Intervention de Angèle Préville

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 16 décembre 2021 à 9h20
Audition publique sur le thème : « covid long quelle connaissance et quelle prise en charge ? » jean-françois eliaou et gérard leseul députés florence lassarade et sonia de la provôté sénatrices rapporteures

Photo de Angèle PrévilleAngèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office :

Merci Docteur. Nous allons maintenant prendre les questions des internautes.

Première question : « La plupart des pays développés ont reconnu le Covid long pédiatrique et ont ouvert des centres multidisciplinaires de prise en charge des malades mineurs. Qu'attend la France pour s'aligner sur ces avancées internationales ? Les actions existent, alors que les patients sont en errance et font parfois face à un déni de diagnostic. »

Deuxième question : « Je suis Covid long depuis 20 mois et doublement vaccinée depuis mars 2021 ; je voudrais savoir si la troisième dose ne posera pas de problème. »

Dr Olivier Robineau. - La plupart des médecins sont d'accord sur le fait que le Covid peut avoir des conséquences chez les enfants. La Haute Autorité de santé est d'ailleurs en train de rédiger une fiche sur ce sujet. En revanche, la prise en charge nécessite un circuit et des réseaux qui manquent encore. Je suis évidemment d'accord avec l'internaute pour dire qu'il faut prendre en charge ces enfants et que cela reste insuffisamment fait à l'heure actuelle.

Il n'y a pour l'instant pas de données indiquant que la vaccination entraînerait une aggravation ou une amélioration des symptômes du Covid long. Le nombre de patients présentant des symptômes persistants n'est pas assez important pour pouvoir dire que les choses iraient dans un sens plutôt que dans un autre. À ce stade, la vaccination ne semble pas changer grand-chose. Chez certains patients, les symptômes semblent s'aggraver pendant quelques jours ; chez d'autres, on n'observe rien. En tout état de cause, le schéma vaccinal doit rester le même, chez les Covid longs comme chez les Covid courts, en considérant la première injection.

Une question revient régulièrement : la vaccination protège-t-elle du Covid long ? Il faut d'abord répondre qu'elle permet de diminuer le nombre de cas : elle protège du Covid long parce qu'elle protège du Covid. La deuxième partie de la réponse concerne les personnes ayant eu le Covid alors qu'elles étaient vaccinées, puisque c'est une chose qui arrive. Prenons l'hypothèse, pas encore démontrée, selon laquelle plus on a de symptômes du Covid, plus on a de chances d'avoir un Covid long. Si l'on retient cette idée d'un lien entre le nombre de symptômes initiaux et l'évolution vers un Covid long, on peut imaginer que des personnes vaccinées, ayant moins de symptômes lorsqu'elles contractent néanmoins le Covid, auront moins de symptômes persistants. Certes cela reste à démontrer, mais tout plaide pour la vaccination.

Merci beaucoup. Nous allons passer maintenant à la seconde séquence de la matinée, autour de la problématique suivante : « Pourra-t-on bientôt prendre en charge de façon correcte les personnes souffrant du Covid long ? ».

Pr. Catherine Tourette-Turgis, enseignante à Sorbonne Université, fondatrice de l'Université des Patients visant à l'éducation thérapeutique du patient, membre du Conseil scientifique de l'association #ApresJ20. - Je vous remercie de m'avoir invitée. Je vais essayer de faire un point sur ce qui a déjà été fait en termes d'accompagnement, de donner quelques éléments d'analyse, de faire un nouveau point très rapide sur les besoins des malades, et de formuler quelques propositions et recommandations.

Dans le monde des sciences humaines et sociales, on est souvent obligé de commencer par indiquer d'où l'on parle, ce que l'on fait et qui l'on est. Je suis chercheure, praticienne, fondatrice et directrice de l'Université des Patients-Sorbonne. J'ai une expérience et une expertise cumulées dans le champ de l'accompagnement psychosocial des malades et de l'innovation pédagogique dans le soin, et j'ai travaillé vingt ans sur le VIH, dont dix ans aux États-Unis et dans neuf pays différents d'Afrique. En quoi consiste notre travail, dans notre domaine ? J'ai mis en place des dispositifs très concrets d'accompagnement, comme un counseling pré et post-test de VIH. J'ai mis en place un essai clinique sur l'observance thérapeutique, puisque le traitement par prise d'antirétroviraux nécessitait 95 % d'observance thérapeutique ; l'essai clinique a montré qu'avec une intervention médicale de type empathique plutôt qu'autoritaire, l'observance thérapeutique était meilleure. J'ai modélisé des interventions psychosociales, toutes fondées théoriquement. Dans les maladies chroniques, j'ai réussi à conceptualiser sur un plan méthodologique plus de cinquante programmes en éducation thérapeutique dans plus de quinze pathologies différentes et dix pays différents.

