Intervention de Raymonde Poncet Monge

Réunion du 2 février 2022 à 15h00
Amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l'attention — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Raymonde Poncet MongeRaymonde Poncet Monge :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les écologistes se félicitent qu’un débat sur le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité remplace la proposition de loi qui en est à l’origine.

Non que le sujet ne mérite pas notre intérêt – nous avons entendu le désarroi des familles, l’errance médicale, les frais non remboursés associés aux prises en charge, et nous remercions le groupe Union Centriste d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de nos travaux –, mais le législateur doit se garder de devenir prescripteur normatif en partant d’approches théoriques et cliniques qui ne représentent pas toutes les pratiques soignantes et éducatives.

Dépistage précoce du TDAH porté sur le carnet de santé de l’enfant, capacité pour le médecin généraliste de porter un diagnostic à partir d’un module de formation de quelques heures : ces préconisations semblent escamoter les présupposés théoriques sur lesquels elles s’appuient.

D’après un neuropédiatre spécialiste des troubles neuro-développementaux, un quart des élèves d’une classe souffriraient de troubles « dys », d’un déficit de l’attention ou d’hyperactivité. Faudrait-il pour autant dépister systématiquement les enfants, à différents âges, comme on dépiste une déficience visuelle ?

Les tenants d’un trouble héréditaire prédestinant mécaniquement à des difficultés, voire à toutes sortes de déviances – drogues, délinquance – préconisent logiquement une politique de dépistage de l’enfant-symptôme, porteur d’un dysfonctionnement d’une région de son cerveau évalué à grand renfort de tests et d’échelles, dans le but de mettre à jour les déficits, et jamais les ressources mobilisables par l’enfant, sujet de son histoire.

Le diagnostic posé, il est possible d’orienter vers la reconnaissance de ce handicap invisible. Souvent, cette approche issue des sciences neuro-comportementales conduit naturellement aux thérapies cognitivo-comportementales.

Comme aux États-Unis bien avant nous, cette approche tend à devenir hégémonique dans beaucoup de dispositifs. Le mouvement des psychologues cliniciens s’est élevé contre cette tendance, non pour en contester toute légitimité, mais pour défendre la pluralité des approches scientifiques qui font la richesse de l’enseignement et des pratiques thérapeutiques en France.

En effet, les spécialistes du soin psychique, les éducateurs et les pédagogues qui repèrent ces difficultés chez l’enfant mettent principalement en avant la fécondité d’une approche polyfactorielle, qui s’intéresse autant aux facteurs internes – avec, bien entendu, de possibles prédispositions – qu’aux facteurs externes – contexte familial, social, culturel, scolaire et environnemental, notamment la surexposition aux écrans et les stimulations et excitations qu’elle entraîne.

Ces facteurs explicatifs nous invitent à mettre en œuvre une véritable politique publique de prévention et à ne pas nous en tenir à une conception réductrice de l’individu humain. Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité fait l’objet de controverses entre plusieurs approches, entre lesquelles qu’il n’appartient pas aux pouvoirs publics de trancher. Ces derniers doivent faire vivre la pluralité des référentiels théoriques et non normaliser les pratiques soignantes en orientant vers un seul type de soins remboursés.

Les professionnels doivent débattre sans s’accuser réciproquement de déni : d’un côté, le déni d’une prédisposition ; de l’autre, le déni de la place de l’histoire singulière de l’enfant et de son environnement dans ses difficultés et leur dépassement.

Il n’est pas neutre de promouvoir le dépistage précoce du TDAH alors que des travaux cliniques, distinguant d’ailleurs les troubles de l’attention et l’hyperactivité, alertent sur un risque de surdiagnostic et, en bout de chaîne, de surmédicalisation.

La France avait d’ailleurs adopté une attitude prudente, en limitant la prescription et le renouvellement annuel des médicaments psychostimulants aux pédopsychiatres hospitaliers.

En ouvrant leur prescription à la médecine de ville, il est probable que le recours médicamenteux augmente, tandis que les lieux pluridisciplinaires de prévention et de soins comme les CMPP ont vu leurs moyens péricliter, les délais d’attente pour les enfants en difficulté dépassant plusieurs mois.

Et que dire des médecins, infirmiers et psychologues scolaires, affectés sur plusieurs écoles ? Ces réalités rendent impossible la rencontre des professionnels spécialisés, de l’équipe éducative et des parents autour de la situation de l’enfant.

Il faut bien sûr identifier au plus tôt les difficultés, diagnostiquer, mais ne pas enfermer l’enfant dans son trouble et déployer des dispositifs d’accompagnement et des propositions pédagogiques adaptés à sa situation.

Il faut aussi mettre fin à la destruction des centres où exercent des équipes pluridisciplinaires et embaucher massivement différents types de professionnels, dont la pluralité des regards et des pratiques est essentielle pour permettre à chaque enfant en difficulté de construire son propre chemin d’émancipation.

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