Merci beaucoup de vos présentations à toutes les trois. Je vais essayer de prendre la suite de ces interventions sordides et morbides pour vous parler de l'aspect juridique et des procès en cours.
Avant d'aborder l'affaire qui nous concerne, pour laquelle nos trois associations se sont portées parties civiles, je vais faire un détour par les États Unis. Un #MeToo de la pornographie y est aujourd'hui en cours. L'affaire Pornhub a commencé en décembre 2020. Le New York Times a publié l'article Children of Pornhub, que je vous incite à lire. Il démontre que n'importe qui peut y uploader des vidéos, en particulier de viol, sans aucun contrôle d'identité. L'article, fruit d'une longue enquête, montre qu'une enfant de 14 ans, enlevée, séquestrée et victime d'un viol collectif, a vu son viol diffusé sur Pornhub. Elle n'est pas la seule. Au-delà de la violence des tournages soi-disant cinématographiques, on trouve énormément de revenge porn sur ces plateformes, dont de vraies vidéos de viols d'enfants ou de femmes. Le New York Times démontre que Pornhub n'a aucun système de retrait de vidéos. Ces enfants n'arrivaient pas à faire supprimer les vidéos de leur propre viol sur la plateforme. La sortie de cette enquête a occasionné une panique aux États-Unis. MasterCard et Visa, voyant qu'ils étaient mouillés dans une gigantesque affaire de trafic sexuel et de diffusion de vidéos d'enfants, ont coupé l'accès au site Internet. L'argent est le nerf de la guerre dans cette industrie porno-criminelle. Pornhub a alors supprimé dix des treize millions de vidéos sur la plateforme. Il en reste trois millions. Il n'y a aucune vérification du pseudo-consentement des femmes qui y figurent. Des vidéos de viol collectif s'y trouvent encore.
Malgré le retrait de dix millions de vidéos, Gail Dines, auteure de Pornland, que nous relayons depuis des années, en a encore décompté 149 840 avec le hashtag teen, et 71 608 vidéos d'inceste (« stepfather fucks his teen » ou « daddy fucks his teen »). Je pense aujourd'hui à la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui travaille sur la lutte contre l'inceste. Nous ne pouvons pas imaginer lutter contre ce phénomène tout en permettant à ces vidéos qui en font l'apologie de rester en ligne.
Ce type de vidéos est utilisé par les violeurs pédocriminels. Dans l'affaire Justice pour Julie, les pompiers accusés par Julie diffusaient systématiquement des vidéos de viol collectif lorsqu'ils voulaient violer à plusieurs cette enfant de 13 ans. Nous aimerions aussi disposer d'une étude sur les pères incestueux utilisant ces vidéos pour abuser de leurs enfants. On parle ici de grooming, permettant de mettre en confiance ou de sidérer l'enfant avant de commettre un viol pédocriminel.
Ces 71 608 vidéos sur Pornhub font l'apologie de la pédocriminalité. Elles sont illégales. De la même façon qu'on poursuit Éric Zemmour pour apologie de la haine raciale, on devrait pouvoir poursuivre Pornhub pour apologie de la pédocriminalité ou de l'inceste. S'y ajoutent les catégories suffocation, étranglement, étouffement, évanouissement ou prolapsus. On peut parler de scènes de torture. Les entrailles de la femme violentée sont ici visibles. Ce n'est pas du cinéma. Nous devrions d'ailleurs arrêter d'appeler les acteurs et actrices comme tels. Les violences sont réelles. Dans le cinéma, les violences sont simulées en cas de meurtre ou de coups. Il m'a fallu deux secondes et demie pour trouver une vidéo intitulée « ado enceinte de huit mois violée brutalement par vingt hommes ». Y apparaît une adolescente thaïlandaise, vraisemblablement à Bangkok, enceinte de huit mois et ayant l'apparence d'une enfant de 15 ans. Ces contenus sont en accès libre sur Pornhub, pour tout le monde. Le fait que ce soit un adulte ou un enfant qui les visionne ne change pas grand-chose. J'en ai moi-même des sueurs froides après y avoir passé quelques heures. Ces vidéos se trouvent très facilement.