En 2010, j'ai fondé l'Université des Patients-Sorbonne (je reviendrai plus tard sur son implication dans le Covid long) ; en s'appuyant sur les dispositions de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST), de la loi de modernisation de notre système de santé, du plan 2002, il s'agissait de créer des parcours diplômants pour des malades qui désirent transformer leur expérience en expertise au service de la collectivité. Nous avons à ce jour diplômé 250 malades. Ils sont dans les services de santé, les services d'oncologie, les centres de santé, et dans la cité. L'université propose un diplôme en oncologie, destiné à des patients en cours de rétablissement qui iront ensuite travailler dans les services d'oncologie comme patients partenaires en faisant totalement partie des équipes. Elle propose également un diplôme en éducation thérapeutique ainsi qu'un diplôme Démocratie en santé où il s'agit de donner des outils aux étudiants patients qui désirent conduire des plaidoyers, faire avancer leur condition, savoir comment travailler avec les agences de santé, créer des associations, etc.

En 2016, je me suis intéressée au rétablissement après le cancer - il y a peut-être là une piste transposable au Covid long. Il ne suffit pas d'être déclaré guéri d'un cancer pour être rétabli, et nous avons mis en place des parcours de rétablissement après la phase intensive des traitements. J'ai identifié, à partir des consultations de surveillance du professeur Joseph Gligorov, à l'hôpital Tenon, les problèmes qui restaient à traiter par les patients et j'ai modélisé une intervention en posant les six composantes du rétablissement : sociale, professionnelle, médicale, psychologique, économique, existentielle. Il existe aussi un modèle de rétablissement dans le domaine de la santé mentale, qui peut sans doute nous aider à trouver des solutions - j'ai ainsi inventé les cafés du rétablissement. Il faut rappeler que 3,8 millions de personnes ont survécu à un cancer, dont un million en âge de travailler. Parallèlement, pour les cancers de très bons pronostics, 26 % de personnes ont quitté leur emploi au bout de deux ans. Il y a donc bien quelque chose à faire.

Je me suis intéressée très vite aux conséquences psychosociales du confinement ainsi qu'au Covid long. J'ai apporté bénévolement mon aide, en participant aux consultations du professeur Salmon et en travaillant avec l'association #ApresJ20. L'Université des Patients-Sorbonne a mis en place un groupe de travail et d'action en partenariat avec la chaire de philosophie à l'hôpital, en embauchant un jeune chercheur anthropologue, Jean Chomette, qui nous écoute en ce moment. Nous avons produit une revue internationale sur l'impact psycho-social, l'analyse de récits de patients, et nous avons lancé une campagne « Un jour une diapositive » - elle est en cours - pendant cent vingt jours afin de diffuser des savoirs académiques sur l'impact psychosocial. Nous sommes en train de finaliser une master-class sur la façon dont on peut devenir patient partenaire dans le Covid long. L'objectif est que les patients intègrent toutes les instances où l'on parle de Covid long, c'est-à-dire où l'on parle d'eux et de leur prise en charge. Il serait ainsi possible de partir de leur expérience vécue ou d'une formation qu'ils auraient reçue, et de les intégrer immédiatement, ce qui aurait d'ailleurs le mérite d'apaiser un peu le conflit - ou tout au moins le déséquilibre - dans la relation entre le médecin et le patient. Nous avons testé il y a quelques mois une nouvelle formule, un webinaire sur la place du patient dans le système de santé, pour expliquer à la fois ce qu'est le système de santé et les voies permettant au patient d'y être présent. Quatre-vingt-trois personnes y ont participé, alors même que la communication avait été minimale.

Que sait-on de l'expérience vécue par les patients ? Le Covid long est lourd de conséquences ; on peut même aller jusqu'à dire qu'il nécessite presque un état d'urgence, en tout cas dans la prise en charge du patient. Mais nous manquons de connaissances, il y a des lacunes dans la prise en charge, on assiste à une désinstitutionalisation du cours de vie, à une disqualification de la parole du patient, qui subit parfois une rupture biographique, des difficultés économiques, des conséquences morales, existentielles, émotionnelles, à la fois pour lui-même et pour son entourage et sa famille. Il y a trop peu d'associations de patients, une défiance médicale assez inexpliquée, des souffrances, des symptômes non soulagés, une stigmatisation. Évoquons enfin le problème de la prise en charge des difficultés dans l'aboutissement de dossiers d'affections de longue durée (ALD) : on sait très bien que ce n'est pas parce que des dispositifs législatifs existent qu'on parvient à les faire concrètement fonctionner.

Il est intéressant de faire des comparaisons avec d'autres pathologies, pour tenter d'en tirer des enseignements.

