Intervention de Julie Leonhard

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 3 février 2022 : 1ère réunion
Table ronde de chercheurs et de juristes sur la production de contenus pornographiques

Julie Leonhard, docteur HDR en droit privé et sciences criminelles, maître de conférences à l'Université de Lorraine :

Afin de répondre aux interrogations rappelées, j'ai décidé de vous présenter trois points. Je reviendrai rapidement sur la notion juridique de pornographie et ses notions voisines, ce qui me permettra de faire écho à la première intervention, avant de parler des textes applicables, revenant ainsi sur la deuxième intervention. Enfin, je vous donnerai une petite perception juridique du monde pornographique et des interrogations actuelles.

Afin de bien délimiter ce dont nous parlons aujourd'hui, il me paraît important de rappeler que la notion de pornographie souffre d'une absence de définition conceptuelle, puisqu'il n'existe pas de définition juridique claire et universellement acceptée par tous. Cette absence de définition constituerait même presque sa principale caractéristique.

L'étymologie du terme nous renseigne sur son sens. Il provient du grec porne, désignant les prostitués, et grapho, qui renvoie à l'acte d'écrire ou de représenter. Entendue d'un point de vue strictement étymologique, la pornographie serait ainsi le fait d'écrire sur la prostitution. Il ne s'agit bien entendu pas de sa signification première ni de sa seule utilisation.

Traditionnellement, ce mot renvoie plutôt aux représentations de la sexualité. Il a été employé en ce sens il y a fort longtemps, puisqu'on retrouve des premières traces écrites datant du IIe siècle avant Jésus-Christ. Le grammairien Athénée renvoyait ainsi à ces mots les artistes qui excellaient dans l'art de représenter les choses de l'amour. Stricto sensu, la pornographie n'est pas une activité sexuelle, mais sa représentation.

Le flou inhérent à la notion même de pornographie peut être source d'avantages, puisque ce mot est adaptable dans le temps, à l'évolution des moyens techniques, des comportements sexuels, de toute nouvelle forme de pornographie constatée aujourd'hui ou à venir, et ainsi à l'évolution des acceptations de la société. Son obscurité peut tout de même parfois être source de difficultés d'application des textes pour les juges. Elle peut entraîner des divergences d'application, puisqu'on ne peut que difficilement cerner ses limites. Tout à l'heure ont été évoqués l'allaitement et les images reproduites sur Google. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. En réalité, de nombreuses situations sont sujettes à incertitudes.

L'absence de définition peut parfois entraîner un manque de compréhension de la loi pénale et un manque de prévisibilité. En matière de sécurité juridique, c'est parfois inquiétant.

Ajoutons que si le terme n'est pas défini, les textes de loi n'évoquent que la seule notion de pornographie, au singulier, sans distinguer les pornographies dites professionnelles, amateures, éthiques ou féministes. Tous ces termes ne trouvent pas écho dans la lettre de la loi pénale. Ils ne présentent donc guère d'intérêt en droit positif, du moins à ce jour. Il est important, juridiquement, de savoir si une oeuvre est pornographique, voire pédopornographique, ce qui soulève bien d'autres difficultés encore, sans distinguer toutes les formes de pornographies possibles. L'intérêt juridique d'inclure ces précisions n'existe pas aujourd'hui.

La pornographie noue des liens avec de nombreuses autres notions voisines telles que l'érotisme, l'obscénité ou encore l'indécence, tout aussi imprécises juridiquement. Elles sont souvent ironiquement utilisées pour tenter de définir la notion de pornographie. Retenons ici au moins un lien qui semblait vous intéresser, celui qui est susceptible d'exister entre la pornographie et la prostitution, qui dépasse la simple question de l'étymologie du mot. L'une semble être le miroir de l'autre. Jusque dans les années 1950, la prostitution est admise et établie en France, alors que la pornographie est rejetée et cantonnée au marché noir. Par la suite, lorsque les maisons closes ont fermé peu à peu, conduisant la prostitution vers une forme de clandestinité, la pornographie s'est installée progressivement dans les rues et les cinémas. Elle est aujourd'hui corsetée, en termes de réglementation juridique, puisqu'on en précise le public pouvant y accéder, les lieux ou les horaires. La prostitution est quant à elle devenue l'ennemi numéro un. En 2016 a même été créée une répression de ses clients.

Profitons de ce moment pour préciser que face à un phénomène, quel qu'il soit, le droit dispose de trois réponses possibles. Il peut s'orienter vers un système prohibitionniste, cherchant à interdire et réprimer. Il peut choisir un système qui vient réglementer, encadrer et organiser le phénomène. Enfin, nous pouvons être confrontés à un système abolitionniste et donc à une absence d'organisation juridique. Le système abolitionniste ne cherche pas à lutter et empêcher un phénomène. Il cherche à ne rien faire du tout et à laisser les individus s'organiser entre eux. Quand on cherche à lutter contre un phénomène et à l'intérieur, on est dans un système prohibitionniste. En matière de prostitution, nous sommes juridiquement face à une politique prohibitionniste qui ne dit pas vraiment son nom, puisqu'on ne l'affirme jamais, même en venant créer de nouveaux interdits.

