Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le terme « wokisme » n’ayant pas encore intégré Le Petit Robert, je souhaite partager avec vous la définition qu’en donne Pierre Valentin dans son étude L ’ idéologie woke. Anatomie du wokisme.
« Être “woke” signifie être “éveillé”. Il s’agit ici d’être éveillé aux injustices que subissent les minorités dans les pays occidentaux. […] Cette idéologie connaît une forte progression. L’émergence de cette nouvelle culture morale, dans laquelle le statut de victime devient une ressource sociale, requiert certaines conditions. […] Ces conditions sont toutes plus ou moins présentes dans les sociétés occidentales, mais plus particulièrement sur le campus des universités américaines, là où le “wokisme” y est le plus influent.
« Le plus souvent, les militants sont issus de familles aisées. Enfants, ils ont connu de trop brefs moments de jeu libre et sans surveillance. Adultes, ils peinent à se débarrasser de l’habitude prise consistant à rechercher une autorité instituée en cas de conflit avec une autre personne au lieu de le régler directement eux-mêmes. L’une des conséquences est la croissance d’une bureaucratie universitaire chargée de poursuivre et de prolonger cet état de surprotection. »
À l’heure où l’idéologie woke essaie de s’imposer dans le débat public et, plus grave encore, dans les rapports entre les citoyens, il me paraît important d’être vigilant sur l’américanisation de notre société et sur les tentatives hasardeuses et fallacieuses d’assimilation entre la France et les États-Unis.
Et pour lutter contre ces dangereuses analogies, quoi de mieux que quelques faits historiques ? La France, ce n’est pas l’Amérique !
Concentrons-nous sur le volet « racisme » de cette idéologie dont on a tendance à s’autoflageller. Il y a quatre-vingts ans, des Noirs étaient lynchés et pendus au nom de la justice dans certains États américains. Le dernier lynchage recensé dans ce pays date de 1981. À la même époque, en France, des députés de couleur siégeaient à l’Assemblée nationale.
Pendant la Première Guerre mondiale, un régiment d’Afro-Américains a été incorporé à l’armée française à la demande du maréchal Foch, et malgré le commandement américain qui disait alors que le « manque de conscience civique et professionnelle » des soldats noirs constituait une « menace constante pour les Américains ». Ces considérations n’existaient pas dans l’armée française. Ils furent traités d’égal à égal par leurs frères d’armes. Ces hommes noirs furent les premiers Américains à être décorés de la Croix de guerre française.
J’aurais aussi pu parler d’Eugène Jacques Bullard, cet Américain descendant d’esclaves qui s’engagea dans la légion à Paris, en 1914, à l’âge de 20 ans. Il avait quitté son pays deux ans plus tôt pour échapper au racisme. Il fut de tous les combats avant de devenir, en 1916, le premier aviateur noir du conflit au sein de notre armée, les Américains refusant de confier un avion à un Noir. En 1940, il s’engagea de nouveau dans l’armée française, mais il sera blessé et rejoindra New York, d’où il soutiendra la France libre.
La Seconde Guerre mondiale, parlons-en. Lorsque la guerre frappa de nouveau, les soldats de l’armée d’Afrique répondirent à l’appel du drapeau français, ensemble, quelle que soit leur couleur de peau. Cette conception était inconcevable pour nos alliés américains, qui pratiquaient alors encore une politique ségrégationniste dans leur pays, mais aussi dans leur armée.
Cette politique conduira les Américains à contraindre le général Leclerc de se séparer de certains de ses hommes au sein de la 2e DB, car ils étaient noirs. Une fois de plus, la France se distinguait de l’Amérique.
Au travers de ces quelques exemples historiques, que je pourrais multiplier à l’envi, il s’agit non pas de nier l’existence du racisme, mais d’argumenter et d’apporter de la nuance à ceux qui voudraient, pour justifier leur idéologie, faire des raccourcis et prendre la voie de la facilité sur un sujet si complexe.
Il est temps d’affirmer que notre pays et son histoire n’ont rien de comparable avec les États-Unis, et que le « racisme systémique » n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais dans l’ADN de la France.
Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, ce sont les menaces que les théories du wokisme font peser sur notre université, notre enseignement supérieur et nos libertés académiques.
Même le ministre de l’éducation nationale, M. Blanquer, avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, souhaite « déconstruire la déconstruction en cours ». C’est ce qu’il a déclaré lors du récent colloque sur ce thème à la Sorbonne, le 7 janvier dernier, et je le soutiens sur ce point.
Cessons de battre en permanence notre coulpe à propos de faits du passé que nous analysons avec les yeux d’aujourd’hui !
Oui, des inégalités ont existé, existent et existeront malheureusement toujours entre les individus et nous devons les combattre. Mais restons éveillés et fiers de notre histoire et de notre culture françaises. Restons fidèles à la France des Lumières, qui combat l’ignorance, diffuse le savoir et ne craint pas le débat. C’est l’ambition que notre université doit continuer à porter.