Intervention de Sandrine Goldschmidt

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 20 janvier 2022 : 1ère réunion
Table ronde avec des associations féministes engagées dans la lutte contre la prostitution et la pornographie

Sandrine Goldschmidt, chargée de communication du Mouvement du Nid :

Bonjour à toutes et à tous. Merci d'avoir organisé cette table ronde.

Permettez-moi d'évoquer la position officielle du Mouvement du Nid sur la prostitution filmée et ses conséquences, utile pour répondre à votre questionnement. En 2015, l'association a mis en place une commission que j'ai présidée, chargée par l'Assemblée générale de préparer une position officielle sur le sujet de la pornographie et de son lien avec la prostitution. En 2016, à Angers, cette position a été adoptée par l'AG alors que la loi du 13 avril 2016 de renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel venait à peine d'être votée. La concomitance de ces deux événements est importante. La loi votée dit que tout achat d'acte sexuel est interdit. Or les travaux du Mouvement du Nid ont permis de comprendre que, dans ce qui est communément qualifié d'industrie du porno, tous les niveaux se retrouvent : achat d'actes sexuels, proxénétisme et violences prostitutionnelles. Dans les années précédant la loi de 2016, les équipes de terrain du Mouvement du Nid - qui accompagne plus de 1 200 personnes en situation de prostitution chaque année - nous ont régulièrement fait remonter des témoignages de personnes qu'elles accompagnaient, faisant état de ces liens étroits entre prostitution et pornographie. Celles qui venaient à l'association pour être accompagnées et/ou être aidées à sortir de la prostitution racontaient souvent avoir également été exploitées dans la pornographie. Par ailleurs, celles qui n'avaient pas directement été exploitées pouvaient avoir été filmées, parfois à leur insu, pour que ces vidéos soient utilisées à titre de chantage pour les maintenir dans la prostitution.

Dans la société en général, on parle un peu du porno, mais jamais pour sa dimension liée à la prostitution, au proxénétisme et aux violences. Certains acteurs sociaux sont préoccupés par le fait que de plus en plus de jeunes sont exposés à des vidéos de plus en plus tôt. Parfois, au sein d'associations féministes, s'y ajoute la critique des représentations dégradantes et déshumanisantes des femmes dans le porno. Pour le Mouvement du Nid, cette double dénonciation, aussi fondamentale et juste soit elle, n'est pas suffisante. Tout l'aspect qui s'y rapporte est encore largement passé sous silence : prostitution, proxénétisme et violences sexuelles. Ce dernier aspect correspond plus encore que les deux autres à l'objet social de notre association, lutter contre les causes et les conséquences de la prostitution.

L'industrie du porno est une industrie de production de films ayant la particularité de ne pas être du cinéma. Les actes sexuels, les pénétrations, les coups et les tortures sont réels. Le tout est produit pour obtenir un maximum d'audience et donc développer un marché et un chiffre d'affaires colossaux. Pour cela, des actrices et acteurs doivent être recrutés. Il s'agit en réalité de personnes à qui on extorque un consentement par contrat, en raison de leur vulnérabilité, parce qu'elles ont besoin d'argent ou parce qu'elles sont en situation de fragilité. Par ce faux consentement, elles acceptent des actes violents et sans désir. Cela constitue une violence en soi, comme l'est la prostitution. Elle est décuplée dans la pornographie.

Pour le comprendre, les témoignages sont fondamentaux. En 2016, nous publiions dans notre revue Prostitution et société le témoignage de Nadia, de loin le plus lu de notre site : « Moi, la «beurette», j'étais la seule arabe. Le porno est un milieu fermé et très raciste. Mais il utilise toutes sortes de femmes, j'en ai même vu une de 200 kilos, et il réunit toutes les perversions imaginables. Quand on se rebelle, on nous dit : «Il y a de la demande». Il y a ce qu'on appelle le «gonzo» : on prend des coups très violents, on se fait cracher dessus, tirer par les cheveux. J'ai tourné comme seule femme avec 35 types. Tous masqués. J'ai eu la peau brûlée par le sperme... J'avais dit : pas de scato, pas d'uro, pas de zoophilie. Il a fallu que je me batte sans arrêt. J'ai connu une fille qui s'est suicidée après avoir tourné des scènes avec un chien. Le truc tournait sur internet. Elle avait 18 ans. Maintenant, je réalise que la pornographie, c'est de l'esclavage moderne. J'ai été vraiment humiliée. À côté, j'ai trouvé que dans la prostitution il y avait au moins des hommes gentils ; j'ai été violée une seule fois et je n'ai pas été torturée. Le X, c'est des viols à répétition, c'est inhumain. »

Ce témoignage et notre expérience aux côtés des personnes accompagnées par l'association, ainsi que tous les témoignages recueillis dans les plaintes liées à l'affaire « French Bukkake » que mes camarades évoqueront tout à l'heure, permettent de répondre à votre question. Oui, ces violences sont extrêmement répandues. Elles sont la règle dans cette industrie, pas l'exception.

