L'Institut pour la ville et le commerce est une association qui fédère des collectivités, plutôt des villes moyennes, les fédérations professionnelles du commerce, de la grande distribution et des petits commerces indépendants, le secteur de l'immobilier - des propriétaires individuels aux grandes foncières -, ainsi que des chercheurs, des urbanistes, des géographes et des économistes. Notre vocation est d'interroger les mutations du commerce dans leur forme territoriale et d'objectiver ces trajectoires en minimisant toute suspicion sur nos chiffres.
J'évoquerai avec vous la situation du commerce dans les territoires depuis 2018, date depuis laquelle la situation a peu évolué. La progression de la vacance commerciale dans les coeurs de ville se poursuit : de 6 % en 2001, le taux de vacance commerciale est passé à 10 % en 2015, et 14 % aujourd'hui. Cette trajectoire structurelle, indépendante du covid, est inscrite dans le long terme depuis la crise de 2008.
Ce qui n'a pas davantage évolué, c'est l'analyse qui est faite de ce phénomène, focalisée sur une crise des centres-villes des villes moyennes et petites, alors qu'il s'agirait, à notre sens, de prendre en compte tous ses impacts. La crise du commerce est une crise de secteur, au même titre que la crise industrielle, et elle affecte les villes de toutes tailles, y compris les métropoles, et tous les pôles commerciaux, y compris en périphérie.
Cette crise a trois visages. Le premier est celui, brutal, de l'obésité : notre commerce est en surcapacité commerciale et de mètres carrés. Le deuxième est une crise de destruction créatrice liée au choc technologique de la numérisation, qui a été très mal anticipée. Le troisième est la crise sanitaire, qui n'épargne pas les grandes villes : à Paris, le taux de vacance commerciale, de 11 %, est le même qu'à Vierzon.
D'où vient cette crise ? De 2000 à 2020, les dépenses de consommation ont progressé de 55 %, représentant 300 milliards d'euros, desquels il faut ôter l'effet prix lié à l'inflation, ce qui les ramène à 100 milliards d'euros. L'essentiel de ces milliards a été absorbé par internet : les ventes en magasin n'ont progressé que de 10 % en valeur. Or, dans le même temps, le parc de surface commerciale doublait, si bien que le chiffre d'affaires au mètre carré a chuté de 11 000 euros en 2000 à 7 000 euros aujourd'hui. Comme les loyers ont poursuivi leur hausse, on est parvenu à ce système où il coûte de plus en plus cher de vendre de moins en moins cher.
Ironie de l'histoire, cette fuite en avant des mètres carrés s'est jouée au moment même où de nouveaux acteurs inventaient une technique qui dispensait d'utiliser des mètres carrés pour vendre. Quelques chiffres pour se représenter l'impact territorial du développement du commerce numérique : une plateforme Amazon, avec 100 000 m2, rapporte 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires. C'est l'équivalent de 500 moyennes surfaces, c'est-à-dire, de 500 Saint Maclou, Décathlon, etc. Pour donner un ordre d'idée, Vierzon, en Sologne, compte une trentaine de moyennes surfaces. C'est aussi l'équivalent de 5 000 boutiques de centre-ville, au rendement moyen tel que mesuré par l'Insee.
La lecture prospective du mélange de ces deux crises, suroffre et choc technologique, est claire : le besoin de surface commerciale va continuer à diminuer de façon tout à fait structurelle.
La crise du covid a joué un rôle d'accélérateur, mais gare à ses effets trompe-l'oeil : le « retour du local » voit également naître de nouvelles interfaces de vente - les drive, drive piétons, etc. - qui, à ce jour, passent totalement sous les radars des collectivités et qu'il va bien falloir apprivoiser.