépister, puis de diagnostiquer.

Un point de vigilance tout de même : je sais qu’il peut y avoir de la part des familles de la défiance à l’égard des CMP ou CMPP, dont les personnels, d’obédience psychanalytique, ne sont pas suffisamment formés aux troubles TDAH. C’est un véritable sujet.

En pratique, l’enfant, le jeune a souvent besoin d’un bilan pluridisciplinaire, au coût élevé. Beaucoup de familles ne peuvent assumer ce coût et ne connaissent pas les dispositifs existants. Les plateformes de coordination et d’orientation, qui existent depuis 2019, ne sont encore pas suffisamment connues.

On ne va pas se le cacher : il y a surtout un réel manque de professionnels spécialisés – orthophonistes, ergothérapeutes, neuropsychologues, psychomotriciens… – pour diagnostiquer, puis prendre en charge ces enfants. Pis, même avec des diagnostics posés, certaines maisons départementales des personnes handicapées rechignent à reconnaître d’un point de vue administratif le handicap de l’enfant. En plus de la question des délais de traitement des dossiers, cette disparité selon les départements est aussi un réel problème.

Enfin, j’évoquerai spécifiquement l’école, car c’est le lieu où l’enfant passe au minimum huit heures par jour. Il y a encore fort à faire pour améliorer la détection, puis la prise en charge par les équipes éducatives.

Pour cela, il conviendrait de revoir la formation des enseignants, qui devraient mieux connaître les troubles du neuro-développement. Il faut une véritable montée en compétences et non une simple sensibilisation aux difficultés des enfants. J’aurais pu évidemment dire la même chose pour les accompagnants, les AESH et les autres personnels présents au sein de l’école.

En amont du diagnostic, le rôle de l’enseignant est majeur, car il devrait être à même de repérer les troubles, en d’autres termes de détecter des signes, et non pas de diagnostiquer. Il devrait ensuite pouvoir orienter la famille vers un diagnostic et laisser aux spécialistes le soin de réaliser un bilan pluridisciplinaire, avec des préconisations adaptées sur lesquelles s’appuyer.

On parle beaucoup d’école inclusive, mais, même lorsque le diagnostic est posé, il y a encore trop de disparités dans les accompagnements et les prises en charge, selon les écoles, les classes… Aujourd’hui, les aménagements relèvent encore trop de la bonne volonté de l’enseignant, laquelle s’exprime très souvent.

Je terminerai sur une note positive, car j’ai appris qu’un avis favorable au remboursement de la Ritaline pour l’adulte avait été adopté récemment lors de la réunion de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Il est indispensable que ces traitements soient enfin remboursés pour les plus de 18 ans qui en ont besoin.

Telles sont, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler dans le cadre de ce débat.

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