Le porno, c'est aussi du proxénétisme à l'échelle industrielle, comme l'indique le sociologue Sonny Perseil, qui n'est pas abolitionniste. Sont concernés ceux qui organisent, diffusent, font la publicité ou qui en bénéficient : producteurs, réalisateurs, maquilleurs, cameramen... Tous les diffuseurs, les chaînes de télévision, les réseaux de diffusion par câble, satellite ou voie hertzienne, une grande partie des réseaux de distribution de la presse, les techniciens qui contribuent à la production, mais aussi les appartements utilisés pour les tournages, répondent à la définition du proxénétisme. Tout le monde « palpe », alors que les actrices gagnent de moins en moins, dit-il. Pornographie et prostitution sont donc étroitement liées. L'intention des tenants de cette industrie est de la faire passer pour une forme de liberté d'expression ou de création. Il est fondamental de renverser cette perspective. C'est ce que nous avons souhaité faire. Il s'agit de violences sexuelles commanditées. Le consentement est extorqué par l'argent et l'exploitation de la vulnérabilité. Des violences extrêmes sont infligées à des femmes qui sont filmées. Pour toutes ces raisons, il est plus approprié de parler de prostitution filmée que de films pornographiques, terme faisant passer des violences sexuelles organisées pour des productions culturelles. Le fait que ces actes sexuels tarifés soient obtenus dans le cadre de l'industrie du film ne les rend pas légitimes, ni légaux. C'est selon nous un facteur aggravant de la violence.

L'affaire qui arrive aujourd'hui est un exemple extrême, car les violences sont extrêmes mais pas du tout exceptionnelles dans le paysage de cette industrie. Aux États-Unis, la chercheuse et psychologue Gail Dines les dénonce depuis plus de dix ans.

Pour le Mouvement du Nid, il ne s'agit pas d'une position de jugement moral sur des pratiques sexuelles ou sur l'idée de la pornographie. Ce n'est pas le fait de représenter la sexualité, mais de commanditer des violences sexuelles pour y parvenir qui pose problème. Il est tout à fait possible de représenter la sexualité humaine sans recourir à ces procédés. Après tout, il n'est pas nécessaire de tuer pour représenter le meurtre.

Vous évoquiez le porno éthique et féministe et la possibilité d'une pornographie respectueuse. Si les affaires actuelles mettent au jour des actes d'une violence inouïe - on parle de torture, de barbarie et de viols à grande échelle commandités -, on pourrait penser que le problème ne résulte que de la violence des actes, et pas de l'existence même de ces productions. En réalité, cette violence ne peut être aménagée. Nous le savons dans le domaine de la prostitution en général ; il en va de même pour la prostitution filmée. Pour en parler, je voudrais brièvement revenir sur la charte éthique mise en place par Marc Dorcel productions en réaction aux affaires actuelles, et sur le film Pleasure sorti récemment. Cette charte, dite éthique, stipule que le consentement des actrices et acteurs quant aux pratiques sexuelles doit être clair, préalable, libre et éclairé. Pour le faire respecter, l'article 2 pose pour principe le droit au contrat. Doit y être écrit le consentement à telle ou telle pratique sexuelle. Or le simple fait d'écrire le consentement à une pratique sexuelle dans le contrat annule la possibilité même de consentement, puisqu'il signifie que l'employeur peut se retourner contre l'employée si celle-ci refuse finalement une pratique acceptée à l'avance. Pour que le consentement en matière sexuelle ait un sens, il doit à tout moment être réversible.

Les scènes du film Pleasure, sorti fin 2021, illustrent ce piège. Le consentement des actrices est demandé en amont. Il est même filmé, pour être respecté. En réalité, ce n'est qu'un moyen de pression supplémentaire pour que les femmes, lorsqu'elles souhaitent dire non et qu'elles n'en peuvent plus, s'entendent dire « mais tu as signé, tu avais accepté, tu ne sais pas ce que tu veux ». C'est une façon de les reculpabiliser au lieu de les soutenir. Le porno éthique ne protège que ses intérêts.

Aux États-Unis, le porno féministe est soi-disant pratiqué depuis des années. Dans son modèle, les actrices auraient le droit de choisir leur partenaire, les positions sexuelles qu'elles adoptent, la fréquence ou la durée des actes. Ce n'est pas du tout le cas dans les faits. Rebecca Whisnant, une auteure féministe, a visionné les scènes tournées dans ces soi-disant conditions féministes et l'a bien constaté : rien n'y est différent du mainstream. Si l'actrice est censée choisir, elle est là parce qu'elle a besoin de gagner de l'argent et pour faire gagner de l'argent à la production. Pour cela, les films doivent être rentables. Ce qu'elle choisit doit donc être conforme à la demande, à ce qui fait vendre. Si elle choisit durant le tournage de ne pas effectuer d'acte sexuel, parce que le désir n'est pas au rendez-vous, parce qu'elle n'en a pas envie, elle ne sera pas payée et ne sera pas réembauchée. Nous le voyons très bien dans le film Pleasure.

La réalisatrice Tristan Taormino reconnaît elle-même que la volonté de donner le pouvoir aux actrices est illusoire, aussi parce que les producteurs en veulent pour leur agent. Ce sont eux qui commandent.

Dans son action, le Mouvement du Nid agit aussi en prévention sur le terrain. Sur ce sujet, beaucoup a été fait depuis 2016.

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