Au début du VIH, dans les années 1983-1987, au moment où le test n'existait pas encore, le tableau était sombre : connaissances quasi inexistantes, absence de thérapeutique, malades mis au banc de la société, rejetés par les institutions, les familles, les services sanitaires, les dentistes, les pompes funèbres, les services de soins, etc. Nous n'avons pas fait que nous poser des questions, nous nous sommes lancés dans l'action, et ce sont les malades qui nous ont guidés, ce sont les personnes directement concernées qui nous ont indiqué nos priorités. Les associations de malades relevaient de deux paradigmes : d'un côté, les associations centrées sur l'accompagnement et la délivrance de services, de l'autre celles centrées sur la résistance et la lutte, sachant qu'on avait compris qu'il fallait sans doute mieux s'adresser à la société qu'à l'État. Pour le VIH comme pour le Covid long, c'est l'expérience collectée par les malades eux-mêmes qui a guidé les premiers raisonnements médicaux ; en témoigne par exemple la construction de la définition du Covid long. Le point commun entre le VIH, le cancer, les pathologies mentales et le Covid long est que les survivants sont vulnérables et fragilisés socialement. Il ne suffit pas d'être guéri sur un plan médical, déclaré guéri, supposé guéri, pour être rétabli. La médecine est organisée autour du modèle de « l'aigu », ce qui a pour conséquence que le parcours de rétablissement n'est pas reconnu comme une étape importante dans le parcours de soin. C'est un point faible.

Cela a été dit et redit : les malades ont besoin à la fois de traitements qui soulagent leurs symptômes, de soins de qualité, et de comprendre ce qui se passe. On peut, selon la formule consacrée, être allongé dans son lit et debout dans sa tête. Il faut donc une approche capacitaire de la vulnérabilité du patient. Accompagner un patient, c'est d'abord prendre soin de son expérience vécue : on ne peut pas se contenter de lui dire qu'il est anxieux et qu'on n'a rien à lui proposer. Il faut dès lors inventer de nouveaux cadres, des espaces d'accompagnement adaptés, y compris sous des formes numériques, puisque les personnes sont souvent trop fatiguées pour venir consulter. Les malades et leurs proches, qu'il s'agisse d'adultes, d'enfants, de familles, ont besoin qu'on vienne défendre leur vie, leur santé, leur récit, leurs expériences. Comment participer à la construction de leur propre parcours de rétablissement ? En partant d'eux. Les patients doivent pouvoir bénéficier d'une prise en charge en affection de longue durée (ALD) et savoir comment la mettre en oeuvre. Il nous faut cesser de disqualifier les récits des malades, en combinant l'evidence base medicine et la narrative base medicine, un courant extrêmement important déjà enseigné dans les facultés de médecine. Car s'il y a bien un lieu où le patient a le droit d'exprimer sa plainte, c'est chez un médecin.

Dans les recommandations et les propositions, peut-être faudrait-il faire des déclarations d'attention, car peut-être les déclarations d'intention ne suffisent-elles pas. Il faudrait ainsi intégrer les patients partenaires, comme on a su le faire dès les années 2012-2014 en santé mentale, mettre en place une collaboration réciproque entre le patient et le soignant. Beaucoup d'initiatives existent en termes d'information, d'orientation, de ressources, de recours en rééducation, réadaptation, soins de suite. Je propose d'intégrer des patients partenaires dans toutes ces initiatives, dans les instances de décision de santé et dans les instances de recherche, au sein des équipes de soins, et lorsqu'il y a une prise en charge. Cela se fait déjà pour d'autres pathologies. Il faudrait peut-être appliquer au Covid long le modèle de la « charte des 11 engagements » de l'Institut national du cancer (INCa), pour améliorer l'accompagnement des salariés et mettre en place une démarche cohérente de retour en emploi. Cela implique de travailler avec les personnes concernées, c'est-à-dire les salariés des entreprises, les managers, les services de ressources humaines, les collègues de travail. Nous l'avons fait dans quatre entreprises, notamment en mettant des antennes « cancer et travail » dans une entreprise de 25 000 salariés. Nous avons ainsi formé 150 personnes. On s'est aperçu que ces antennes n'ont fonctionné que lorsque les patients salariés ou les proches concernés se sont inscrits comme volontaires : alors seulement les autres salariés sont venus. Si l'impulsion vient du manager ou de la direction des ressources humaines, les salariés se méfient. Lorsque les salariés concernés dirigent ces antennes et travaillent avec les managers ou la direction des ressources humaines, on obtient des résultats. Il faudrait former des pairs aidants, former des patients partenaires, sur le modèle de la « pair-aidance » en santé mentale et en oncologie, dans un grand nombre de pathologies ; sensibiliser et plaider pour le devoir de soins et le droit au rétablissement ; prévenir la crise de confiance et l'errance thérapeutique, ce qui permet d'éviter que les malades aillent « acheter leur santé » n'importe où. Il faudrait étudier la question du genre dans le Covid long : certaines spécificités du Covid long chez les femmes, certaines remontées d'information quant aux symptômes rapportés, des débuts d'études à ce sujet sont à prendre en compte et méritent des dispositifs d'accompagnement. On devrait apprendre des malades pour penser leur prise en charge. En période d'incertitude médicale, dans les situations où l'on manque de connaissances, il ne faut jamais oublier que le malade est un pôle de connaissance légitime.

