Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi en guise de propos liminaire de remercier Max Brisson, à qui nous devons l’organisation de ce débat.
Stay woke, le titre du documentaire réalisé en 2016 par Laurens Grant sur le mouvement Black Lives Matter est devenu un mot d’ordre aux États-Unis pour tous ceux qui considèrent les sociétés occidentales comme structurellement racistes mais aussi sexistes, islamophobes ou homophobes.
Stay woke signifie donc : restez éveillés, restez vigilants, soyez sur vos gardes, car les discriminations sont partout, nous les pratiquons sans le savoir, nous sommes coupables à notre insu. Tel est le mot d’ordre du wokisme, qui nous renvoie à une faute que nous commettons sans même en avoir conscience.
Littéralement, le wokisme renvoie d’abord à une faute d’orthographe. Dans la langue de Shakespeare, il aurait fallu dire awoken et non woke. Au commencement était l’erreur, déjà !
On pourrait considérer l’étymologie du signifiant comme anecdotique, tant le signifié est problématique. J’en doute car, au fond, se cache l’idée que la langue en soi est un mécanisme d’oppression et de discrimination.
On court aujourd’hui le risque de ne pouvoir s’exprimer sans blesser quelqu’un. En France, nous subissons déjà les assauts de cette exégèse moralisatrice. Elle revêt de multiples visages et réprime toute forme d’expression. La censure frappe autant la langue du quotidien que le langage artistique.
Concernant la langue du quotidien, cette censure s’appelle « écriture inclusive ». Ses promoteurs soutiennent que les règles de grammaire française constituent des mécanismes d’oppression à l’encontre de la gent féminine. À la vérité, l’écriture inclusive exclut et discrimine. Elle oppose sans cesse les genres, sans jamais les accorder.
Madame la secrétaire d’État, nous le constatons tous les jours, l’écriture inclusive se propage partout. Elle gagne même l’université, ses professeurs, ses élèves et son administration. Le ministre de l’éducation nationale avait pourtant été clair à ce sujet : cette déformation du français n’a pas sa place dans notre administration. Elle ne l’a pas non plus, a fortiori, dans les lieux où se transmet le savoir.
Nous avions débattu de cette question, sur mon initiative, en mai dernier et je me réjouis que ces travaux se poursuivent, au travers notamment de la proposition de loi déposée par ma collègue Pascale Gruny, que je salue.
Nos discussions s’inscrivent donc dans une forme de continuité. Wokisme, écriture inclusive, ces dérives prospèrent à l’université. Elles y remettent en cause le véhicule du savoir, c’est-à-dire le langage en tant que tel.
Je l’ai dit, le wokisme n’applique pas sa censure qu’à la langue du quotidien, mais aussi au langage artistique. Comme dans les campus américains, de plus en plus d’étudiants s’opposent, en France, à ce que certaines manifestations culturelles aient lieu, au prétexte qu’elles perpétuent des stéréotypes sexistes ou racistes.
Ainsi, en mars 2019, des groupuscules soi-disant antiracistes manifestaient contre une représentation de la pièce d’Eschyle Les Suppliantes, donnée dans l’amphithéâtre Richelieu en Sorbonne. La raison invoquée par ces agitateurs était que le metteur en scène avait couvert les visages de masques, dont certains étaient noirs. Ils ignoraient qu’il s’agissait là de renouer avec la pratique classique du théâtre antique.
Je ne crois pas utile d’entrer dans un débat propre aux études théâtrales. Ce qui choque dans cet événement, comme dans bien d’autres survenus depuis, c’est que des groupuscules s’attribuent un rôle de censeur que personne ne leur a confié.
Il faut le dire tout net : la culture doit rester libre de ces censures. Nous ne pouvons pas baisser la garde. Nous devons au contraire explorer les voies d’action, qu’elles soient d’ordre législatif, réglementaire ou même culturel, pour y mettre un terme.
Nous devons également mener la bataille sur le plan des idées. Il faut expliquer pourquoi on ne combat pas le racisme en interdisant des pièces de théâtre. Il faut expliquer pourquoi on ne lutte pas pour l’égalité entre les hommes et les femmes lorsque l’on exclut des hommes de certaines réunions. Il faut expliquer enfin pourquoi on dégrade le débat intellectuel lorsque l’on interdit à certaines personnes de s’exprimer, au motif qu’elles ne pensent pas comme il faut.
L’université est, par définition, le lieu où s’ouvrent les esprits et se transmettent les savoirs. Le wokisme n’y a pas sa place.
L’enjeu est d’autant plus grave que, pour les générations actuelles et futures, l’université pourrait donner à cette idéologie l’apparence d’une validation éthique et scientifique. Il y va de la préservation de notre langue et de notre culture !