L'analogie entre la prostitution et la pornographie repose sur l'approche entre le fait de faire et le fait de faire voir. La prostitution monnaie directement un acte sexuel, tandis que la pornographie en vend l'image. Les deux industries sont plus ou moins complices et exploitent le même marché. Toutefois, elles ne se recoupent pas juridiquement. J'entends qu'on puisse avoir une autre approche, dans d'autres disciplines, mais juridiquement, ces notions se développent parallèlement sans se rencontrer. La prostitution a trait à la stricte réalisation d'un acte sexuel entre deux personnes, à un contact entre deux épidermes. La pornographie ne vise quant à elle que la seule représentation de ces actes sexuels. Autrement dit, en matière de pornographie, il n'y a pas de contact direct entre le spectateur et ceux qui se livrent à l'acte sexuel. À la différence de la pornographie, la prostitution est définie juridiquement, bien que la définition soit simplement prétorienne. Elle permet d'éviter tout débat sur le sens de la notion, qui renvoie à ces contacts physiques entre les personnes.

Il existe de nombreux textes de loi renvoyant à la notion de pornographie. J'ai choisi de rappeler les deux grands domaines du droit qui seraient éventuellement susceptibles d'alimenter le débat.

Du côté du droit pénal, deux textes peuvent trouver à s'appliquer. La pornographie est ici encadrée dans un souci toujours plus grand de protection des mineurs. Ils sont protégés à un double niveau, en tant qu'objet et acteur, et en tant que sujet et spectateur. L'article 227-24 du code pénal interdit la pornographie accessible aux mineurs - il s'agit ici de protéger leur moralité - et l'article 227-23 interdit la pornographie qui serait préjudiciable au mineur du fait de la représentation de son corps. Ils ne peuvent être objets de scènes pornographiques même s'il ne s'agit que de représentations pleinement virtuelles. Leur image est protégée.

La pornographie entre adultes, accessible à ces seuls majeurs, n'est pas pénalement prohibée.

Aux côtés de ces délits, le système administratif sera lui aussi utile puisqu'il permettra de réguler la diffusion des oeuvres dites pornographiques et, principalement, des films. La loi de 1949, et principalement son article 14, renvoie aux publications destinées à la jeunesse. Elle instaure un régime de contrôle de celles-ci. En raison de leur contenu, ces publications peuvent parfois faire l'objet de restrictions plus sévères de diffusion, allant de l'interdiction de la vente aux mineurs à l'interdiction de la publicité par arrêté du ministre de l'intérieur. S'y ajoute la classification des oeuvres par une autorité de régulation, aujourd'hui l'Arcom, dont les pouvoirs d'action ont été renforcés par la loi du 30 juillet 2020. Cette dernière permet à l'Autorité d'adresser une injonction de mise en conformité des sites frauduleux, puisqu'il existe aujourd'hui une obligation de vérifier l'âge des spectateurs et des utilisateurs des sites à caractère pornographique. Il s'agit d'un contrôle purement administratif sur l'âge des spectateurs.

Il me semble important d'indiquer qu'une affaire aussi dramatique que celle mentionnée précédemment par les autres intervenants, révélée par le journal Le Monde, évoque d'abord un problème de violence et non directement d'infraction relative à la pornographie à proprement parler. Il est assez évident qu'on renvoie en réalité à d'autres infractions pénales, inscrites dans le droit, qui viennent sanctionner les violences. Fort heureusement, nous disposons d'un panel d'infractions plutôt large permettant, sans discussion possible, de sanctionner des comportements violents tels que ceux qui ont pu être rapportés. La pornographie contrainte et forcée ne questionne pas les délits relatifs à la pornographie. À mon sens, elle ne questionne pas même les contrôles administratifs relatifs à la diffusion des oeuvres mais bel et bien les infractions de viols, agressions sexuelles, violences et traite des êtres humains.

Je pense qu'il est un consensus selon lequel le terme de pornographie souffre d'une conception plutôt péjorative et qu'il existe très peu de discours qui lui sont favorables et qui lui conféreraient des effets bénéfiques, bien que certains nous ont été rappelés lors de la première prise de parole. Nombreux sont ceux qui, au contraire, portent des critiques parfois très vives sur la pornographie. Beaucoup considèrent qu'il s'agit d'un spectacle dégradant. Ils en font un bouc émissaire de nombreux maux contemporains. Il a parfois été évoqué le symbole de dérèglement des moeurs qu'il faudrait combattre par tous les moyens.