Une attention particulière doit être portée aux inégalités dans l'accès aux soins et à l'information. Certaines maladies comme le cancer, mais aussi le Covid, renforcent les inégalités sociales. Il serait important de mieux coordonner les parcours de soins, peut-être de former des case managers, de prendre modèle sur ce qui se fait en santé mentale et en oncologie, avec un système des pairs professionnalisés qui interviennent dans les services avec de très bons résultats. Pour faire avancer les connaissances, en produire de nouvelles, trouver les solutions qui s'imposent, le système de santé a besoin de la parole et de l'expérience vécue des personnes directement concernées par le Covid long.

En résumé, je propose de mettre en place immédiatement les principes d'une collaboration soignant-patient ; d'intégrer des patients partenaires, en particulier dans les centres engagés dans la prise en charge et le suivi ; de collecter les expériences des patients pour augmenter les connaissances ; de se souvenir que si les malades ne se sentent pas écoutés dans les consultations médicales, ils exprimeront leur plainte et leur colère sur les réseaux sociaux.

Un malade du Covid long, c'est au moins cinq autres personnes concernées. Il faut donc aussi penser de façon systémique. Et puis il faut former les médecins de sécurité sociale, les médecins du travail sur le Covid long et sensibiliser des entreprises à ce sujet. Nous pouvons nous appuyer sur plusieurs textes : la loi 2002 ; la loi HPST qui impose la participation des usagers à l'élaboration des programmes d'éducation thérapeutique ; la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 qui recommande l'inclusion des patients et des usagers dans les instances de décision en santé ; la recommandation publiée en 2020 par la Haute Autorité de santé sur l'engagement des usagers dans les secteurs sanitaires et médicosociaux. En vingt ans, les choses ont bougé. On recommande aujourd'hui la collaboration et le partenariat, alors qu'en 2002 on pensait en termes de droits. Le recours au partenariat permet une meilleure acceptabilité. Les patients ne disent plus : « C'est notre combat », ou « c'est notre droit ». Ils disent : « On vient collaborer avec vous. »

Je vous remercie et je passe maintenant la parole au docteur Jérôme Larché, qui est en visioconférence.

Dr Jérôme Larché, médecin interniste et référent d'un centre Covid Long à Montpellier, membre du conseil scientifique de l'association #ApresJ20. - Je vais présenter la mise en place d'un parcours de soins Covid long à Montpellier, en m'intéressant tout particulièrement à la difficulté du diagnostic.

Même si les chiffres diffèrent selon les études, il semble que 10 % à 30 % des patients Covid développent un Covid long. En France, on estime que 7 millions de personnes au moins ont été diagnostiquées positives au Covid avec des tests PCR ; le Covid long concerne ainsi au bas mot 700 000 personnes. C'est donc un enjeu de santé publique et un défi pour la prise en charge.

On a déjà pu voir la nécessité de formaliser un parcours de soins structuré, fluide, utilisant si besoin la télémédecine. Étant donné le nombre de patients engagés, les tensions dans le système de santé et la démographie médicale, la prise en charge des patients va nécessiter de recourir à la télé-expertise ou à la téléconsultation.

Chacun fonctionne déjà avec son propre réseau de collègues cardiologues, pneumologues, neurologues à qui il adresse régulièrement des patients. Nous devrons activer et formaliser ces réseaux centrés sur le patient : ainsi, celui-ci ne sera plus promené d'un spécialiste à un autre, mais il sera au centre des intervenants, mobilisés autour de lui. Cette démarche n'est pas en soi très originale, mais elle nécessite, pour ces patients-là, d'être mise en place d'une façon plus formalisée.

La première étape, celle de la prise de rendez-vous, se faisait soit sur Doctolib, soit lorsque les médecins généralistes nous adressaient un patient.

La deuxième étape, celle de la consultation, avait lieu si possible en présentiel ; mais il s'agissait parfois de téléconsultations car les patients venaient de toute la France, y compris d'outre-mer. Cette étape était longue : la consultation d'un patient pour lequel on a une suspicion de Covid long nécessite un véritable travail de diagnostic. Il faut au moins quarante-cinq minutes pour recueillir l'histoire de la maladie, les symptômes, examiner les patients, refaire le point sur les bilans qu'ils ont déjà eus, et se faire une idée de l'état du patient.

