Intervention de Pierre Narring

Délégation aux entreprises — Réunion du 3 février 2022 à 9h45
Table-ronde dans le cadre de la mission conjointe de contrôle de la délégation aux collectivités territoriales et de la délégation aux entreprises sur le thème « revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs »

Pierre Narring, ancien membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable :

Le rapport ville-territoire-commerce se trouve au carrefour de nombreux enjeux : enjeux de société, économiques, écologiques, mais aussi d'aménagement du territoire. J'ai effectivement été membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et, à ce titre, j'ai été le co-coordonnateur du rapport que vous avez cité sur la revitalisation des centres-villes, établi avec l'Inspection générale des finances (IGF), puis d'un deuxième rapport qui complétait le premier, s'agissant notamment des zones commerciales périphériques. Adjoint au maire de la petite commune de Jouy-en-Josas depuis 13 ans, je suis également confronté à ce problème de dévitalisation des centres-villes.

C'est en 2015 que le sujet commence à préoccuper les élus locaux et les divers acteurs du commerce - commerçants, responsables d'enseigne, fédérations -, si bien que l'IGF et le CGEDD reçoivent la commande d'un rapport sur la question des centres-villes et des villes moyennes. Au même moment, le CGEDD se saisit du sujet. Les deux rapports, que j'ai coordonnés, voient le jour à la mi-2016 et au début de l'année 2017.

Le rapport de 2016 apporte des éléments d'observation, d'analyse et de parangonnage européen. Nous établissons tout d'abord que, sur les 187 centres villes observés par l'Institut de la ville et du commerce, le taux de vacance des locaux commerciaux est passé de 6 % en 2001 à plus de 10 % en 2015. Dans une dizaine de villes, ces taux atteignent 15 % à 25 % : c'est le cas notamment à Béziers, Châtellerault, Forbach, Annonay, Marmande ou encore Saint-Omer. En termes d'analyse, nous demandons à un statisticien de l'INSEE de produire une analyse factorielle pour établir, le cas échéant, des corrélations. Trois facteurs apparaissent déterminants : la situation économique et démographique de la ville ou de son environnement, la qualité du projet local - management public, partenariat ville/intercommunalité/commerçants/etc. -, et la plus ou moins bonne complémentarité entre le centre-ville et la périphérie. Quant au travail de parangonnage européen, il montre que nos voisins européens s'en sortent mieux tout en respectant les directives européennes.

Le deuxième rapport traite des dynamiques commerciales périphériques, en particulier de leur inscription dans une optique de développement durable, et formule des propositions en termes de restructuration des zones périphériques. Trois éléments ressortent de ce travail :

- En termes de chiffres, on constate que de 2000 à 2015, 5 à 7 millions de mètres carrés de surface commerciale supplémentaire sont autorisés chaque année, tandis que 3 à 5 millions de mètres carrés sont « commencés ». En 2015, il y avait encore 5 millions de mètres carrés de projets de centres commerciaux, pour un montant total investi de 5 milliards d'euros.

- S'agissant du développement durable, la prise en compte des critères écologiques demeure limitée au projet et s'articule essentiellement autour de la réduction des parkings ou de la végétalisation des lieux. Elle a peu d'impact sur le territoire, notamment en termes de transports ou d'emploi.

- Concernant le droit européen, deux arrêts de la Cour de justice européenne (Espagne contre Catalogne en 2011, arrêt Visser concernant la petite commune d'Appingedam aux Pays-Bas, en 2018) ont confirmé que la liberté d'installation pouvait être tempérée par une raison impérieuse d'intérêt général, sous réserve du respect de critères liés à l'environnement, l'aménagement du territoire et la protection du consommateur.

Les deux rapports ont insisté sur la nécessité d'une stratégie basée sur une politique locale du commerce portée par l'intercommunalité, ainsi qu'une meilleure utilisation des documents d'urbanisme pour cadrer l'offre périphérique.

Les propositions ayant émané de ces travaux sont les suivantes :

- la création d'un observatoire des effets des politiques de commerce en matière économique et d'emploi, avec une possibilité d'y insérer les chambres de commerce et d'industrie (CCI), riches en informations sur les économies locales ;

- l'établissement de critères plus précis pour protéger les centres-villes, qu'il s'agisse d'aménagement du territoire, de desserte en transports en commun ou de parkings ;

- une meilleure intégration des préoccupations liées au commerce dans les documents d'urbanisme et, notamment, une préconisation tendant à rendre à nouveau obligatoire le document d'aménagement commercial (DAC) ;

- l'obligation d'une étude d'impact pour les projets dépassant 2 500 m2 ;

- le lancement d'expérimentations pour la restructuration des périphéries ;

- le transfert des commissions départementales au niveau régional, compte-tenu de leur piètre efficacité : l'autorisation est accordée 9 fois sur 10 ! Cette proposition est la seule à ne pas avoir été retenue.

La remise du deuxième rapport a été suivie d'un changement de gouvernement, qui a rapidement lancé le programme « Action coeur de ville », puis le programme « Petites villes de demain ». Cela n'a pas été plus loin du côté de l'exécutif. En revanche, nous avons eu des échanges nourris avec les assemblées et, notamment, avec le Sénat qui menait également une réflexion sur ces sujets.

Depuis 2017, les évolutions n'ont pas manqué : la montée des préoccupations écologiques, la nouvelle donne liée à la crise sanitaire, l'abandon du projet emblématique de grande ampleur Europa City, un apaisement réel de la frénésie de création de nouveaux centres, la mise en oeuvre du zéro artificialisation nette dans le cadre de la loi Climat, le regain d'attractivité des villes moyennes, et puis, évidemment, le développement accéléré du commerce en ligne, au sujet duquel je signale le récent rapport conjoint de l'IGF, la CGEDD et France Stratégie.

Cinq questions demeurent : le développement du numérique et le mode de vie post-Covid, avec notamment le développement des entrepôts ; la mise en oeuvre des programmes « Action coeur de ville » et « Petite ville de demain » ; l'application concrète des mesures de la loi Elan, en particulier des études d'impact ; la question des CDAC et de leur taux d'acceptation ; les menaces qui pèsent sur les petits centres commerciaux de moins de 1 000 m2.

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