Pour l'instant, la conception du législateur n'est pas le reflet de ces appréciations quantitativement très nombreuses. Il n'est pas favorable à une interdiction de toute forme de pornographie. Il cherche, comme par rapport à n'importe quelle autre situation relative à la sexualité, à protéger les mineurs et à rappeler l'importance de l'autonomie, de la volonté de chacun et donc, du consentement. Entre adultes, il n'y a pas de prohibition autre que l'application du droit commun, telle que l'interdiction des violences, viols ou agressions sexuelles, etc. Lors du tournage d'un film pornographique comme lors d'événements pouvant conduire à être dénudé ou isolé - entraînement sportif, réunion tardive ou autre -, notre droit pénal interdit ces comportements, prévoit et permet les poursuites et la condamnation de ceux qui se prêtent à de tels agissements. Certains cherchent parfois à se prémunir d'éventuelles poursuites pénales en matière d'oeuvres pornographiques en sollicitant à l'avance, de la part des instances administratives du type Arcom, un certain nombre d'autorisations. Je crois qu'il est aussi important de rappeler que celles-ci n'empêcheraient absolument pas une poursuite pénale, puisqu'elles ne constituent pas ce qui est juridiquement appelé un fait justificatif.

Pour autant, ne nous trompons pas sur le rôle accordé à chacun, sans chercher dans la législation des failles lorsqu'un tel scandale est révélé. Sur le terrain de la sexualité, la loi en vigueur prévoit déjà d'énormément d'infractions, en lien direct ou indirect avec la pornographie. J'en ai inscrit quelques-unes sur ma diapositive : viols et agressions sexuelles, exhibition sexuelle, harcèlement sexuel, outrage sexiste, revenge porn, délit de sextorsion, délits relatifs à la pornographie, à la corruption de mineurs, à l'inceste sur mineurs, etc. Il me paraît important de s'interroger sur le socle d'infractions existantes avant de vouloir imaginer et projeter une réforme du droit face à l'affect, bien naturel devant des situations aussi dramatiques.

S'agissant de l'influence de la pornographie sur les mineurs, l'évolution des mentalités et du contexte social, juridique et médiatique dans le domaine de la sexualité, ainsi que toutes les connaissances scientifiques disponibles, ont conduit les pouvoirs publics à développer l'éducation à la sexualité en milieu scolaire, et ce depuis 1973. Le sujet a depuis fait l'objet de maintes modifications. À ce jour, l'article L. 312-16 du code de l'éducation prévoit une éducation sexuelle minimale pour les mineurs. Les élèves sont censés en suivre chaque année au moins trois séquences, depuis la primaire jusqu'au lycée. Il s'agit principalement de connaissances apportées sur la reproduction humaine, sur les diagnostics et le traitement des infections et maladies sexuelles transmissibles. Il pourrait éventuellement s'agir également d'un support à exploiter pour lutter contre certains aspects et effets négatifs de l'accès précoce à la pornographie.

Il me semble également important de rappeler le rôle dévolu au titulaire de l'autorité parentale, qui doit juridiquement protéger les intérêts de l'enfant. L'autorité parentale est clairement définie en visant la moralité des enfants.

Nous pourrions envisager des pistes de réflexion pour mener à une amélioration du système juridique sans forcément ajouter des interdits à ceux qui existent déjà.

En ce qui concerne la protection des acteurs et des actrices, il me semble qu'il s'agit avant tout de questions relatives au droit du travail. Elles renvoient essentiellement à l'obligation de l'employeur de supprimer à la source tous les risques évitables pour les salariés. C'est pour l'heure une obligation de moyens, sans renvoyer aux situations de violences. Nous pouvons par exemple penser à la protection contre les infections ou maladies sexuellement transmissibles ou à l'utilisation imposée ou non du préservatif.

En guise de conclusion, je reviendrai sur un point important. En matière de sexualité, comme dans bien d'autres domaines très sensibles, un premier niveau de représentation de la société consiste à imaginer un droit presque omniprésent. Cette vision pourrait presque être analysée comme une forme d'obsession du droit. Elle a été décrite comme telle en psychologie du droit. Cette forme de représentation est particulièrement vraie sur le terrain de la sexualité. Or le droit n'a pas, à mon sens, vocation à devoir tout régenter. En tout état de cause, il n'a pas vocation à être le seul à être sollicité. Là où le droit se retire, d'autres systèmes de normes forment un entrelacs et doivent intervenir et être étudiés. Évidemment, l'analyse se complexifie lorsque le législateur lui-même paraît parfois mêler le droit et les autres systèmes normatifs, tels que la morale, qui a longtemps influencé le droit. Depuis 1994, ils sont normalement bien distincts. S'il est aujourd'hui clair que tout ce qui est permis n'est pas nécessairement moral et que tout ce qui est immoral ou amoral n'est pas nécessairement illégal, il y a encore des zones de confusion entre les deux.

S'il n'est pas possible d'aborder le sujet de la pornographie sans faire preuve de subjectivité minimale, selon ses propres croyances ou sa sensibilité, il est indispensable d'essayer de tendre vers cette impartialité maximale pour donner aux citoyens de réels instruments juridiques si besoin et pour apporter des modifications du droit positif, si elles s'avèrent nécessaires.

Je me réjouis que vous entrepreniez cette action, Mesdames les rapporteures, en toute sérénité. Inévitablement, une telle recherche passe par l'interdisciplinarité. J'ai déjà beaucoup appris en écoutant mes collègues parler ce matin. Je vous renouvelle mes remerciements sincères pour m'avoir donné la chance de participer à cette tâche particulièrement difficile.

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