Intervention de Patrick Lefas

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 février 2022 à 9h35
Rapport du conseil des prélèvements obligatoires cpo : « redistribution innovation lutte contre le changement climatique : trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire » — Audition de M. Patrick Lefas président de chambre honoraire à la cour des comptes

Patrick Lefas, président de chambre honoraire à la Cour des comptes :

Premièrement, concernant la redistribution, la question qui se pose porte sur les données relatives au patrimoine. Sur ce sujet, nous sommes tributaires des données des notaires. Il est donc nécessaire d'activer le programme de numérisation de ces données pour qu'elles puissent être saisies en temps réel et que l'on puisse ainsi les collecter. La grande base de données « Piketty » est la seule source disponible à l'heure actuelle. Le travail réalisé à l'échelle mondiale par l'économiste est très intéressant mais ne nous permet pas de disposer des données fiscales françaises. Il est nécessaire de lever l'interdit qui prévaut aujourd'hui. Ce n'est pas parce que ces données sont sensibles qu'il ne faut pas les analyser après qu'elles aient été préalablement anonymisées. Nous disposons des données de l'INSEE mais il nous manque ces informations fiscales. Je pense que c'est essentiellement une question de volonté même s'il y a aussi une problématique de moyens. En toute hypothèse, si le Parlement se saisissait de ce sujet, si le Sénat en faisait une priorité, je pense que les choses seraient susceptibles d'évoluer. Le cas échéant, le CPO se tient disponible pour soutenir le Parlement dans cette démarche.

Deuxièmement, sur le crédit d'impôt recherche (CIR), il est effectivement nécessaire de procéder à des évaluations régulières du dispositif. Le CPO n'est d'ailleurs pas la seule institution à pouvoir le faire, France Stratégie peut y contribuer et des rapports peuvent être demandés en ce sens au Gouvernement. Ce n'est pas la première fois que la Cour des comptes ou le CPO s'interrogent sur le calibrage du CIR. Ce dispositif apparaît aujourd'hui atypique par rapport à ce qui existe ailleurs. Comme la France accuse toujours un certain retard en matière d'innovation, l'enjeu actuel porte davantage sur les dépenses d'innovation que sur celles de recherche et développement. Je souligne que, d'après l'INSEE, seulement 40 % des sociétés produisent des innovations technologiques, ce qui est notoirement insuffisant. Tout l'enjeu est d'inciter les entreprises à consacrer davantage de dépenses à l'innovation. Il nous semble opportun que le sujet soit revisité à l'occasion de la prochaine législature, de manière objectivée, à la lumière, entre autres, de nos travaux. Ce travail doit se faire en toute connaissance de cause, en s'appuyant sur les évaluations réalisées. Aujourd'hui, ces dernières convergent vers le constat que l'efficacité du CIR est assez modeste, indépendamment de la question des principaux bénéficiaires de ce dispositif - le premier étant une grande entreprise pharmaceutique.

Troisièmement, s'agissant de la lutte contre le changement climatique, il me parait nécessaire de bien méditer l'exemple suédois. Je rappelle que le green tax shift date de 1991. La Suède a procédé de façon très progressive, tandis que la France a fait le choix contraire, en prenant le partie d'une pente très brutale.

Un premier élément mérite d'être soulevé. Pour se conformer au droit européen qui encadre les accises, la France a décidé de loger la taxe carbone au sein de ces taxes indirectes, alors qu'il conviendrait au contraire de l'isoler pour lui donner une vraie visibilité. Il serait ainsi possible d'associer à cette taxe une trajectoire de hausse prévisible, en contrepartie d'une diminution d'autres accises dans des proportions comparables. Ce ne sont pas les choix qui ont été faits en France.

La deuxième question tient au développement des alternatives énergétiques. Les suédois ont accompli beaucoup d'efforts s'agissant du développement de la biomasse ou d'autres énergies alternatives. La création d'une taxe carbone était dès lors beaucoup plus acceptable pour les contribuables.

Aujourd'hui, le sujet semble cristallisé, mais il va nécessairement falloir y revenir. Il ne suffit pas d'énoncer des objectifs et d'imposer des normes si, dans le même temps, les ménages n'ont pas la capacité de dégager les investissements nécessaires. On l'observe s'agissant de la rénovation énergétique : très peu de rénovations de logements sont réalisées dans un objectif d'isolation thermique.

Concernant la question de l'affectation du produit de la fiscalité environnementale, le principe budgétaire d'universalité s'oppose certes à l'affectation des ressources. Néanmoins, pour améliorer un autre principe, à savoir celui du consentement à l'impôt, il faut en passer par des affectations de taxes. Nous sommes en droit de nous interroger sur la pertinence de la suppression récente du compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique ». L'affectation des recettes issues de la fiscalité environnementale répond à un enjeu de redistribution à destination de ceux que l'on appelle les « prisonniers énergétiques ».

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