Aux États-Unis, une multitude de class actions sont lancées avec des centaines de victimes, et en particulier des enfants dont les viols ont été téléchargés sur Pornhub. S'y ajoutent des actions pour trafic sexuel contre xVideos. Les actions vont éclater dans tous les sens. MindGeek, la maison mère de Pornhub, est sur la sellette. Elle a fait l'objet d'une commission parlementaire au Canada, qui s'est enfin saisi de cette question. Nous espérons que les procès mettront des mots sur la réalité de la pornographie, ce système de violences et de proxénétisme organisé à l'échelle industrielle, qui fait l'apologie de la haine des femmes et du racisme.
Revenons au cas français. Je vous ai amené une photo de Pascal Op, aujourd'hui en prison, mis en examen pour viol, proxénétisme aggravé et traite des êtres humains. Sur cette photo, on voit un hangar au milieu duquel se trouve une palette. Autour de celle-ci, il y a quatre-vingts hommes cagoulés. Ils passeront tous sur la femme qui y sera installée. Ensuite, ils éjaculeront tous en même temps, ce qui va vraisemblablement lui occasionner des brûlures avancées. C'est ce que rappelle Robin D'Angelo, qui a écrit un livre extrêmement parlant sur le sujet après avoir infiltré le milieu porno pendant dix-huit mois. Il s'est fait passer pour un caméraman et s'est rendu sur les sites de tournage. Il a assisté à une scène de Bukkake qui lui a donné envie de vomir. Ce type de scène est un acte de torture et de barbarie. Cette scène se déroulait dans le 13e arrondissement de Paris, à 500 mètres d'ici.
Pour recruter, Pascal Op envoyait un tweet le mercredi disant « venez vous vider les couilles dans une grosse salope, gratuit, venez avec une cagoule ». C'était un producteur de Jacquie & Michel. Ce n'est pas du porno amateur, mais du proxénétisme aggravé. Dans une vidéo sortie en 2020 sur Konbini, Robin D'Angelo a diffusé l'enregistrement de Michel Piron, PDG de la plateforme, expliquant à une personne que si elle lui ramène des filles, il lui versera de l'argent sans indiquer « proxénétisme » sur la facture, puisque c'est interdit en France. L'intégralité de la chaîne sait ce qu'elle fait. Du producteur au diffuseur, il y a des techniques pour piéger, manipuler, recruter ces femmes et les ramener sur les tournages. C'est ce que raconte l'enquête du Monde sur le procès à venir, que je vous invite à lire. Nous comptons cinquante femmes victimes, ainsi que quatre producteurs et quatre acteurs mis en examen pour viol, proxénétisme aggravé, traite des êtres humains et blanchiment de fraude fiscale. En effet, la plupart des plateformes et diffuseurs utilisent largement des paradis fiscaux pour ne pas payer un centime de taxe dans ce pays.
Dans Judy, Lola, Sofia et moi : dix-huit mois d'immersion journalistique, il n'est jamais question de contrat de travail. La pornographie n'est pas un travail. Les femmes sont payées environ 200 euros par scène, après avoir été rabattues par un proxénète. Elles signent ensuite une sorte de droit à l'image, dont elles ne disposent même pas d'une copie, avant de rentrer chez elles. Il leur est promis que la vidéo ne sera diffusée que sur un petit site confidentiel au Canada. Trois jours plus tard, elles se retrouvent sur toutes les plateformes. Elles sont détruites. Le vrai nom de certaines est affiché.
L'enquête du Monde est implacable. Jacquie & Michel a mis en place un système d'extorsion de fonds. Une fois que la vidéo a été uploadée, 3 000 à 5 000 euros sont demandés aux femmes pour la supprimer. Le retrait n'est pas effectif. Si elle est retirée du site Jacquie & Michel, elle a pu être récupérée entre temps par n'importe quel particulier pour être téléchargée à nouveau sur une autre plateforme, puisque personne ne contrôle le téléchargement des contenus.
Maintenant, que faisons-nous ? À mon sens, il faut arrêter de considérer que le porno est du cinéma. Ce n'en est pas, à partir du moment où ce n'est pas simulé. Les scènes de violence ne le sont pas. Il faut donc passer au crible ce qu'est la pornographie au regard du code pénal, qui dit qu'il s'agit de prostitution filmée. Selon la définition légale du proxénétisme, à savoir le fait de tirer profit de la prostitution d'autrui, les producteurs et diffuseurs sont des proxénètes.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment cette industrie peut-elle avoir pignon sur rue ? Pourquoi ne faisons-nous rien ?
