Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, par sa résolution du 4 janvier dernier, le Sénat unanime a alerté le Gouvernement sur les difficultés structurelles que connaissent les étudiants, les enseignants et de manière générale l’enseignement supérieur. Il a considéré que l’université n’avait pas eu les moyens de gérer le croît continu des effectifs estudiantins et que la qualité de l’enseignement en avait pâti.
Nous avons plaisir à constater que le Président de la République partage l’essentiel de ce jugement, puisque le 13 janvier, devant la Conférence des présidents d’université, il a reconnu que son gouvernement n’avait fait que « colmater les brèches » et qu’il n’avait pas réussi à conduire une « transformation systémique de nos universités ».
Dans l’ordre des priorités, l’urgence est là : dans la nécessité de donner rapidement aux universités les moyens d’assurer leurs missions de service public au profit des étudiants et de la Nation.
Alors que le paquebot universitaire est, comme le Titanic, menacé par de multiples voies d’eau, je me demande si l’objet de ce débat n’est pas de déterminer si la musique jouée par l’orchestre est responsable du naufrage…
Néanmoins, je partage, mes chers collègues, votre volonté de mieux défendre la liberté académique comme principe protecteur de l’autonomie des universités et des universitaires et des connaissances qu’ils produisent.
Lors de la discussion du projet de loi de programmation de la recherche, j’avais défendu, dans cet hémicycle, plusieurs amendements visant à conforter cette liberté.
Ainsi, mon amendement n° 97 rectifié bis prévoyait de garantir l’indépendance des universitaires, de protéger leur liberté d’expression et de leur accorder une protection fonctionnelle de droit. Vous l’avez repoussé, mais je comprends que vous seriez maintenant disposés à engager une réflexion pour conforter les dispositions législatives relatives à la liberté académique. Mon groupe déposera donc une proposition de loi sur le sujet – vous la voterez certainement…
En juin 1968, depuis l’université de Nanterre occupée, Paul Ricœur, qui avait vécu physiquement ce que pouvait être une atteinte à la liberté d’expression, donnait cette définition de la liberté académique : « Le droit de l’enseignant, c’est d’abord le droit afférant à la compétence et à l’expérience, tel qu’il a été sanctionné non par les étudiants, mais par les autres compétents, ses pairs ; c’est ensuite le droit à la liberté de pensée et d’expression, en dehors de toute censure politique et idéologique ; c’est enfin, le droit d’accomplir son propre dessein de connaissance et de science dans l’enseignement et hors de l’enseignement. »
La liberté académique est avant tout la liberté professionnelle d’exercer librement son activité d’enseignant et de chercheur dans le cadre de normes et de règles déontologiques définies par ceux qui constituent cette profession. Elle est donc à la fois personnelle et corporative.
Comme l’écrit excellemment le professeur Olivier Beaud : « La liberté académique suppose l’autonomie professionnelle et aussi l’existence d’une communauté par discipline scientifique dans laquelle règnent les deux grands principes de la collégialité et de la cooptation, c’est-à-dire tout le contraire du principe de la hiérarchie et de l’autorité. »
Ce même professeur est alors obligé de constater que ces deux principes de collégialité et de cooptation ont été transgressés par de nombreuses dispositions législatives, depuis l’adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités jusqu’à celle de la loi de programmation de la recherche.
Pour conforter la liberté académique, il faudrait donc restaurer les principes de collégialité et de cooptation, c’est-à-dire refonder une véritable autonomie pour les universités. Est-ce vraiment votre projet politique, mes chers collègues ?
Pour en revenir au strict intitulé de ce débat de contrôle, je me demande s’il n’y a pas une forme de contradiction à discourir à la fois de la liberté académique et des théories académiques qui la menaceraient. Est-ce vraiment au Parlement, au pouvoir législatif, de déterminer ce que les professeurs, dont l’indépendance est garantie par la Constitution, doivent enseigner ?
Qu’il y ait des atteintes à la liberté d’expression sur les campus, nul ne le conteste, mais comme le rappelait très justement le collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche, saisi par la ministre, dans son avis du 21 mai 2021, les présidents des universités disposent de tous les outils pour assurer, dans leur établissement, la libre expression des idées et des opinions.
Le Parlement, quant à lui, doit défendre l’État de droit en protégeant la liberté académique et les franchises universitaires.
Le 28/04/2022 à 16:52, aristide a dit :
"ce que les professeurs, dont l’indépendance est garantie par la Constitution, "
Vous avez vu ça où ?
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