La troisième étape est celle des conclusions préliminaires, avec éventuellement la prescription d'examens paracliniques, comme des échographies cardiaques, des explorations fonctionnelles respiratoires, un scanner pulmonaire, ou une IRM cérébrale, pour établir un premier état des lieux et un diagnostic. Pour les patients qui n'avaient pas eu de bilan préalable ou dont les examens étaient trop anciens ou inadaptés, nous avons mis en place, sur une journée, un parcours de soins permettant de réaliser plusieurs examens, de recueillir plusieurs avis spécialisés, de statuer sur les problématiques existantes et, le même jour, de faire une consultation de synthèse et de déterminer un parcours de soins. Pour d'autres patients, ce parcours d'une journée n'était pas nécessaire, et on complétait ce qu'ils avaient déjà fait par d'autres examens.

Ce parcours visait à écarter divers autres diagnostics n'ayant aucun rapport avec le Covid ou avec le Covid long - les symptômes de ce dernier n'étant pas spécifiques. Il permettait également, à l'inverse, d'éliminer un diagnostic erroné de Covid long, grâce aux définitions désormais admises.

L'intérêt de ce type de parcours est multiple. Il permet en premier lieu d'accélérer le diagnostic et la démarche thérapeutique. Accéder à une simple prise en charge du diagnostic est un véritable parcours du combattant pour le patient. Pouvoir le faire en une journée permet de gagner des mois entiers.

Un tel parcours est un recours pour les patients qui ne sont pas encore pris en charge, mais aussi pour les médecins généralistes, pour qui ce diagnostic n'est pas évident à établir, notamment à cause du caractère chronophage de la consultation. À cet égard, un fonctionnement plus fluide en réseau ainsi que les moyens nouveaux de la télé-expertise devraient permettre d'accélérer les choses.

Un troisième intérêt de ce type de parcours concerne la recherche clinique : il offre la possibilité d'enrichir les cohortes de patients « Covid long » et de mieux comprendre ce qui se passe, dans un contexte brumeux où plusieurs hypothèses coexistent. Les données multiples provenant de différents pays et le grand nombre de patients concernés manifestent la réalité du phénomène. Il faut l'éclaircir en établissant des typologies de patients et proposer des thérapies.

Enfin, sur un plan sociétal, un parcours de soins structuré permettrait de faire des économies de santé, en rationalisant les examens et le suivi proposés aux patients. L'errance de diagnostic est onéreuse : les personnes non prises en charge consultent quatre ou cinq spécialistes sans aucune coordination, se font prescrire des IRM ou des scanners pas nécessairement pertinents, etc. Tout cela a un coût, pour le patient, pour la sécurité sociale et pour un système de santé qui est déjà en forte tension.

Voici maintenant un bilan chiffré rapide - car je ne pense pas que ce soit le plus important : en huit mois, nous avons pris en charge plus de cinq cents patients, fait plus de huit cents consultations et mis en place un peu plus de cent quarante prises en charge et soins en secteur ambulatoire. Notre planning de consultations est plein jusqu'en juin 2022, ce qui est un vrai problème car certains délais de diagnostics et de prise en charge se chiffrent encore en mois.

Une organisation de ce type ne peut se faire sans la volonté du personnel médical et de la direction de l'établissement. Ce n'est pas simplement une question de système, mais de personnes : nous avons réussi à monter cette organisation parce que nous voulions le faire, et notre établissement nous a suivis parce qu'il a jugé que c'était important. Nous avons ainsi montré qu'un parcours de soins centré sur le patient, inclusif, intégratif, était faisable. Nous avons aussi montré qu'il était efficace en termes de prise en charge du diagnostic, de prise en charge thérapeutique - même si l'on traite davantage les symptômes que les véritables causes physiopathologiques - et de suivi des patients. Car il apparaît clairement que, même en l'absence de traitement définitif et parfaitement efficace, le fait d'être pris en charge, écouté, suivi régulièrement, a un réel effet positif sur les patients. Nous avons enfin montré que ce parcours de soins est parfaitement réplicable : il ne nécessite ni structures ni bâtiments particuliers.

