Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Philippe Varin, ancien président de France Industrie, qui est accompagné de M. Jean-Marie d'Anjou, directeur général délégué de France Industrie.
Monsieur Varin, vous êtes l'un des grands « capitaines d'industrie » que compte notre pays, puisque vous avez été à la tête de groupes tels que PSA Peugeot Citroën, Pechiney, Orano ou encore Suez. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. C'est aujourd'hui sur un sujet précis que nous souhaiterions vous entendre. En effet, vous avez rendu au Gouvernement, il y a environ un mois, un rapport sur la « sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie française en matières premières minérales ». Bien sûr, ni le calendrier ni le choix de cette thématique de travail ne sont des coïncidences, mais plutôt des évidences au regard des deux années qu'ont traversé nos entreprises industrielles : la pandémie de Covid-19, qui a soudainement mis à l'arrêt - en France plus qu'ailleurs - l'activité productive ; puis un redémarrage progressif, qui n'a pas encore permis de retrouver les niveaux de 2019 ; et désormais des tensions durables sur l'approvisionnement en intrants stratégiques, tels que les semi-conducteurs. Sans compter les défis structurels qui s'annoncent : transition numérique, transition environnementale et transition énergétique.
Comment donner à l'industrie française les moyens d'affronter ces défis, mais surtout comment garantir à notre pays une base industrielle résiliente, qui assure les besoins stratégiques de la Nation et limite notre dépendance aux facteurs externes ? C'est là la question qui nous intéresse aujourd'hui et sur laquelle nous avons souhaité vous entendre, à la lumière de votre connaissance de l'industrie française et de vos récents travaux. En effet, notre commission a initié - et c'est aujourd'hui la première audition de ce cycle - des travaux sur la souveraineté économique de notre pays. Mes collègues corapporteurs, Amel Gacquerre et Franck Montaugé, compléteront tout à l'heure ce propos introductif et vous adresseront leurs questions.
Pour amorcer notre discussion, je souhaiterais recueillir votre analyse sur les aspects suivants.
Le rapport dont vous êtes l'auteur se concentre sur les matières premières minérales et leur rôle dans l'industrie française. Vous estimez, vous me le confirmerez, que la demande pour ces matières sera multipliée par 3 ou par 4 dans les années à venir en raison de nos efforts de transition énergétique. Or la France importe près de 100 % de ses besoins - un peu moins en ce qui concerne le nickel, grâce à la Nouvelle-Calédonie. Vous estimez aussi, je crois, que d'ici à 2030, malgré les efforts conduits, l'Europe ne pourra pas produire plus de 20 % à 30 % de ses besoins en matières premières minérales. Pourriez-vous nous dire un mot de votre constat à cet égard : quel serait l'effet « domino » d'une pénurie de minerais dans l'industrie française, risque aujourd'hui bien réel ? Quel est aujourd'hui notre degré de vulnérabilité, et pour quelles filières ?
À l'occasion de l'examen de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et résilience », notre commission a adopté la réforme du code minier : notre rapporteur, Daniel Gremillet, a inscrit un objectif de « souveraineté minière » ; il a prévu que notre sous-sol fasse l'objet d'un recensement scientifique actualisé. C'est important, car nous sommes très conscients, ici au Sénat, que la transition énergétique et la souveraineté minière sont liées. S'il est vrai que l'énergie nucléaire nécessite de l'uranium, nous le savons tous, les énergies renouvelables aussi reposent sur des métaux rares ou précieux. Quel est votre point de vue sur cet enjeu ? Comment relancer notre activité minière ? Comment réussir la transition énergétique ? Quels sont les métaux et les secteurs les plus critiques ?
Ce n'est pas la première fois que le Gouvernement annonce se pencher sur le sujet de notre approvisionnement : en mars 2019, un rapport du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGE) intitulé Analyse de la vulnérabilité d'approvisionnement en matières premières des entreprises françaises lui avait déjà été remis. Votre travail sur le sujet vient-il confirmer ses conclusions ? Quel bilan faites-vous de la politique de l'État en matière de sécurisation de l'approvisionnement, avant la pandémie de Covid comme depuis ?
Après ces trois questions relatives aux constats, peut-être nous donnerez-vous votre avis sur les objectifs et les moyens. De votre point de vue, c'est-à-dire avec votre expérience d'industriel, quel doit être le rôle de l'État pour réduire la dépendance de l'industrie française et limiter les risques ? Est-ce un rôle actif, par exemple en encourageant l'exploitation de matières premières sur le territoire national - je pense à l'extraction minière ? Ou plutôt un rôle d'animateur et de soutien, en renvoyant aux filières et aux entreprises la responsabilité de s'organiser pour sécuriser leur approvisionnement ?
Pourriez-vous à cet égard nous dire un mot des actions conduites par les entreprises industrielles en la matière, tant les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) que les grands groupes ?
Enfin, ma dernière question sera plus politique. Dans le contexte que nous connaissons, où les tensions géopolitiques et l'instabilité vont croissant, où le multilatéralisme politique et économique est remis en cause, l'approvisionnement en matières premières deviendra-t-il un levier de guerre économique qui pourrait être manipulé par nos concurrents ?
Je vous cède maintenant la parole pour un propos liminaire. Les corapporteurs vous poseront ensuite à leur tour leurs questions, puis chacun de nos collègues pourra vous interroger.