Concernant les données patrimoniales, je ne suis pas inquiet, car un travail de rattrapage conséquent est actuellement mené par le système notarial en matière de numérisation des documents, ce qui va nous permettre de disposer d'ici relativement peu de temps de données significatives. Il ne faut surtout pas exciper du fait qu'il y a un problème d'anonymisation de ces données. Si on se rapproche du dernier centile, on va effectivement avoir des contribuables facilement identifiables. Le problème d'anonymisation est selon moi un faux sujet, car nous avons les moyens de le traiter, avec des aspects qui touchent à la médiane, la moyenne, ou l'écart-type. Nous pouvons incontestablement progresser dans ce domaine.
Nous n'avons pas cherché à répondre à l'enjeu des inégalités territoriales, qui revêt une dimension politique. Le graphique que nous vous avons présenté montre que nous pourrions effectivement travailler la courbe de manière à réduire les inégalités territoriales, mais si certains impôts sont réduits, par exemple les droits de successions, de nouveaux déséquilibres s'opéreront et accroîtront ces inégalités, ce qui n'est pas nécessairement une bonne option. Le CPO est disponible pour réaliser des études sur ces sujets, mais il est délicat de formuler des recommandations plus précises car cela relève avant tout de choix de politiques publiques. Nous avons par exemple travaillé sur la TVA, qui est un prélèvement obligatoire augmentant significativement les inégalités. On pourrait considérer qu'une réduction des impôts sur la production et la consommation, au détriment d'une majoration des impôts sur le revenu et le patrimoine, pourrait avoir du sens, mais on ne peut pas déplacer de telles masses de prélèvements obligatoires sans qu'un débat approfondi soit mené. Ce débat doit avoir lieu et le CPO est prêt à y contribuer.
S'agissant du CIR, des données sur la répartition entre grands groupes et PME sont disponibles, auprès de la Cour des Comptes et du CPO. Il y a toutefois des évolutions actuelles à prendre en compte. Premièrement, on constate dans les comparaisons internationales que le modèle français est une exception, qui n'a pas nécessairement le rendement attendu aussi bien en termes de dépenses de R&D qu'en termes de dépenses d'innovation, pour les grands groupes étrangers comme pour les multinationales françaises. Deuxièmement, il faut prendre en compte le fait que les impôts de production et le taux d'imposition sur les sociétés ont baissé. Ces éléments doivent être mis en regard d'un volume d'investissements attendu en matière de transitions numérique et énergétique considérable. Sur le besoin de 6 900 milliards de dollars d'investissements verts par an au niveau mondial, on peut considérer qu'il y a 3 % - environ 210 milliards de dollars - d'investissements à fournir en France. Il faut donc être attentif à ne pas pénaliser les investisseurs tout en s'assurant que ces outils aient un rendement efficace, pour ainsi corriger les effets négatifs. S'agissant du plafond du CIR, c'est un débat pour la prochaine législature, il n'appartient pas au CPO de le fixer, mais le plafond actuel de 100 millions d'euros est très élevé. Il y a en tout cas plusieurs arbitrages possibles, entre des options qui permettraient de doter davantage la recherche publique, de favoriser les mécanismes d'innovation ou de revisiter le régime fiscal des plus-values.
Concernant les taxes affectées, qui occupent une part significative de vos discussions lors de l'examen des projets de loi de finances, la principale critique est qu'il s'agit d'une kyrielle de petites taxes. Mais dès lors qu'on a un volume financier important, comme c'est le cas pour la TICPE, on pourrait avoir, comme le disait Jérôme Bascher, des éléments constitutifs d'un tableau de financement d'ensemble. Cela reviendrait à aller plus loin dans la sophistication du « green budget », ce à quoi la Commission européenne nous incite ; ce serait selon moi une bonne option. Pour sortir de la vitrification au sujet sur la taxe carbone, il faut tout d'abord l'extraire de la TICPE. Il faut ensuite lui donner une visibilité pour faire comprendre à nos concitoyens ce vers quoi on tend, grâce à un indicateur de prix. Il serait logique de redistribuer ces ressources, et d'avoir pour les dépenses environnementales un mécanisme équivalent à ce qui a été créé avec le CAS « Pensions » par exemple. Cela ne veut pas dire que ces taxes ne sont pas utilisables pour d'autres dépenses, et notamment les dépenses régaliennes. Il n'en demeure pas moins que si on souhaite changer les comportements, il faut spécialiser la finalité des impôts. On ne peut poursuivre à la fois des objectifs de rendement et de modification du comportement. L'exemple des pays qui nous ont précédés dans ce domaine montre qu'il s'agit vraiment du modèle vers lequel il faut tendre.
Sur les problématiques de bonus-malus, je pense que ce sont des indicateurs et des éléments de mesure qui, en matière de fiscalité de la transition énergétique, permettent de travailler sur le comportement. Ce rapport est riche car il fait justement l'état des lieux de toutes les études académiques sur la fiscalité comportementale, dont l'origine remonte à Pigou, et qui se révèle aujourd'hui particulièrement intéressante puisque nous disposons de plus de données qu'il y a quelques années.