Les compétences et les outils organisationnels sont donc aujourd'hui à notre disposition. Il faut simplement les mettre en oeuvre, dans une démarche véritablement centrée sur le patient, où, je le répète, celui-ci n'est pas à la disposition des médecins, mais où les médecins s'organisent pour être à sa disposition. La mise en oeuvre n'est pas si simple. Elle nécessite une réelle volonté, un peu d'agilité organisationnelle et l'usage des technologies nouvelles. Les vagues successives de Covid ont bien montré combien la téléconsultation avait été importante pour pouvoir continuer à suivre des patients pour des pathologies autres que le Covid. Cela représente une charge de travail supplémentaire parce que les autres activités n'ont pas disparu et qu'on ne peut abandonner les patients qui ont d'autres pathologies. Cela représente également une charge psychologique, en premier lieu pour les patients qui subissent le Covid long, mais également pour les médecins. Lorsqu'on est réellement à l'écoute, que l'on voit dix à quinze patients par jour pour des diagnostics de Covid long, la charge émotionnelle se fait lourde.

Cela nécessite de faire travailler les réseaux. Les personnes existent, il faut simplement les mettre en relation et créer une dynamique autour d'un objectif commun : s'occuper de ces patients. Enfin, tout ceci nécessite des moyens humains et financiers ; la volonté seule ne suffit pas.

Aujourd'hui, la vraie difficulté est d'obtenir un diagnostic positif de Covid long, car il demeure un simple diagnostic d'élimination. Ce n'est pas parce que les outils de diagnostic manquent que le Covid long n'existe pas, et il faut poursuivre les recherches clinique et fondamentale pour obtenir ce diagnostic positif.

La question de la prise en charge par les assurances, la Sécurité sociale, les mutuelles, et celle de l'ALD (affection de longue durée) sont essentielles. Pour donner un exemple concret, 40 % des patients que je suis sont soit en mi-temps thérapeutique, soit en arrêt maladie. Ces personnes finissent par avoir des problèmes financiers, des problèmes de reconnaissance sociale et sociétale.

La première recommandation que je formule est que nous devons nous organiser mieux, en ouvrant des centres labellisés Covid long comme le font déjà certaines régions de France sous l'impulsion des agences régionales de santé (ARS). Nous avons également besoin de plateformes téléphoniques : les plateformes territoriales d'appui (PTA) disposent de numéros de téléphone où les personnes qui pensent avoir un Covid long peuvent déjà, dans certaines régions, se renseigner sur les modalités de prise en charge au niveau territorial. Il faut accompagner les cellules de coordination départementale « Covid long » pour améliorer la formation et améliorer ce maillage important. Nous avons aussi besoin de réseaux régionaux : si les politiques nationales ne se traduisent pas par des adaptations territoriales, il sera compliqué de prendre en charge les patients.

Par ailleurs, je le répète, l'usage de la téléexpertise entre médecins généralistes et spécialistes doit être étendu, tout comme celui de la téléconsultation pour le suivi de patients. Et il faut développer des réseaux, à l'échelle régionale, nationale et internationale, pour améliorer la prise en charge de ces patients, revenir sur les différentes expériences et entrer ainsi dans un cercle vertueux.

La recherche clinique et fondamentale, pourvoyeuse de preuves, est également importante, mais on ne doit pas attendre d'avoir l'ensemble des résultats pour instituer un certain nombre de prises en charge pour les patients. La question des remboursements, pour les diagnostics et la thérapie, ainsi que le soutien politique et sociétal me semblent également essentiels.

Je tiens à vous remercier pour cette audition, parce que cela manifeste votre soutien politique ou tout au moins l'intérêt que vous y portez. C'est une pierre ajoutée à cet édifice.

Je passe maintenant la parole au docteur Mayssam Nehme.

Dr Mayssam Nehme, cheffe de clinique aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). - Je vous remercie de m'avoir invitée à participer à cette audition. Je suis médecin chef de clinique dans le service de médecine de premier recours et coordinatrice de la consultation Covid long aux Hôpitaux universitaires de Genève, sous le mandat du professeur Idris Guessous, médecin chef du service de médecine de premier recours.

Je vais aujourd'hui partager notre expérience de prise en charge des symptômes post-Covid aux Hôpitaux universitaires de Genève. Mon collègue le docteur Robineau a présenté une synthèse très complète de la prévalence des symptômes et de l'épidémiologie, je ne m'attarderai donc pas sur ces sujets.

Dans nos études de cohorte, nous avons suivi deux groupes de personnes venues consulter avec des symptômes respiratoires dans leur phase aiguë, que nous avons pu recontacter six à douze mois plus tard. Le premier groupe, composé de personnes qui avaient souffert ou étaient atteintes du Covid, avait une prévalence de symptômes plus élevée que les personnes du second groupe, qui n'avaient pas contracté le Covid mais probablement un autre virus ou une autre infection respiratoire. Ceci dit, la physiopathologie reste à l'étude, comme l'a souligné le docteur Robineau.

Quels symptômes sont attribuables à l'infection elle-même ? Quelle est la part de la pandémie et celle d'autres facteurs ? Un taux de 10 % à 20 % de personnes gardant des symptômes persistants à la suite d'une infection au Covid est élevé et appelle une prise en charge à grande échelle. Nous avons donc imaginé une prise en charge à plusieurs niveaux.

