Notre commission s'est saisie de ce texte déposé par M. Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, alors que son adoption à l'Assemblée nationale a eu lieu mardi dernier. La procédure accélérée a été engagée. Ce texte sera examiné en séance publique au Sénat dans deux semaines, le mercredi 9 février.
C'est un sujet que notre commission n'a pas l'habitude d'aborder, mais ses enjeux économiques, sociaux, juridiques et politiques sont importants.
Ce texte est l'aboutissement d'une série de travaux, de recommandations et de prises de parole en faveur d'une meilleure protection des personnes mineures sur Internet. Le discours du président de la République du 20 novembre 2019, prononcé à l'Unesco lors du 30e anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, le rapport de l'inspection générale des finances (IGF) relatif à la prévention de l'exposition des mineurs aux contenus pornographiques en ligne, ainsi que le travail de plaidoyer mené depuis plusieurs années par les associations de protection de l'enfance et de la famille en ont posé les jalons.
L'article 1er rend obligatoire l'installation par défaut d'un dispositif de contrôle parental pour les appareils connectés vendus en France et permettant d'accéder à Internet. Concrètement, sont surtout concernés les smartphones, les tablettes, les ordinateurs fixes et portables, les consoles de jeux vidéo et certains objets connectés permettant de naviguer sur Internet tels que les téléviseurs et les enceintes connectés.
J'insiste sur le fait que l'installation par défaut ne signifie pas une activation par défaut du contrôle parental, celle-ci demeurant au choix des parents et des familles, mais elle sera proposée gratuitement dès la première mise en service de l'appareil.
Les modifications apportées à l'Assemblée nationale prennent en compte les appareils reconditionnés, de plus en plus sollicités par nos enfants, et appréciés des parents pour leur coût plus raisonnable !
Avant toute commercialisation, les fabricants devront certifier qu'un dispositif de contrôle parental est bien installé sur les produits qu'ils mettent en vente, cette certification étant par la suite vérifiée par les différents acteurs des chaînes de distribution.
Ce double dispositif de certification et de vérification est directement inspiré des procédés de contrôle déjà existants pour les équipements radioélectriques, qui doivent répondre à plusieurs normes techniques et exigences essentielles définies au niveau européen.
L'article 2 étend les missions de l'Agence nationale des fréquences (ANFR), qui sera chargée du contrôle du respect de cette obligation, dotée d'un pouvoir de sanction et de la possibilité de faire retirer du marché français les équipements jugés non conformes. Il s'agit de compléter les missions de cette agence, déjà chargée du contrôle de la mise sur le marché des équipements radioélectriques.
Enfin, l'article 3 concerne les obligations des fournisseurs d'accès à Internet (FAI) - Orange, SFR, Free, Bouygues Telecom, etc. - qui, depuis la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004, sont tenus de proposer à leurs abonnés au moins une solution de contrôle parental. Le texte met utilement à jour les dispositions de cette loi, précisant que cette solution doit être sans surcoût pour les utilisateurs et a minima harmonisée entre les différents fournisseurs.
En tant que rapporteure, je reconnais avoir été d'abord déroutée par ce texte, certes mesuré et équilibré, mais à l'ambition relativement limitée. En effet, les marchés des équipements terminaux et des fournisseurs de systèmes d'exploitation sont très concentrés, et les quelques acteurs dominants préinstallent déjà sans surcoût des outils de contrôle parental sur les appareils qu'ils commercialisent, que ce soit des smartphones, des tablettes, des ordinateurs, des consoles de jeux vidéo ou des téléviseurs connectés.
Toutefois, plutôt que de considérer que nous intervenons trop tard, la proximité des élections et la pression du calendrier ne vous auront certainement pas échappé, je préfère considérer que le législateur intervient à une période de transition. Certes, l'installation du contrôle parental semble aujourd'hui largement généralisée, mais cette situation ne repose que sur la bonne volonté d'acteurs aujourd'hui leaders sur des marchés très concentrés. Il est utile de sécuriser une telle obligation dans la loi, dans le cas où les choses changeraient.
De plus, selon une enquête menée l'année dernière par l'Union nationale des associations familiales (UNAF), 57 % des parents déclarent ne pas avoir activé d'outil de contrôle parental. Qui plus est, lorsque de tels outils sont installés, ils le sont souvent sur un seul appareil, alors que les enfants et les adolescents utilisent, en moyenne, au moins quatre écrans différents par jour : la télévision, la console de jeux, leur smartphone ou celui de leurs parents ainsi que l'ordinateur ou la tablette familiale.
Ces appareils sont utilisés à un âge de plus en plus jeune. L'âge moyen d'acquisition du premier smartphone en France est ainsi de 9,9 ans et celui d'inscription sur un réseau social de 12 ans.
Les auditions que j'ai menées m'ont permis de prendre conscience de la multiplicité des risques auxquels nos enfants et nos adolescents peuvent être confrontés : cyberharcèlement, mauvaises rencontres, exposition à de fausses nouvelles, à des contenus haineux, violents, choquants, illicites ou encore exploitation des données à caractère personnel.
