Intervention de Elsa Labouret

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 20 janvier 2022 : 1ère réunion
Table ronde avec des associations féministes engagées dans la lutte contre la prostitution et la pornographie

Elsa Labouret, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! :

Mon intervention concernera les conséquences du porno sur les jeunes, décrites par le Mouvement du Nid. Je ne reviendrai pas sur la violence décrite mais il paraît intuitif de dire à quel point elle peut influencer les jeunes.

Osez le féminisme ! a beaucoup travaillé sur la question des jeunes et de la sexualité cette année. Nous avons publié le Petit guide pour une sexualité féministe et épanouie, ayant entre autres pour objectif de proposer des alternatives à la pornographie, qui est l'exact opposé d'une sexualité saine. Malheureusement, il est aujourd'hui très facile d'en trouver. Elle constitue donc encore une introduction trop accessible à la sexualité, en particulier pour les garçons, à qui les parents parlent un peu moins de ce sujet. On parle effectivement souvent de sexualité aux filles pour prévenir des grossesses non désirées. C'est moins le cas auprès des garçons. L'éducation sexuelle dans les écoles afin de construire une sexualité saine et respectueuse n'est quant à elle pas assez systématique ni complète.

Pour les garçons, l'introduction à la pornographie constitue souvent un rite de masculinité et de passage à l'âge adulte. Il y a quelques jours à peine, une amie militante m'a parlé d'un petit garçon de 11 ans qui lui disait « ce soir, je rentre chez moi, et Jacquie & Michel ! ». Les adultes l'entourant ont banalisé ces propos. Le fait qu'un garçon de 11 ans regarde ces contenus devrait pourtant inquiéter.

L'Ifop a réalisé en 2017 une étude sur la consommation de pornographie chez les adolescents et son influence sur leurs comportements sexuels. Aujourd'hui, deux tiers des garçons de 15 à 17 ans ont déjà consulté un site porno, contre un tiers des filles. Ce chiffre est en hausse pour les deux sexes. Nous pouvons d'ailleurs être certains qu'il a encore augmenté depuis 2017. L'âge moyen du premier visionnage se situe entre 12 et 14 ans, parfois avant même la puberté et les premières conversations que l'on peut avoir avec ses enfants sur ces sujets. Ils sont pourtant déjà très exposés à des images, non pas de sexualité, mais de violence érotisée. On veut nous faire croire que la pornographie est inoffensive, qu'elle n'est qu'un fantasme. C'est faux. Ce sont des violences réelles, qui sont extrêmement banalisées. C'est une zone de non-droit dans la loi, mais aussi dans les esprits. Souvent, on se dit que c'est de la pornographie et donc que ça ne compte pas.

Sur Internet, on dit souvent que « si quelque chose existe, il en existe également une version pornographique ». Le moindre fantasme, le moindre désir le plus pervers sont représentés. Tout existe. Un homme n'appréciant pas une femme politique va trouver une vidéo pornographique mettant en scène une femme lui ressemblant. Il est très inquiétant de savoir qu'un enfant de 11 ans peut se connecter très simplement sur son PC et sur son téléphone portable pour les visionner.

Nous en savons aujourd'hui plus sur la plasticité du cerveau. Les enfants, mais également les adultes, sont extrêmement conditionnés. Regarder ces contenus reformate le cerveau et la façon de considérer la sexualité. Dans l'étude de 2017, plus de la moitié des jeunes interrogés estimaient que la pornographie faisait partie de la construction de leur sexualité, sans même considérer toute l'influence inconsciente qui s'opère sur eux. Les jeunes absorbent tout cela de manière encore plus forte que les adultes.

Un garçon cherchant des informations sur la sexualité et tombant sur la pornographie va apprendre que le plaisir de l'autre ne compte pas, que les lesbiennes aiment coucher avec un homme, que les femmes aiment la violence, que seule la pénétration donne du plaisir, que la pénétration anale, double ou triple, est banale et très facile. Il va découvrir de multiples endroits très créatifs où déposer son sperme. Il va apprendre qu'une vulve lisse, sans poils, aux lèvres symétriques, est la norme. Il va apprendre à ressentir de l'excitation en voyant une femme en larmes, complètement dissociée, aux yeux vides. Souvent, pour supporter toutes ces douleurs et ces violences, les femmes victimes de prostitution sont droguées et sous sédatifs. Il est nécessaire de différencier l'influence du porno chez les garçons, dont on parle souvent, et chez les filles, moins évoqué. Les femmes sont pourtant les victimes de ces violences. Les filles qui regardent du porno, et elles sont nombreuses, vont apprendre que la sexualité comportera des violences, qu'elles sont utilisables et pénétrables, sans compter toutes les violences qui s'exercent sur elles par les hommes qui en regardent. Cela a été dit, montrer de la pornographie à une jeune fille fait aussi partie d'un procédé pour ensuite exercer de la violence.

Ces jeunes n'apprendront pas ce qui est indispensable à une sexualité saine, comme le plaisir, la découverte de l'autre, le désir, la communication, le respect, la tendresse. Ils n'apprendront pas une sexualité égalitaire, surtout entre hommes et femmes, ni à comprendre leurs propres ressentis, à savoir s'il y a du désir et à dire « non » s'ils en ressentent le besoin.

Il faut aussi estimer qu'on est exposé à la culture pornographique même quand on n'en regarde pas. Les enfants baignent dans cet univers qui se retrouve dans les films, dans les jeux vidéo ou la publicité, ou dans le comportement des gens autour d'eux. Il ne suffit pas de ne pas en regarder pour ne pas être influencé. Il est de plus en plus courant de voir des garçons essayer avec leur partenaire des pratiques qu'ils ont vu en ligne, surtout si c'est de cette manière qu'ils apprennent la sexualité, et s'ils n'ont rien vu d'autre. Une militante, qui est professeure, m'a exposé il y a quelques semaines le cas d'un enfant de 13 ans qui est venu la voir, expliquant qu'il ne comprenait pas que la fille crie, car elle avait mal. Il était terrorisé par l'idée que la sexualité corresponde à cela. Il a compris qu'il s'agissait de violence. Les enfants y sont exposés. Soit ils apprennent que la sexualité sera violente, et ils en ressentiront de la peur, soit ils vont l'internaliser. Les deux cas sont extrêmement dommageables sur leur construction et leur bien-être.

Il est important de rappeler que l'addiction à la pornographie est extrêmement puissante. C'est une drogue dure, qui utilise l'outil très puissant de conditionnement de l'orgasme. Les jeunes vont apprendre très vite à être désensibilisés et à avoir besoin de contenus de plus en plus violents pour ressentir de l'excitation. Une dissociation va se créer. Ils vont être désensibilisés. Gail Dines a beaucoup travaillé sur le sujet. Elle explique qu'on peut porter ce constat à l'échelle de la société, les contenus étant extrêmement violents, encore plus qu'il y a quinze ou vingt ans.

Plus les jeunes s'habituent aux scénarios mis en scène dans le porno, aux corps, à la durée des actes et à la performance, plus ils pensent que c'est ce qui est normal et attendu d'eux ou d'elles. Ils n'arrivent donc pas à construire une sexualité complexe et vraie, avec de vraies personnes. Il est urgent de développer une autre culture de la sexualité. On peut passer par la loi mais elle passera aussi par une éducation sexuelle complète, qui parle de contraception, de relations non hétérosexuelles, de désir, de consentement, d'envie et d'écoute de ses désirs, de découverte de son corps et de celui de l'autre pour construire quelque chose de vrai.

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