Au premier niveau, il s'agit de sensibiliser la population, de l'informer et d'apprendre avec elle. Nous avons pour cela mis en place une plateforme nommée Rafael, qui offre des informations académiques et vérifiées sur les différents symptômes post-Covid, sur la prise en charge, et sur l'impact social. Elle permet aussi d'échanger avec les patients, leurs proches, les citoyennes et citoyens au moyen d'un outil conversationnel, le chatbot, ainsi que des webinaires. Co-apprendre est la principale vocation de cette plateforme mise en place avec les spécialistes et les patients partenaires. En effet, le SARS-CoV-2 est un virus émergent et les professionnels de santé sont encore en train d'apprendre à gérer les symptômes et l'impact social de la maladie associée. La plateforme permettant le partage d'informations peut aider à la prévention, à l'information, à l'échange entre les citoyens, la communauté et les professionnels de santé.

Certaines personnes garderont des symptômes persistants à plus long terme et elles doivent être prises en charge. La première étape est de pouvoir les identifier. Nous pensons qu'une bonne information de la population en général, mais aussi des professionnels de santé, permettrait de dépister plus facilement des cas de Covid long ou de symptômes post-Covid, d'éviter des faux diagnostics et de prendre en charge plus rapidement les personnes venant consulter leur médecin traitant - c'est celui-ci qui devrait intervenir en premier lieu. Cette prise en charge implique des investigations pour exclure d'autres causes, ainsi qu'un suivi et aussi une bonne coordination dans le réseau primaire, que ce soit en ville ou autour du patient.

Si les symptômes persistants sont multiples ou très invalidants, s'ils ne s'améliorent pas, ou s'il y a aussi une dimension sociale ou médicale complexe, les patients doivent avoir accès à une consultation spécialisée. Comme l'a dit le docteur Larché, une consultation spécialisée nécessite non seulement une coordination multidisciplinaire, mais un consensus d'experts discutant des cas et décidant ensemble d'une prise en charge. Aux Hôpitaux universitaires de Genève, les patients ont accès directement à cette consultation spécialisée. La première évaluation est très complète et mesure avec des échelles validées l'intensité des symptômes persistants : la fatigue, l'essoufflement, le malaise post-effort, les troubles de concentration, les troubles du sommeil, etc. Nous allons par la suite discuter du dossier avec une coordination des soins. Nous imaginons également des collaborations multiples et interdisciplinaires, pour prendre en charge les conséquences médicales, mais aussi sociales et professionnelles de ces symptômes persistants.

Certaines personnes atteintes du Covid sont traitées en ambulatoire, mais d'autres vont malheureusement devoir être hospitalisées durant la phase aiguë, avec un passage en soins intensifs. Pour celles-ci, il existe une consultation post-soins intensifs, qui préexistait à l'épidémie de Covid ; cette consultation multidisciplinaire prend en compte tous les aspects médicaux et psycho-sociaux de la prise en charge.

Les patients qui sont hospitalisés sans passer par les soins intensifs et ceux qui sont traités en ambulatoire sont quant à eux pris en charge en premier lieu par leur médecin traitant.

J'insiste sur l'importance d'une coordination des soins pour la prise en charge de personnes atteintes de plusieurs symptômes simultanés ou dont les symptômes ont un fort impact sur la capacité fonctionnelle. Il est très important de pouvoir continuer à suivre ces patients, en leur donnant des traitements quand ils seront disponibles et en évaluant les conséquences de leurs symptômes sur leur vie sociale et professionnelle.

À Genève, les personnes traitées en ambulatoire ou en post-hospitalisation qui gardent des symptômes persistants ont accès directement à la consultation post-Covid - dans d'autres villes, cela dépend des différents systèmes de santé. Cela signifie qu'ils peuvent nous être envoyés par leur médecin traitant ou venir directement. Cette consultation prévoit une évaluation complète du patient, de chaque symptôme et de ses conséquences et, par la suite, une discussion régulière et multidisciplinaire entre médecins de premier recours, cardiologues, infectiologues, dermatologues, médecins en otorhino-laryngologie, neurologues, psychiatres, rhumatologues et pneumologues. Tous, autour d'une même table, discutent ainsi des cas à présenter et de leur prise en charge.

À ce jour, la prise en charge reste centrée sur la réadaptation et l'enseignement thérapeutique, à la recherche d'autres traitements dans le futur. Il est très important que la capacité fonctionnelle soit prise en compte dans l'évaluation et le parcours de soins.

