Je souhaite d'abord réagir au sujet des affectations de recettes à un objet particulier, en l'espèce des dépenses environnementales, ou des dépenses de redistribution pour les ménages en situation de précarité énergétique. Je pense que la principale difficulté posée par l'affectation, déjà mentionnée dans le rapport du CPO sur la fiscalité environnementale de 2019, réside dans le déséquilibre potentiel entre les recettes perçues au titre de la fiscalité affectée et le niveau des dépenses réelles de la politique publique affectataire.
Dans son rapport, le CPO avait préconisé de faire varier le taux de la taxe affectée lorsque l'on constate un décalage entre les recettes et les besoins de financement de la politique publique affectataire. Cette pratique est très rarement appliquée aujourd'hui. Si la modification du taux constitue un premier instrument, le second, à savoir l'écrêtement, a parfois fait l'objet d'un usage abusif. Il permet de reverser l'excès de recettes au budget général de l'État.
Ainsi, même si l'affectation de recettes ne permet pas toujours d'apporter le bon niveau de ressources à une politique publique donnée, nous considérons qu'il existe des correctifs pour résoudre cette difficulté. Le CPO reviendra sur ce sujet à l'occasion de ses prochains travaux, donnant lieu à une publication ciblée d'une dizaine de pages, qui devrait permettre d'animer le débat sur cette question.
J'attire également votre attention sur l'une des conclusions du rapport, à savoir que l'instrument fiscal est un instrument utile mais qu'il ne faut pas tout attendre de la fiscalité.
Ce constat vaut en particulier pour le crédit d'impôt recherche qui, malgré ses vertus, est un instrument perfectible. Nous pensons que ce n'est pas le crédit d'impôt recherche qui permettra de transformer le paysage de la recherche en France. Les chiffres de la recherche sont bien davantage déterminés par l'importance du secteur industriel, déclinant en France.
L'intensité de la recherche est également liée au budget que l'on accorde aux universités et aux organismes de recherche et, de ce point de vue, les difficultés de financement sont connues et ne datent pas d'hier. Il ne faut pas tout en attendre de l'instrument fiscal et nous considérons que l'on a trop focalisé les instruments d'aide à l'innovation sur le seul crédit d'impôt recherche : 86 % du coût des aides fiscales à l'innovation se concentrent sur cet outil. Le mix de politique économique ne nous paraît pas satisfaisant. Nous recommandons, qu'à côté du CIR, il y ait un recours renouvelé à la commande publique en matière d'innovation et davantage d'aides directes.
Lorsque nous considérons qu'il ne faut pas tout attendre de l'impôt, ce constat concerne également la redistribution. En matière de réduction des inégalités, ce n'est pas aux impôts de jouer le premier rôle et nous pensons qu'il faut en tirer des conclusions en matière de politique fiscale. Il importe donc de limiter le nombre d'objectifs assignés à chaque impôt. La fiscalité environnementale se voit assigner deux objectifs : un objectif de rendement et un objectif de modification des comportements. À l'inverse, un impôt comme la TVA poursuit un nombre très élevé d'objectifs. Il ne s'agit pas uniquement d'un instrument de rendement, mais également d'un outil de justice sociale à travers les taux réduits, ou encore d'un vecteur dans les politiques d'incitation à l'emploi. La TVA se voit assigner une dizaine d'objectifs, qui sont en conflit entre eux et qui diminuent son rendement.
De ce point de vue, le taux d'efficacité de la TVA, tel que calculé par l'OCDE, constitue un chiffre très éloquent. Si l'on rapporte le niveau de la TVA théorique, correspondant au revenu de l'impôt s'il était prélevé uniquement au taux normal, au niveau des recettes réelles de la TVA, ce taux est, pour la France, d'environ 50 %, tandis que la Suède se situe plutôt autour de 80 %.
On pourra bien sûr avancer que la TVA est un impôt régressif et que les taux réduits répondent à un objectif de redistribution, conduisant naturellement à neutraliser une partie des recettes de TVA.
Cependant, on observe que dans les pays qui font des choix plus clairs en matière d'assignation d'un objectif à un instrument fiscal, les résultats sont souvent meilleurs en termes de redistribution. Dans le cas de la Suède, qui applique une TVA à 25 % et n'a pas de taux réduits, cet État finance des politiques de redistribution qui sont plus importantes encore que celles que nous connaissons en France.
Notre rapport plaide pour une spécialisation de nos instruments fiscaux et recommande de ne pas vouloir leur faire jouer trop de rôles à la fois.