L'exposition à des contenus à caractère pornographique est particulièrement documentée : près d'un tiers des enfants de douze ans ont déjà été exposés à des contenus à caractère pornographique, souvent de manière involontaire en naviguant de manière autonome sur Internet, par exemple lorsque des pop-up ads apparaissent sur les sites de téléchargement de vidéos ou de jeux en ligne.
Partant de ces constats, je me suis fixé la feuille de route suivante.
Premièrement, je souhaite que ce texte demeure mesuré et équilibré. Nous légiférons sur une ligne de crête ; ne nous immisçons pas à l'excès dans la relation intime qui lie les parents à leurs enfants. Il faut accompagner les parents sans les déresponsabiliser, en leur laissant le choix du paramétrage des outils de contrôle parental, dont les fonctionnalités sont diverses et peuvent révéler des choix éducatifs différents : contrôle du temps d'écran, contrôle du temps de connexion, filtrage de contenus, blocage de l'accès à certains sites ou encore encadrement des achats en ligne.
Deuxièmement, je souhaite que ce texte soit relativement pérenne et demeure adapté aux pratiques numériques de nos enfants et de nos adolescents, ainsi qu'aux évolutions technologiques qui demeurent difficiles à anticiper. À cet égard, je considère, avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, qu'établir une liste exhaustive des appareils concernés ne serait pas judicieux. Les appareils utilisés aujourd'hui ne seront pas forcément ceux de demain.
Troisièmement, je souhaite également que ce texte soit suffisamment robuste pour s'adapter aux évolutions du marché. Des réflexions sont en cours à l'échelle de l'Union européenne pour permettre une plus grande liberté des consommateurs dans le cyberespace, sujet cher à notre présidente, qui avait déposé une proposition de loi sur le sujet. Ces réflexions pourraient aboutir à une plus grande dissociation entre fabricants et fournisseurs de systèmes d'exploitation, entre constructeurs et éditeurs de logiciel.
Ainsi, je vous proposerai un amendement faisant peser l'obligation de pré-installation d'un dispositif de contrôle parental à la fois sur les fabricants et les fournisseurs des systèmes d'exploitation, un point qui a été régulièrement soulevé et discuté lors de nos auditions.
Quatrièmement, je souhaite que cette proposition de loi contribue à une meilleure protection de nos enfants et de nos adolescents sur Internet : je constate un décalage entre les discours politiques et le caractère assez technique de ce texte qui traite d'acteurs économiques, de fabricants, de distributeurs, d'importateurs, de prestataires de services d'exécution de commandes. Nous parlons de Google, d'Apple, de Microsoft ou encore de Samsung. Mais nous parlons peu, sans doute pas assez, d'enfance et d'adolescence. Pourtant, les risques encourus sont réels.
Ainsi, dans un objectif global d'amélioration de la protection des mineurs en ligne, j'ai souhaité m'inspirer des dispositions applicables en matière audiovisuelle, plus anciennes et plus avancées que les dispositions applicables à la régulation de la navigation sur Internet. Je vous proposerai ainsi un amendement d'élargissement du périmètre des contenus et services concernés par le contrôle parental, en retenant notamment la notion « d'épanouissement » des personnes mineures, régulièrement utilisée en matière de régulation audiovisuelle et de protection de l'enfance.
Afin que cette proposition de loi permette de nouvelles avancées, je vous proposerai également un amendement relatif à la protection des données à caractère personnel des mineurs. La généralisation du contrôle parental signifie plus de protection, mais également davantage de données collectées sur nos enfants et nos adolescents. Concrètement, il s'agit d'interdire l'exploitation à des fins commerciales et de marketing des données à caractère personnel collectées lors de l'activation des dispositifs de contrôle parental. Ce serait une avancée significative.
Enfin, je souhaite que cette proposition de loi soit pleinement opérationnelle et puisse être adoptée dans les meilleures conditions possibles, indépendamment de toute pression de calendrier.
Sur ce point, je souhaite vous faire part de mes réserves et de mes craintes.
Ce texte a été notifié à la Commission européenne, car il entre dans le champ d'une directive européenne de 2015 relative aux services de la société de l'information. L'objectif de cette procédure est de s'assurer qu'une législation nationale n'entrave pas le bon fonctionnement du marché intérieur.
Or, en créant des obligations qui pourraient être applicables aux fabricants et distributeurs étrangers commercialisant leurs produits en France, la proposition de loi soulève de nombreuses interrogations auxquelles aucune des auditions menées n'a permis de répondre de manière satisfaisante.
Là encore, nous légiférons sur une ligne de crête. C'est justement le but de cette procédure de notification que de répondre à nos interrogations.
Si le texte a bien été notifié, il l'a été beaucoup trop tôt, au moment de son dépôt, et sans prendre en compte les modifications adoptées par l'Assemblée nationale et celles que nous voterons au Sénat.
Je serai donc très attentive à ce que le Gouvernement notifie de nouveau ce texte, après son examen en première lecture, et je vous proposerai un amendement important de sécurisation juridique de l'ensemble du dispositif proposé au regard de cette procédure.
Voilà donc, chers collègues, ma feuille de route pour l'examen de cette proposition de loi.
Je vous remercie de votre écoute attentive.