Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 9 février 2022 à 15h00
Différenciation décentralisation déconcentration et simplification — Vote sur l'ensemble

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je le dis d’emblée : ce texte ne recueille pas l’assentiment de mon groupe – ce n’est pas une surprise. Je tiens cependant à saluer le travail mené par les rapporteurs, notamment au sein de la commission des lois.

Ce projet de loi, dont la version initiale comportait déjà une centaine d’articles, en compte aujourd’hui près de 300 : vous conviendrez que nous sommes assez éloignés de l’exigence constitutionnelle de lisibilité et de clarté de la loi.

Certes, nous avons besoin de décentralisation et de déconcentration, afin de permettre aux élus d’agir tout en sécurisant leur travail quotidien au service des populations.

Ce projet de loi demeure toutefois empreint de nombreux paradoxes. Les départements seraient renforcés par la création du schéma départemental de la solidarité territoriale, mais ce dernier ne sera pas suffisant pour faire vivre concrètement cette solidarité au quotidien. Les régions seraient elles aussi renforcées, sans qu’on leur accorde aucun levier d’action supplémentaire.

Finalement, ne confondons-nous pas transfert de compétences et transfert de responsabilité sur les élus locaux, qui n’auront pas les moyens de faire face ? On est ainsi loin d’une décentralisation renforçant le pouvoir local, placé au contact direct des citoyens et au cœur de l’exigence démocratique. De la crise des « gilets jaunes » à la crise sanitaire, les femmes et les hommes de notre pays n’ont jamais autant exprimé, pour des raisons différentes, un tel besoin de proximité. Or ce texte n’y répondra pas.

Ce projet de loi aurait pu s’intituler « en même temps territorial ». La présence des élus à la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) est renforcée et, contrairement à ce qu’avait voté le Sénat, l’on refuse d’introduire la parité entre l’État et les élus locaux au sein de l’ANCT, à rebours du renforcement de la représentativité de ces derniers.

Nous nous réjouissons que la loi SRU soit pérennisée au-delà de l’année 2025, tant les enjeux de mixité sociale et de production de logements accessibles sont prégnants, et, en même temps, le dispositif est amoindri dans son application : le décompte sera désormais effectué au niveau intercommunal et le contrat de mixité territoriale fait prévaloir le contrat sur la loi. Pourtant, il existe de nombreuses pistes pour que les collectivités réussissent le défi du choc de l’offre prôné par Emmanuel Macron, mais celles-ci doivent faire face, en même temps, à la baisse des dotations, à la suppression de la part de l’État dans les aides à la pierre, à la disparition de l’aide aux maires bâtisseurs et, enfin, aux conséquences de la loi NOTRe qui, en intégrant les communes dans des communautés d’agglomération, les contraint à respecter des normes sans leur accorder les capacités foncière, environnementale et financière pour s’y conformer.

J’en viens à l’enjeu de la mobilité : les petites lignes ferroviaires garantissant un véritable maillage de proximité territoriale sont reconnues et, en même temps, les moyens correspondants font défaut. Pourtant, la solidarité nationale est indispensable pour pérenniser le service public. La même logique s’applique aux routes : est reconnue la nécessité de disposer de routes de qualité pour se déplacer au sein d’un réseau national cohérent et, en même temps, l’État demande aux régions et aux départements d’entretenir des voies laissées à l’abandon. Les gouvernements successifs préfèrent faciliter la privatisation des autoroutes, dont les conséquences pèsent fortement sur les ménages, les artisans et les petites et moyennes entreprises.

Je tiens cependant à saluer les améliorations en matière de transfert de compétence à la carte au sein des intercommunalités, notamment en ce qui concerne la voirie, le tourisme et les syndicats infracommunautaires. Nous aurions toutefois souhaité que la position du Sénat, incluant également dans cette liste les compétences eau et assainissement, soit conservée dans le texte final. Monsieur le rapporteur, je connais votre ténacité : je ne doute pas que nous examinerons de nouveau ces sujets dans les mois à venir.

Ce texte sera-t-il capable de répondre aux défis de demain ? Il améliorera la situation ici ou là et l’aggravera ici ou là. Il sera inévitablement confronté au réel. Il aura, pour certains, permis des rencontres, et, pour d’autres, des déchirures.

À l’image de la vie humaine, le temps dira la durabilité de ces équilibres parfois surprenants ; à cet égard, les associations d’élus ont exprimé unanimement leur satisfaction, tandis que les élus locaux ont manifesté des inquiétudes lors de nos discussions avec eux sur le terrain.

Qu’en sera-t-il demain de l’organisation territoriale de notre pays ? Des exigences et des heurts apparaîtront inévitablement entre les collectivités : in fine, certains seulement pourront se payer le luxe de la différenciation. Loin de consolider l’égalité territoriale de la République en renforçant le pouvoir local, ce projet de loi risque de la fragiliser.

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