Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cela été rappelé, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Or, selon un sondage IFOP de février 2021, seulement 14 % des personnes interrogées comprenaient la signification du mot « woke ».
Pour donner du sens à ce débat, il faudrait commencer par arrêter avec cette paresse intellectuelle qui consiste à utiliser l’anglicisme « wokisme » pour masquer une idéologie qui a un nom : l’intersectionnalité. §Pour les sociologues, il s’agit de décrire la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société.
À en croire le bruissement d’un microcosme en mal de desseins positifs, il faudrait collectivement « nous éveiller » pour mieux prendre conscience de tout ce que l’humanité a produit d’injustices depuis la nuit des temps. Sommes-nous endormis ? Sommes-nous à ce point incultes que nous méconnaissons notre histoire ? Le privilège cognitif serait-il l’apanage d’une petite minorité éclairée par un phare dans un océan baigné de brouillard ?
Ce courant est en réalité une vaste entreprise de déconstruction qui consiste à diffuser la honte de notre identité. En jugeant avec les yeux d’aujourd’hui et le recul de plusieurs siècles tous les événements historiques, il conduit à une autoflagellation intellectuelle et à une repentance perpétuelle.
Adam était-il misogyne ? L’homme des cavernes était-il respectueux de l’environnement ? Il suffit de poser les questions, les déconstructeurs auront nécessairement une réponse. Ils savent sans doute aussi très exactement ce qu’ils auraient fait s’ils étaient nés « en 17 à Leidenstadt ».
Le manque d’humilité, de nuances et, pour tout dire, d’objectivité, est leur caractéristique essentielle et ils pilonnent consciencieusement leurs cibles, particulièrement les jeunes générations.
Au pays des Lumières, le but est évidemment non pas d’interdire une opinion, mais bien de permettre un débat contradictoire, notamment au sein de l’enseignement supérieur, de prôner la liberté d’expression, l’égale faculté d’exposer une diversité de pensées et de concepts.
Et c’est là que le bât blesse : la censure est l’outil préféré des forces autoproclamées d’un prétendu progressisme qui confère aux autres, c’est-à-dire à ceux qui osent émettre une idée contraire ou seulement plus nuancée, un statut quasi automatique de fascistes. Ainsi, nous ne pouvons que déplorer l’interdiction d’accès à nos campus universitaires d’intellectuels ou de politiques ayant le culot de proposer des conférences qui ne s’inscrivent pas dans l’orthodoxie de pensée d’une poignée de militants d’extrême gauche.
Il y a pire : pour avoir osé affirmer qu’un homme n’était pas une femme, que notre pays n’était pas fondamentalement raciste, pour avoir refusé de s’excuser d’exister, d’être blancs, d’être Français, des étudiants se font traquer sur leurs campus, sont menacés de mort sur les réseaux prétendument sociaux par quelques-uns qui confondent le comptoir des Indes avec celui du café du commerce.
Le cœur du problème, c’est bien l’inaptitude de cette idéologie à combattre dans l’arène intellectuelle : leur « entre-soi » idéologique a fait fondre leur capacité à argumenter. Leur rhétorique repose sur la censure et la condamnation morale, mais ils ne discutent jamais du fond des problèmes soulevés.
Vous le savez, j’accorde une grande importance à la rigueur scientifique. Je m’inquiète donc lorsque je vois des chercheurs en sciences humaines défendre une idéologie qui ne conçoit pas la moindre objection.
Ce progressisme de pacotille se complaît dans le confort de la mollesse des mots creux. Modelables à loisir, ces néologismes sont étirés pour combler l’absence d’arguments. Or un mot qui n’a pas de sens n’a pas de valeur. Islamophobie, grossophobie, transphobie, enbyphobie, biphobie, psychophobie… Ces déconstructeurs préfèrent médicaliser le débat en inventant de nouvelles pathologies, afin de condamner moralement un adversaire sur l’autel de la modernité. Des mots utilisés à tort et à travers, devenus caricaturaux, moqués, sont des mots qui ne valent rien.
On peut légitimement s’interroger sur la finalité de la démarche, qui devrait consister à protéger et à aider les véritables victimes de discriminations.
Pour autant, le féminisme est-il grandi lorsque l’on taxe de transphobes des femmes qui refusent de partager leur vestiaire avec des hommes ? Est-ce de la grossophobie que de souligner que le surpoids est un facteur de mauvaise santé ? Favorise-t-on l’assimilation en affirmant à un immigré que le pays qui l’a accueilli et vu grandir le méprise ?
Tous ceux qui sont attachés aux libertés académiques doivent s’émouvoir de la dérive que nous observons, mais bien peu s’expriment clairement, laissant la place aux extrémistes de tous bords, qui parlent plus fort et souvent se rejoignent.
J’accuse les tenants de cette pensée déconstructrice de briser l’unité de notre nation, de fragiliser la démocratie, de dresser les citoyens les uns contre les autres en leur apprenant méthodiquement à se détester profondément, à identifier dans l’autre un ennemi potentiel en le tenant responsable de tous ses malheurs.
Nous savons tous ce que la politique du bouc émissaire a produit comme catastrophes majeures par le passé. Alors, je conclurai par ces mots de Barbara : « Ô faites que jamais ne revienne le temps du sang et de la haine. »