Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’extrême morcellement de la forêt privée, qui représente trois quarts de la surface boisée en France, est un frein important et dommageable à une gestion durable de ces forêts et à la mobilisation d’une ressource en bois respectueuse des écosystèmes.
En ce sens, l’accès des gestionnaires forestiers aux données du cadastre est un des outils pour améliorer l’information des propriétaires forestiers sur les potentialités de leur parcelle.
Les objectifs de recours accru au bois, induit notamment par la réglementation environnementale pour les bâtiments neufs, la RE2020, ne seront pas atteints sans la contribution de nombreux propriétaires forestiers, dans le cadre d’une gestion durable.
Nous voulons cependant faire entendre une voix quelque peu critique s’agissant de la disposition contenue dans ce texte : si accéder à une information forestière permettant de gérer en commun des surfaces plus grandes qu’elles ne le sont aujourd’hui a du sens, la gestion des forêts privées ne doit pas conduire à une gestion exclusivement comptable et à une exploitation intensive, à rebours des objectifs climatiques et de biodiversité et d’une nécessaire conduite résiliente des forêts face aux menaces sanitaires et au réchauffement climatique.
Contrairement à ce qu’indique son intitulé, ce texte permet d’ouvrir l’accès aux données non seulement aux experts forestiers, dont nous ne remettons pas en cause le travail de gestion de la forêt, mais aussi aux coopératives forestières, qui sont souvent porteuses d’un modèle d’industrialisation de la gestion des forêts. Nous avons donc là un point d’alerte.
Comme en agriculture, les coopératives ont connu un phénomène de concentration, ces dernières années, et ont acquis une situation de quasi-monopole pour la gestion et l’exploitation des forêts privées.
Production de plants, conseil et conduite de travaux, commercialisation du bois : les coopératives forestières ont intérêt à préconiser aux propriétaires des coupes rases pour mieux vendre ensuite des travaux de plantation sur lesquels elles se financent.
C’est pourquoi nous craignons qu’en ouvrant à ces acteurs l’accès aux données, on ne favorise une gestion plus industrielle de la forêt. Monsieur le ministre, vous le savez, la forêt est bien plus qu’une simple culture. Nous rejoignons donc les demandes de la rapporteure sur le code de bonnes pratiques commun aux trois familles de gestionnaires concernées. Néanmoins, ce format ne paraît pas assez contraignant.
Pour pouvoir voter ce texte, nous souhaiterions que l’accès aux données du cadastre soit conditionné à des pratiques sylvicoles réellement durables, notamment via une exclusion des coupes rases sur de grandes surfaces, ainsi que celle des replantations monospécifiques qui ont un effet très néfaste sur la biodiversité, les sols, la filtration d’eau et le puits de carbone forestier.
Les coupes rases sur de grandes parcelles doivent être une exception dans la gestion des forêts, en cas d’impasse sanitaire avérée, et non une pratique courante. Il faut encadrer ces procédés, de plus en plus contestés par la société civile et certains élus locaux.
Par ailleurs, le petit foncier forestier ne dispose pas de documents de gestion agréés dont les prescriptions pourraient limiter l’intensité des coupes. Le nouveau droit accordé par cette proposition de loi devrait ainsi avoir pour contrepartie le respect d’un code de bonne gestion, prenant en compte la multifonctionnalité des forêts et conçu avec le concours des professionnels, des élus et de l’ingénierie étatique de l’ONF, comme l’avait souligné le député Dominique Potier.
En conclusion, il est crucial de respecter la multifonctionnalité de la forêt : la production de bois, la forêt loisir, les services écosystémiques, dont le stockage du carbone qui est un enjeu de ce siècle, la régulation du climat par l’évapotranspiration et la préservation de la biodiversité.
Malheureusement, la forêt est aujourd’hui parfois davantage perçue comme un capital, dont on souhaite assurer la capacité à fructifier, que comme un écosystème vivant à préserver.
Oui à une gestion responsable, durable, précautionneuse des forêts, soucieuse des intérêts économiques et aussi de la biodiversité, une gestion s’appuyant sur des pratiques de futaie irrégulière et de régénération naturelle, quand c’est possible !
Comptez sur nous pour continuer de défendre un modèle forestier pratiquant une sylviculture douce, plus résiliente face au changement climatique, et également plus rentable à terme pour les propriétaires que l’exploitation intensive, dont les travaux sont souvent extrêmement coûteux.
« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent », aurait écrit Chateaubriand. Nous devons chérir nos forêts, pourvoyeuses de richesses et d’aménités : elles produisent l’humus, et donc l’humanité, et elles fertilisent également notre imaginaire. La forêt, c’est l’essence de nos cultures. Il faut absolument la préserver et ne pas la cultiver uniquement dans un esprit de rentabilité.
Nous conditionnerons notre vote aux garanties que le Gouvernement pourra nous apporter sur la question des coupes rases et des plantations monospécifiques, et sur la nécessaire évolution des pratiques forestières.