Intervention de Christophe Strassel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 février 2022 à 9h35
Rapport du conseil des prélèvements obligatoires cpo : « redistribution innovation lutte contre le changement climatique : trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire » — Audition de M. Patrick Lefas président de chambre honoraire à la cour des comptes

Christophe Strassel, conseiller maître à la Cour des comptes :

Premièrement, la recommandation du CPO de recourir à des affectations de recettes repose à la fois sur des comparaisons internationales et sur des études de chercheurs, qui montrent sans ambiguité que le niveau d'acceptation d'une taxe énergétique est beaucoup plus important si celle-ci est réaffectée de manière transparente. Une étude de 2021 avance ainsi que le taux d'acceptation d'une taxe énergétique affectée est supérieur de 25 points à celui d'une taxe énergétique non affectée. Ce résultat est très significatif. Je signale qu'aux pages 93 et suivantes de notre rapport, un tableau mentionne l'ensemble des pays ou régions où la fiscalité enérgétique fait l'objet d'une affectation. Outre la Colombie britannique, on peut citer le Québec, la Californie, l'Irlande, la Suède, la Suisse, l'Australie ou encore l'Allemagne. Dans tous ces pays, la réflexion que nous menons actuellement a eu lieu et s'est traduite par des mesures concrètes.

Deuxièmement, cette question renvoie à l'enjeu de la transparence des objectifs de la fiscalité. De ce point de vue, on peut dire qu'un certain nombre de documents budgétaires cultivent une certaine ambiguité. Parmi beaucoup d'autres exemples, je relève que l'exposé des motifs du projet de loi de finances pour 2018 indique que l'augmentation des tarifs des taxes intérieures sur la consommation (TIC) est liée à « un objectif de rendement budgétaire ». Voilà le genre de communication qui n'est pas de nature à favoriser l'adhésion des français à la fiscalité énergétique !

Je voudrais également apporter un complément s'agissant des enjeux de redistribution. L'administration fiscale assiste aux débats du CPO et il n'y a absolument aucune ambiguité sur le constat qui a été fait, à savoir que les données ne sont pas disponibles aujourd'hui. En ce qui concerne la question de l'insuffisance des moyens, il s'agit d'une recommandation récurrente à la fois du CPO et de la Cour des comptes, qui considèrent que la disponibilité des données constitue un enjeu démocratique de premier plan. Ce qui me frappe aujourd'hui, c'est que la plupart des chercheurs français qui travaillent sur des questions fiscales utilisent des données américaines. Ils ne travaillent pas sur des données françaises car soit elles ne sont pas disponibles soit elles sont de qualité insuffisante. Ce phénomène a un impact sur le débat public car à force de travailler sur des données américaines, on en vient à parler d'un système qui est très différent du nôtre et, par voie de conséquence, à imposer des problématiques qui ne sont pas nécessairement celles de la fiscalité française.

Enfin, concernant la fiscalité de l'innovation, il est bien évidemment nécessaire d'évaluer les dispositifs existants - le CPO est disponible pour mener à bien ce travail - mais il l'est tout autant de tirer les conclusions des évaluations réalisées. En effet, un certain nombre de rapports ont déjà constaté que l'efficacité du CIR est perfectible alors que son coût est croissant. Une comparaison me semble frappante : le CIR atteint aujourd'hui 6,4 milliards d'euros quand le budget du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ne représente que 3,5 milliards d'euros, soit presque deux fois moins ! Le CPO ne dit pas que le CIR est inefficace et qu'il faut le supprimer, mais que ce dispositif pourrait être mieux calibré, afin de dégager des moyens supplémentaires pour augmenter les commandes publiques en faveur de la recherche ou accroître l'aide à la recherche publique sur certains secteurs, à l'instar de ce qui se pratique dans d'autres pays. Il existe une vraie question d'arbitrage entre les dépenses directes en faveur de la recherche et les dépenses indirectes qui passent par des mécanismes fiscaux.

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