Un certain nombre de mythes subsistent selon lequel c'est un travail ou du cinéma. Il est extrêmement problématique de les maintenir. Nous, associations féministes, demandons que les procès aient lieu et qu'on puisse voir les techniques de recrutement. Elles sont exactement les mêmes que dans la prostitution, en piégeant et en manipulant les femmes. L'enquête du Monde met d'ailleurs en lumière le viol prostitutionnel ayant lieu au départ pour casser les femmes victimes avant de les livrer aux producteurs de pornographie. L'ensemble de la chaîne sait ce qui se passe sur les tournages. Elle est au fait des violences commises.
D'un point de vue juridique, les vidéos et leurs synopsis sont condamnables pour apologie de crime, de pédocriminalité, d'inceste, de haine raciale ou de lesbophobie. Ce sont toutes des incitations à commettre des crimes, punies par la loi. Les plateformes pourraient être poursuivies pour le caractère illégal de ces vidéos. La pornographie, c'est aussi de la prostitution filmée. Nous demandons donc que la loi soit appliquée, notamment celle sur le proxénétisme.
On a régressé ces dernières années en voulant nous faire croire que c'était du cinéma, que c'était cool et que c'était ainsi que les jeunes allaient s'éduquer à la sexualité. Permettez-moi de vous lire une résolution sur la pornographie, adoptée par le Parlement européen le 17 décembre 1993. Beaucoup a déjà été dit et fait sur la pornographie : « ... convaincu que la pornographie constitue une pratique systématique d'exploitation et de subordination fondée sur le sexe, qui porte préjudice aux femmes dans une mesure disproportionnée, qu'elle contribue à l'inégalité entre les sexes et accentue le déséquilibre des forces dans la société, l'assujettissement des femmes et la domination des hommes. »
Nous disposons d'un certain nombre de textes, de dispositifs légaux, de résolutions du Parlement européen ayant toujours dit que la pornographie était une violence contre les femmes. Maintenant, nous demandons qu'elle cesse d'être cette zone de non-droit et que les lois actuelles s'y appliquent comme elles peuvent s'appliquer sur la prostitution et sur le proxénétisme dans le cadre de réseaux de traite.
Enfin, je remercie le Sénat qui, le 23 juillet 2020, a ajouté à la loi contre les violences conjugales la possibilité pour le CSA de poursuivre les sites, grâce à un amendement de Marie Mercier. Depuis plus de vingt ans, la loi existante n'était pas respectée. Les sites sont souvent dans l'illégalité la plus totale : refus de retrait des vidéos, évasion fiscale... Ils ignorent les injonctions à supprimer les vidéos des mineurs. Depuis vingt ans, il existe une loi interdisant l'exposition des mineurs à la pornographie, puisqu'elle est totalement incompatible avec l'objectif d'une éducation sexuelle qui impliquerait l'éducation au consentement, au désir et aux rencontres entre deux personnes désirant un acte sexuel. La pornographie, c'est l'érotisation de la violence. Cette loi n'était pas appliquée depuis vingt ans. Désormais, le CSA a pour mandat de bloquer les sites refusant de vérifier l'âge de leurs consommateurs. Cinq sites ont été mis en demeure le 13 décembre. Ils avaient quinze jours pour s'exécuter. Ces sites s'en moquent ; ils n'ont aucunement l'intention de collaborer.
xVideos est basé en République tchèque. Ses PDG, les frères Pacaud, sont français et vivent dans notre pays. Leur argent se trouve entre la Tchéquie et des paradis fiscaux. Ils ont mis en ligne un tutoriel pour utiliser un VPN et contrer toute tentative de blocage des sites. J'espère que le CSA fera preuve de détermination pour faire respecter a minima cette première interdiction d'exposition aux mineurs.
Le CSA avait été saisi par des associations de protection de l'enfance concernant huit sites. Cinq d'entre eux ont été mis en demeure. Au mois de décembre, Osez le féminisme ! a saisi le CSA sur 118 sites, soit presque l'intégralité des sites pornos accessibles en France. Nous leur demandons de faire appliquer la loi et d'imposer la mise en place un contrôle d'âge sur les mineurs de façon urgente, de réagir. Il faut saisir la justice et ordonner le blocage des sites qui exposeraient les enfants à ces scènes de torture.