En utilisant une échelle scientifiquement validée pour évaluer la capacité fonctionnelle, notre équipe Covicare a pu établir que les personnes ayant eu le Covid ont, à l'issue d'un délai de six à douze mois, un score deux fois plus faible que les personnes ne l'ayant pas eu. Ce résultat n'est pas encore évalué par les pairs mais il est significatif. Cette dimension devrait donc être intégrée à l'évaluation des personnes atteintes et à leur parcours de soins.

Aujourd'hui, quels sont les besoins de la population générale, des professionnels de santé et du système dans son ensemble ? Comme l'a dit le docteur Larché, les patients se trouvent parfois dans une situation d'errance médicale et il est très important de pouvoir leur offrir un parcours de soins organisé et structuré pour éviter les retards de diagnostic. La coordination et la consultation multidisciplinaire sont indispensables pour pouvoir prendre en charge plusieurs symptômes à la fois, ou un spectre de symptômes ayant des conséquences à la fois personnelles, professionnelles et sociales chez la personne atteinte.

La reconnaissance est très importante. Elle progresse chez les patients adultes et il faut qu'elle progresse également en pédiatrie car je pense que les prochaines vagues toucheront les enfants. Depuis mai 2021, les Hôpitaux universitaires de Genève ont une consultation multidisciplinaire pédiatrique et la demande ne cesse malheureusement d'augmenter.

Enfin, il faut pouvoir agir sur les facteurs de prévention du Covid long. Comme l'a mentionné le docteur Robineau, la vaccination ne pourrait-elle pas agir en prévention, même si l'on ne sait pas si elle peut agir en thérapie ? Peut-on, en diminuant les symptômes dans la phase aiguë, diminuer le risque de symptômes persistants ?

Pour ce qui est de la recherche, il nous faut trouver des traitements médicamenteux et des thérapies, pour pouvoir offrir aux malades davantage d'outils de rétablissement.

Je vous remercie. Je vais maintenant passer la parole à Madame Elodie Senaux et Monsieur Julien Carricaburu de la Task force « Suivi du Covid » qui a été créée au sein du ministère des solidarités et de la santé.

Dr. Julien Carricaburu, Task Force « Suivi du Covid » du ministère des solidarités et de la santé. - Je remercie l'Office parlementaire pour cette invitation qui montre son intérêt pour les travaux du ministère. Nous n'étions pas présents lors de la première audition qu'a organisée l'OPECST, mais nous avons vu qu'au-delà des sujets purement scientifiques, vous avez rapidement abordé l'organisation des soins et la reconnaissance.

Je travaille auprès de la directrice générale de l'offre de soins (DGOS). Je suis très reconnaissant à tous les intervenants précédents d'avoir décrit la situation, qui est un contexte d'immense incertitude. Bien sûr, il y a des progrès et vous les avez mesurés. Cependant tous les intervenants ont montré qu'il restait beaucoup de choses à connaître et clarifier sur cette pathologie et, en premier lieu, sa définition : les délais, les symptômes, leur variété, la fluctuance, leur attribution, les critères, sont très importants pour soigner, mais aussi tout simplement pour prendre en charge les patients. Des hypothèses physiopathologiques et des mécanismes sont encore discutés. On en imaginera peut-être d'autres, et ils seront sans doute finalement multiples. Ceci pourrait modifier les parcours de prise en charge de façon significative. Enfin, la question la plus importante est peut-être : Qui va être atteint ? Quels sont les facteurs de risque ? Peut-on prédire cela ? Peut-on le prévenir ?

Je suis heureux que l'on ait évoqué la vaccination, même si c'était peut-être un peu tard dans la discussion. Je vais moi aussi porter le message essentiel du moment, qui est de ne pas oublier de se faire vacciner, car éviter un Covid est peut-être l'une des démarches de prévention les plus efficaces si l'on veut s'épargner un Covid long.

Dans ce monde d'incertitudes, il faut agir. Comme l'a dit le docteur Larché, il n'est pas question d'attendre que tout soit certain pour commencer à avancer. Il faut prendre en charge les patients parce que les souffrances sont réelles, authentiques, et qu'il faut réduire les errances.

Mais nous naviguons entre deux écueils : ne pas se hâter, ne pas faire trop, mais ne pas faire moins. Dans cette perspective, l'approche que nous allons vous présenter se veut pragmatique et pratique. Chaque fois que possible, elle va s'appuyer sur des preuves, sur la science, mais aussi sur l'expérience, celle qu'on recueille auprès des patients et des professionnels de santé. Cette approche est évolutive car elle se calque sur les connaissances, et elle se veut adaptée aux besoins des patients et des professionnels ainsi qu'à l'offre qui peut être variable d'un territoire à l'autre, d'une ARS à l'autre. Le cadre d'action que nous proposons est pragmatique et évolutif pour améliorer la prise en charge.

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